« Réussir avec 50 vaches sur 55 hectares, c’est encore possible »

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Le système très intensif que développe Jacques Motin lui convient ­parfaitement. Avec le coup de main régulier d’Anne-Marie, il gère seul son exploitation tout en produisant jusqu’à 470 000 litres de lait.

Conduire seul ou en couple 50 vaches à 9 500 litres sur 50 à 60 ha est monnaie courante dans le nord du département de la Mayenne. Comme ses collègues, Jacques Motin bénéficie de conditions favorables pour produire beaucoup de lait sur une petite surface. Aux confins de l’Ille-et-Vilaine et de l’Orne, il est au cœur de ce que l’on appelle le « triangle vert », tant cette zone est réputée pour son potentiel fourrager (14 à 16 t de MS de maïs/ha). En dépit d’un prix du lait qui a chuté de 61,70 €/1 000 litres en deux ans, il fait face.

« Une épargne de précaution pour les mauvaises années »

Les deux derniers résultats d’exercice ne permettent pas de rémunérer son travail. L’éleveur subvient aux besoins de sa famille grâce à la trésorerie positive et l’épargne ­créées les années précédentes. Conscient que le secteur laitier est devenu volatil, il a eu la sagesse de constituer une réserve de précaution.« Le salaire d’Anne-Marie, mon épouse, est une sécurité. Si elle ne travaillait pas en dehors de l’exploitation, il faudrait davantage puiser dans notre épargne », ajoute Jacques. Pour payer les fournisseurs, l’enveloppe de crédit à court terme de 15 000 € et l’ouverture de crédit de 7 500 €, que la banque met à sa disposition chaque année, sont utilisées. En temps normal, elles le sont peu. « Grâce à cela, nous sommes à jour de nos factures », indique Anne-Marie qui s’occupe des papiers sur son temps libre. Associée non exploitante de la SCEA, son avis est pris en compte dans les décisions d’investissements. La preuve : en pleine crise du lait, Jacques s’y est rallié pour différer le renouvellement du tracteur-fourche de 130 ch. À 52 ans, il s’interroge sur la pérennité de sa ferme. Ses enfants ne prenant pas la suite, il craint qu’elle ne réponde pas aux attentes des repreneurs : « Elle n’est pas high-tech. »

« Si c’était à refaire, je recommencerais »

Jacques Motin juge pourtant que son élevage à taille humaine et sa réactivité à la conjoncture peuvent rémunérer durablement 1 UTH. Il ne regrette pas le choix fait il y a trente ans de s’installer seul sur une petite structure : 24 ha et 180 000 litres. « Je préfère être seul sur une petite surface et déléguer les gros travaux à l’ETA. Je n’ai de compte à rendre qu’à moi-même », dit-il.

En 1986, avec 30 holsteins à 7 500 litres, 12 ha d’herbe et autant de maïs autour des bâtiments, il pose les premières pierres d’un système laitier et fourrager productif. Il atteint les 55 ha et les 50 vaches après deux agrandissements. Avec le second, en 2008, de 18 ha et 120 000 litres de quotas, il fait un bond en avant. « Nous avons investi près de 300 000 €. » Les 18 ha sont achetés. La stabulation est agrandie de 20 m. L’acquisition de 9 vaches en lait monte le troupeau à 35 vaches pour 310 000 l. La salle de traite est étendue à 2 x 6 postes en décrochage automatique. « Aujourd’hui, nous disposons de 40 ha autour des bâtiments qui ne sont traversés d’aucune route. » Anne-Marie et Jacques Motin n’ont qu’une hâte : en finir avec le remboursement de cet emprunt qui pèse pour 55 000 € d’annuités… un peu moins que l’EBE dégagé l’an dernier. L’échéance est proche : sans nouveaux investissements, en 2019, les annuités tombent à 20 800 €.

« Une réduction du coût des concentrés de 22 € en trois ans »

« La nette amélioration du coût alimentaire des vaches et génisses ces trois dernières années est l’une des raisons de leur résistance à la crise qui se conjugue à une mauvaise récolte en 2016 », souligne Christian Boissel, du CERFrance Mayenne-Sarthe. De 135 €/1 000 litres en 2013-2014, il est passé à 108 € en 2016-2017 (travaux par tiers inclus). L’économie porte principalement sur les concentrés dont le coût est réduit de 22 €/1 000 litres (76 € contre 98 €). « Grâce à l’achat d’un Dac il y a trois ans, la distribution des concentrés et, plus particulièrement, des correcteurs azotés est mieux maîtrisée », éclaire Hugo Lemosquet, conseiller Clasel qui accompagne le couple depuis dix ans. « Avant, en hiver, les vaches recevaient la même quantité de tourteau de colza ou soja à l’auge. Un concentré de production était distribué en salle de traite. Désormais, en plus des 5 kg de tourteau de colza dans la ration semi-complète, un tourteau tanné ajuste au Dac le complément azoté. Pour cela, tous les deux mois, nous faisons le point sur chaque vache. » Les matières premières plutôt que des aliments du commerce contribuent également à ce coût de concentrés bas. « À chaque rencontre, nous passons du temps à étudier les opportunités d’achats de colza ou soja. »

Le producteur joue aussi à plein la carte du pâturage. Les vaches sont en ration 100 % hivernale seulement durant quatre mois, de début novembre à début mars. Dans sa zone favorable au ray-grass anglais, le Mayennais développe une conduite prairiale simple : RGA + trèfle blanc pour les laitières, fétuque élevée en enrubannage ou foin, déprimée avant, pâturée après par les génisses, prairies permanentes pâturées également par les génisses « J’ai fermé une ou deux fois le silo de maïs, mais les vaches maigrissent trop. »

En pleine pousse de l’herbe, l’éleveur descend sous les 5 kg de MS de maïs et n’hésite pas à supprimer le tourteau de colza en début de parcelle. « Plus globalement, la quantité de correcteurs azotés pilote la production par vache. Je dois trouver le bon équilibre entre elles, l’effectif du troupeau, les possibilités de production qu’offre Sodiaal et, bien sûr, le prix du lait. Je veux optimiser l’azote, pas le diminuer dans le seul but de faire des économies. » Le colza est ainsi passé de 5 à 4 kg/vache en janvier pour ralentir la production, en avance sur l’objectif de campagne. Dans ce but, 350 g/vache/jour de tourteau de cacao ont été également distribués.

« La prévision laitière estindispensable pour gérer mon troupeau »

Jacques Motin a une contrainte majeure : des bâtiments saturés. Les fourrages de qualité qu’il produit, distribués à volonté, et le potentiel laitier élastique de ses prim’holsteins l’aident à s’adapter à la demande du marché (voir infographie). Mais aussi un élevage des génisses supérieur au besoin classique de renouvellement (40 %) et des vêlages en début de campagne. « Vingt à vingt-cinq vêlages, dont plus d’un tiers de génisses, sont planifiés d’avril à août, ce qui permet plus de lait d’août à octobre, que Sodiaal paye au prix A, hors référence contractuelle. Fin octobre, la prévision laitière – que j’actualise tous les deux mois avec le Clasel – estime le nombre de laitières dont je dois me séparer. » En novembre, trop en avance, il a réformé onze vaches. Début 2017, il en a vendu cinq en lait.

« Simplifier et sécuriser le travail quand on est seul »

« Me séparer de vaches l’hiver charge moins la stabulation et surtout allège le travail de la traite. » De même, outre les contraintes de surface, l’intensification animale répond à son souci de contenir son travail. Privilégier le semis sans labour, faire appel à l’ETA pour épandre le fumier, enrubanner plutôt qu’ensiler l’herbe pour éviter de « rendre » le coup de main, etc. sont autant de mesures pour le limiter. Le robot de traite pouvait être aussi une solution mais peu féru d’informatique, il y a renoncé. Mais il n’hésite pas à faire appel à un vacher de remplacement pour prendre deux semaines de congé et se libérer de temps à autre. Il a aussi souscrit une assurance, en prévision d’un éventuel accident. Heureusement ! Il est en arrêt depuis février. Un vacher de remplacement assure son travail.

Claire Hue
Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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