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Sécurité alimentaire « Plutôt que le zéro viande demain, il faut miser sur l’innovation ! »

Pour le chercheur Sébastien Abis, l'élevage doit être au coeur des discussions sur notre trajectoire agricole, alimentaire et climatique d'ici à 2050.

Quelle devra être la place de l'élevage si l'on veut atteindre la sécurité alimentaire mondiale en 2050 ? Nous avons posé la question à Sébastien Abis, chercheur à l’Iris, directeur du club Demeter, auteur d’ouvrages de prospective géopolitique et tout récemment de l’essai « Veut-on nourrir le monde ? Franchir l’Everest alimentaire en 2050 ».

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Web-agri : Quelle place faudra-t-il donner à l’élevage si l’on veut nourrir correctement le monde en 2050 ?

Sébastien Abis : Le sujet de l’élevage, inévitablement et fort logiquement, doit être au cœur des discussions à avoir sur cette trajectoire agricole, alimentaire et climatique d’ici à 2050. Plutôt que de dire : « demain, zéro élevage, zéro viande », il faut miser sur l’innovation. Il faut aussi faire confiance aux acteurs de l’élevage pour être capables de réduire leurs émissions de carbone.

En termes d’innovation, on s’aperçoit par exemple que les algues ont une digestibilité prometteuse et peuvent permettre des leviers de réduction des émissions de méthane. Intensifions ces recherches, intensifions cette alimentation animale si elle est vertueuse, peut-être qu’il y en aura d’autres demain !

Le discours anti-viande ou anti-élevage me semble assez incohérent, sachant qu’on a besoin de manger de la viande, de prendre des protéines solides pour la masse musculaire, entre zéro et vingt ans et après 65 ans. D’un point de vue purement mécanique, s’il fallait se passer de viande, ce serait entre 20-25 ans et l’âge de la retraite.

Mais au-delà de ça, on reste dans du bon sens : vu le prix de la viande rouge, personne n’en mange tous les jours et encore moins trois fois par jour ! Sur la viande rouge il y a le côté « attention à la santé de la planète et à la santé individuelle », et le facteur prix est déjà un sujet. Toute la planète ne mange pas de viande rouge régulièrement, il y a même une partie du monde qui rêverait de pouvoir en manger parfois une fois.

Une partie du monde va peut-être devoir redécouvrir ce qu’est la sobriété alimentaire, et peut-être nous, d’abord, en Europe. Sans forcément se priver de tout, mais en retrouvant un peu de bon sens sur les pratiques alimentaires, en ayant conscience qu’une partie du monde rêve de sortir de la sobriété alimentaire dans laquelle ils sont depuis des années, et pour qui manger parfois de la protéine animale, ce sera principalement du poulet, de la viande blanche, moins chère.

Le petit producteur va d’ailleurs plutôt faire des poulets qu’un élevage de vaches, parce que c’est une rentabilité à court terme. Et il va avoir besoin de cinquante poulets, pas d’un élevage de dix mille poulets. Prenons donc conscience des besoins, et du fait que de temps en temps, certains vont manger de la viande rouge, et ce sera un repas exceptionnel dans l’année.

Il y a des équilibres à trouver. Dans le cas de l’élevage, ne tombons pas dans les caricatures et n’oublions pas non plus tous les usages des élevages sur les écosystèmes, les prairies, etc.

Dans mon essai, j’ai aussi voulu intégrer un élément intéressant : aujourd’hui, la troisième population mondiale après la Chine et l’Inde, ce sont les chiens et les chats domestiques. Et si pour les animaux d’élevage on parle de consommation de produits agricoles – nourrir des animaux plutôt que des humains – et de bilan carbone, dans le cas des chiens et des chats domestiques, il y a un silence étonnant alors que leur consommation est importante.

La consommation annuelle d’un labrador n’est aujourd’hui pas loin de la consommation de certaines voitures qui ne sont pas électriques. Je n’ai rien contre les chiens et les chats : l’idée est de montrer à quel point nos débats sociétaux se polarisent parfois sur certains sujets et manquent de vue globale.

En quoi atteindre cet « Everest alimentaire », nourrir le monde en 2050, est-il un défi ?

C’est la volonté de « faire ensemble » cette aventure incroyable, gigantesque, de la sécurité alimentaire mondiale, dans des conditions inédites : plus de monde que jamais, et la décarbonation inévitable de nos modes de vie et de nos consommations.

Comme pour l’Everest, il faut emmener du monde sur le toit de la sécurité alimentaire mondiale, et ça va être dur : de 2040 à 2070, on aura dix milliards d’habitants et il faut permettre à ceux qui vont rester dans le dernier tiers du siècle d’avoir de l’oxygène sur la planète.

On ne peut donc pas dire que le seul sujet du siècle serait la décarbonation, parce que d’ici là il faut aussi renforcer la sécurité humaine. Et on ne peut pas dire qu’on peut renforcer la sécurité humaine et donc alimentaire au détriment des écosystèmes et de la viabilité de la planète.

L’équation est comme l’Everest : ça ne sert à rien de faire l’ascension si vous n’avez pas les capacités de redescendre ou d’être en haut et de constater que vous y êtes arrivés. En 70 ans, moins de 7 000 personnes ont fait l’ascension de l’Everest. Là, il y a 10 milliards de personnes à faire monter sur le toit de la sécurité alimentaire mondiale. C’est très compliqué, et j’ai la naïveté de penser que la meilleure solution serait de jouer collectif.

Justement, quels sont les leviers pour continuer à produire tout en préservant les énergies fossiles et en réduisant l’empreinte carbone agricole ?

Mon essai n’est pas un livre à caractère technique, spécialisé - de meilleurs personnes s’occupent de traiter ça finement –, c’est un essai dont certains ont dit qu’il avait une tonalité un peu philosophique, où depuis vingt ans j’ai réfléchi, constaté, échangé, dialogué avec beaucoup d’acteurs, ici et ailleurs, sur cet enjeu mondial alimentaire.

Et j’ai toujours vu que c’était une question politique, de volonté, de conditions dans lesquelles les agriculteurs peuvent se développer et travailler avec leurs partenaires. Si je résume les leviers, c’est d’abord la paix, c’est là qu’on peut être inquiet.

C’est aussi le sujet de la constance autour de cet objectif de sécurité alimentaire : au niveau mondial, au niveau de régions, au niveau de pays, au niveau de collectivités, quelles que soient les années et quelles que soient les humeurs sociétales.

La troisième chose clé, c’est qu’on est devant de telles équations climatiques, incertitudes énergétiques et incertitudes de production, qu’au cours de ce siècle il faut produire autant qu’aujourd’hui le plus longtemps possible. Le grand défi est donc d’éviter l’hypervolatilité des productions, donc produire stablement.

Ça va d’abord vouloir dire : ne plus rien jeter du tout, tout ce que je produis est utilisé. Sur le marché alimentaire, c’est la réduction des pertes et gaspillages. Le chemin est pris mais on doit intensifier fortement la cadence. On doit ne plus jeter de nourriture, ce n’est pas responsable.

Ça concerne aussi toutes les productions agricoles qui ont des vocations pour faire des coproduits, - pas des déchets, des coproduits ! -  pour entrer dans de l’écologie circulaire : matériaux du futur, énergie du futur, décarbonée. Ou comment on utilise tout ce monde agricole dans un objectif à la fois alimentaire, énergétique et de transition.

Avec l’idée que pour rendre ces transitions supportables, il faut proposer aux uns et aux autres un monde de demain qui sera meilleur. Dire que les transitions c’est revenir en arrière, c’est compliqué. Attention : le projet doit être la décroissance des émissions de carbone, mais la croissance de la sécurité humaine.

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