Michel Welter, qui a porté le projet de la ferme des mille vaches, évoque les pièges et les contraintes d’une telle entreprise. Un témoignage sans langue de bois.
Pour la création et la gestion d’un grand troupeau, Michel Welter, directeur de la ferme des mille vaches, sait de quoi il parle. Après dix ans d’embûches, de conflits et un certain nombre d’ennemis, l’entreprise SCL Lait Pis Carde est aujourd’hui une réussite technique. « 880 vaches sont traites trois fois par jour pour 10 000 kg/VL à 41 de TB, 34 de TP, moins de 200 000 cellules et 390 jours d’IVV. Le troupeau est calme, sans mouches, sans odeurs et cela avec des salariés qui n’avaient jamais vu une vache auparavant », aime à souligner Michel Welter.
C’est quoi un grand troupeau ?
« Vingt et un salariés, uniquement dédiés au troupeau, pour 880 vaches, cela fait 40 vaches par UTH. Nous sommes dans la catégorie des petites exploitations. » Plus sérieusement, il insiste sur les effets de seuils. D’abord ceux de la réglementation sur les installations classées : la déclaration pour un troupeau de 50 à 150 vaches, l’enregistrement entre 150 et 400 animaux et l’autorisation au-delà de 400, avec une enquête publique obligatoire d’un mois. « Vous pouvez commencer à bâtir votre projet technique et économique dans la discrétion mais, ensuite, il faut communiquer et ne pas s’isoler. En premier lieu avec l’administration. Ces fonctionnaires font leur travail et peuvent être vos alliés. N’hésitez pas à dialoguer avec eux, à leur demander conseil pour le montage du dossier. Le jargon de l’ICPE est assez incompréhensible, il impose souvent de s’entourer d’experts. Mais c’est au porteur du projet de suivre le dossier. » Et de rappeler que plusieurs services sont concernés : DDTM, DDAS, DDPP, Agence de l’eau, etc. « Faites relire votre dossier par ces services avant le dépôt définitif. » Mais Michel Welter avertit aussi que l’effet ZAD a bien infusé dans les décisions de l’administration. « Même si vous avez raison sur tout, le préfet vous donnera tort s’il craint des troubles à l’ordre public. »
Apprendre à communiquer
Point plus délicat : la communication avec le voisinage. « Mais ne pas parler, c’est pire. » Michel Welter a dû affronter l’ire des riverains. « On ne s’adresse pas à un public désireux de comprendre et vous avez en face de vous des personnes qui cherchent systématiquement la faille. Soignez vos arguments, les opposants sont dans l’émotion alors que vous êtes dans le factuel. Utilisez les bons mots, sans anthropomorphisme, pour parler de votre troupeau. Il faut éviter d’éveiller la sensiblerie. Vous pouvez vous faire aider par des communicants professionnels, mais choisissez-les extérieurs au monde agricole. Ils vous donneront plus facilement les arguments qui touchent le grand public. »
La ferme des 1000 vaches accueille plus de 2000 visiteurs par an.
Se comporter en chef d’entreprise qui décide
Michel Welter n’oublie pas non plus le dialogue avec les financiers et reconnaît qu’avec la banque, « cela peut être violent ». Car pour de tels investissements, ce n’est pas votre conseiller qui sera le décideur. Curieusement, il suggère d’éviter les centres de gestion agricoles qui manqueraient d’expérience pour ce type de projet. « Dans le budget prévisionnel, utilisez vos chiffres, pas ceux des normes et entourez-vous d’un avocat fiscaliste pour construire un schéma de société solide et qui protège votre famille en cas d’échec. Enfin, les études doivent être d’une grande rigueur. Ne pas se dire : on verra ça après. Tout doit être budgété, jusqu’aux clôtures et aux géraniums. L’argent investit en amont évite des frais par la suite, mais surtout un report du dossier qui coûtera très cher. »
Les seuils dans l’organisation du travail
Après les seuils administratifs, Michel Welter évoque les seuils humains dans la conduite d’un grand troupeau. Jusqu’à 50 vaches, l’éleveur gère un groupe d’animaux connus individuellement : « Marguerite est la fille de Poupette. »
Entre 50 et 100 vaches, l’informatisation et l’automatisation s’imposent. De 100 à 200 vaches, il faut apprendre à travailler à plusieurs, avec un ou deux associés ou salariés. Le travail reste simple, mais le dialogue prend une grande place.
Au-delà de 500 vaches, l’élevage demande une organisation industrielle du travail. « Il y a peu de place pour l’échange et la discussion. L’éleveur est là pour manager la main-d’œuvre. Il définit des missions et s’assure qu’elles sont réalisées avec des procédures et des contrôles à tous les niveaux. Il faut trois salariés capables de faire la même tâche pour assurer les remplacements et se prémunir du chantage à la démission. C’est entre 200 et 500 vaches que l’organisation du travail est plus périlleuse, entre ces deux niveaux, on est souvent dans le flou. »
Penser à la logistique
Sur un troupeau de plus de 500 vaches, tous les repères logistiques d’une exploitation familiale explosent. La SCL Lait Pis Carde reçoit un camion de concentrés tous les trois jours. « Il faut prévoir un stock tampon de quinze jours pour les périodes fériées(Noël, ponts de mai, etc.),mais pas trop de capacité non plus, de façon à pouvoir vider les fonds de silos. » L’ensilage occupe neuf jours pour le maïs et cinq jours pour l’herbe. « Les grosses bennes permettent de limiter le trafic mais attention à l’accessibilité du silo et à la taille des routes empruntées. » La gestion des effluents est ce qu’il y a de plus compliqué. « Nous avons 8 000 t de fumier par an à évacuer, soit 400 bennes de 25 t, et 23 000 m3 de lisier, soit 1 000 tonnes à lisier à épandre avec seulement 50 jours disponibles. »
La traite prend aussi une autre dimension. Ici, elle a lieu trois fois par jour avec un roto de 50 places et trois salariés, pour un rendement de 220 vaches par heure. « Je conseille d’acheter des systèmes complets de gestion de troupeau et d’être attentif à la compatibilité des différents outils. Mais les machines ne remplacent jamais l’œil humain pour la surveillance des animaux. Grand troupeau ou pas, le seuil de 50 vaches par UTH me paraît difficile à dépasser pour faire du bon travail. »
Repérer rapidement les nombreuses dérives
La ferme des 1 000 vaches s’est construite par le regroupement d’une quarantaine de troupeaux. Et elle n’a pas échappé aux ennuis sanitaires inhérents. « Nous n’avons acheté que des troupeaux complets, prenant tous les animaux capables de produire du lait, mais j’ai constaté un pic de mortalité au 3e et 4e mois. Prévoyez des pertes multipliées par deux. Plus globalement, il faut se construire un tableau de bord qui permet de suivre mensuellement les possibles dérives, notamment sur les coûts alimentaires et vétérinaires. »
Michel Welter ne nous donnera pas les résultats économiques de la ferme des 1 000 vaches. Il s’épargne ainsi les interprétations malveillantes. Seuls repères intéressants, le coût de la main-d’œuvre : 90 €/1 000 litres, et la productivité du travail : 225 litres produits par heure de travail payée. « La moyenne française est à 120 litres/heure. » Lucide, il reconnaît aussi que créer un grand troupeau en France sera de plus en plus difficile. « Nous sommes à l’opposé de la demande sociétale. Aujourd’hui, si vous ne faites pas pâturer vos vaches, si vous n’êtes pas en bio, vous êtes presque un criminel. Pourtant, que c’est agréable de gérer un grand troupeau, de partager le fardeau quotidien à plusieurs, d’avoir du temps disponible pour se former… et pour soi. »
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