« La nuit, les vaches n’avaient pas assez à manger »

Le Gaec de l’Étang est passé en deux ans de 1 M à 1,8 Ml de référence. Pour monter en lait, les éleveurs ont notamment­ fait filmer leur troupeau et découvert que la ration n’était pas toujours accessible.

«Nous avons presque doublé notre référence en deux ans pour passer à 1,8 million de litres de lait produit », explique Fabrice Jégouic, éleveur à Illifaut (Côtes-d’Armor). Associé avec son frère Mickaël, il livre à Sodiaal. « Nous avons anticipé la fin des augmentations de référence par la coopérative en demandant 400 000 litres en 2015, puis 300 000 litres en 2016. » L’objectif était d’embaucher un salarié pour mieux organiser le travail et disposer de temps libre.

Pour réussir à produire rapidement ce volume, il faut monter de 8 800 kg de lait par vache à 10 000 kg. Pas si simple. Le système de production était déjà relativement intensif. Fabrice a arrêté de faire pâturer le troupeau dès son installation il y a vingt ans. « Je ne me sentais pas capable de gérer l’herbe », justifie-t-il.

Ration complète et affouragement en vert

Le troupeau est conduit en plusieurs lots : primipares, fraîches vêlées et vaches adultes. Il est passé récemment en ration complète. Auparavant, le concentré était donné au Dac. Mais il fallait investir dans une nouvelle stalle pour le lot des primipares. Les éleveurs ont préféré la ration complète. Ils apportent aussi de l’affouragement en vert, 4-5 kg de MS de mi-février à mi-juillet et de mi-septembre à mi-décembre. Pour le reste, le régime se compose d’ensilage de maïs (deux tiers) et d’herbe (un tiers).

Tout d’abord, l’affouragement en vert vise à diversifier la ration pour limiter le maïs et à apporter des protéines.

« Le maïs est nécessaire pour concentrer la ration. L’affouragement en vert remplace en partie l’ensilage d’herbe. Mais il faut bien doser pour ne pas pénaliser l’ingestion », explique Fabrice Jégouic.

L’autre objectif concerne la valorisation maximale des dérobées. Car l’exploitation a un chargement assez élevé. Un haut niveau de productivité des terres est donc nécessaire. Un mélange ray-grass italien-colza est implanté après les céréales. Il est fauché une à deux fois en automne et autant au printemps, et distribué aux vaches à l’auge. Un semis de maïs suit. Entre deux maïs, les éleveurs implantent du ray-grass italien, partiellement valorisé en affouragement en vert.

« Avec le pâturage, on produisait environ 6 tonnes de MS de ray-grass anglais par hectare. Sur les parcelles de maïs puis ray-grass italien, on monte à 18-20 tonnes. » Vingt à trente hectares de maïs sont semés sous plastique et produisent 16 à 18 tonnes de matière sèche. Le rendement moyen s’établit à 12-14 tonnes en semis traditionnel. Le temps nécessaire à l’affouragement en vert n’est pas vécu comme une contrainte. Ce fourrage permet de supprimer un tour avec la mélangeuse.

Le concentré est un aliment du commerce mais l’élevage fait des échanges céréales/aliments. « J’achète les matières premières pour un ou deux ans et le fabricant compose l’aliment en fonction de cette couverture. J’ai donc l’avantage d’un aliment composé et minéralisé adapté à la ration et de la sécurité vis-à-vis des fluctuations de cours », précise Fabrice. Il s’agit d’un concentré à 65 % de tourteau de soja, vendu actuellement à 300 €/t. La ration est la même pour toutes les vaches en production, hormis le fait que les primipares ont 1 kg de concentré en plus (70 % orge et 30 % de correcteur azoté). Elles vêlent en moyenne à deux ans, à 22 mois pour les plus jeunes.

Un essai concluant avec du miscanthus pour le couchage

La ration est distribuée tous les matins. L’affouragement en vert est apporté en fin de matinée ou début d’après-midi, selon la météo. Les éleveurs repoussent le fourrage plusieurs fois par jour : avant d’affourager, puis vers 14 h, 17 h et 19 h. Ils soulignent l’importance de disposer d’une place par vache à l’auge pour que toutes consomment leur part de fourrage frais.

Le troupeau est logé en aire paillée avec une surface moyenne de 8 m2/tête. Dans un bâtiment lumineux et ventilé par deux grands brasseurs d’air, l’aire paillée fonctionne bien. C’est confortable et ils parviennent à gérer les cellules avec l’hygiène de traite et les réformes. Cet élevage ne connaît pas la dermatite.

Cette année, ils ont essayé le miscanthus à partir d’avril sur la moitié de la surface. Ils en sont très satisfaits. « On a mélangé tous les jours au rota labour et après quatre mois, on a ajouté de la paille tous les deux jours. Mais on n’a pas eu besoin de curer. Il y a donc moins de travail qu’avec la paille. » Pour l’hiver, ils estiment que la litière paillée sèche mieux. Mais ils reviendront au compost au printemps prochain.

L’élevage fonctionne bien, mais les éleveurs ne sont pas encore parvenus à leur objectif de 30 kg/vache/jour. Pour se donner plus de chances d’y arriver, ils ont décidé de reprendre le conseil en élevage avec BCEL Ouest. « Nous voulions identifier des pistes de travail. Avec la croissance du troupeau, le lait par vache et les taux avaient baissé un peu. » Le conseiller, Jean-François Rigou, leur a proposé de filmer le troupeau pendant quarante-huit heures pour évaluer son fonctionnement. L’idée leur a plu et deux caméras ont été posées dans l’étable en mars 2018. À cette date, l’affouragement en vert n’avait pas encore démarré.

Le film a montré que les vaches n’étaient pas réellement nourries à volonté comme le pensaient les éleveurs. L’analyse des pratiques a confirmé que les volumes distribués étaient suffisants. Mais le fourrage n’était pas tout le temps accessible. « On voyait bien que quand on repoussait le fourrage, il y avait parfois un mouvement vers l’auge. Or, on veut privilégier une alimentation sans à-coups, pour favoriser le bon fonctionnement du rumen. »

Le problème se posait la nuit. Les vaches picoraient dans l’auge, se déplaçant pour chercher du fourrage. À 4 h, rien n’était plus accessible. Et pourtant ce jour-là, elles avaient eu une double ration à 19 h. Le lendemain, l’auge était vide à minuit.

Par ailleurs, le film montre que les vaches se répartissent bien sur les aires paillées. Elles fréquentent bien les abreuvoirs et il n’y a pas d’attente. Ce mode de surveillance permet donc aussi de se conforter sur certaines choses.

La vidéo, une occasion de revoir les fondamentaux

Les éleveurs ont redécouvert des fondamentaux en analysant les images et en discutant avec le conseiller. La grille d’appréciation du remplissage du rumen (voir ci-contre) est un bon indicateur de disponibilité de la ration. Si plus de 20 % des vaches sont en dessous de 3, il y a un problème sur le troupeau, probablement lié à l’accès au fourrage. En dessous de ce seuil, l’explication est d’ordre individuel (vaches en début de lactation ou malades).

Depuis, les éleveurs ont révisé leurs repères sur ce sujet. Aujourd’hui, ils regardent les animaux différemment et savent détecter les vaches qui n’ont pas assez mangé. Désormais, ils viennent repousser le fourrage à l’auge chaque soir vers 22 h. Les deux associés s’en chargent chacun un jour sur deux. C’est un peu contraignant, d’autant plus qu’ils n’habitent pas sur place. Mais ils tiennent à ce que les vaches se nourrissent régulièrement.

Repousser plus souvent pour assurer une consommation régulière

Ils n’envisagent pas de distribuer le soir. Ils ont fait l’expérience d’une distribution quotidienne en deux temps, mais n’ont pas été convaincus. « Toutes les vaches viennent à l’auge quand elles entendent la mélangeuse et cela provoque des pics de consommation. Nous préférons repousser la ration plusieurs fois par jour. Les vaches s’y sont habituées et leur ingestion nous semble mieux répartie au fil du temps. »

L’option du robot pousse-fourrage ne les tente pas non plus. L’aménagement n’est pas adapté, il faudrait réaliser des travaux. En revanche, Fabrice pense qu’avec une auge creuse, le fourrage resterait plus accessible. Ici, un revêtement à base de résine a été posé il y a vingt ans. Un avantage indéniable pour la propreté. L’auge n’a jamais été nettoyée. Mais les vaches trient et repoussent facilement ce qu’elles aiment moins. En été, les éleveurs ajoutent de l’eau dans la mélangeuse (2 kg/VL) pour agglomérer la ration et limiter le tri.

Avec quelques mois de recul en repoussant le fourrage une fois de plus le soir, les éleveurs constatent que les taux sont plus réguliers. Dans un premier temps, la production par vache est restée stable pendant l’été par rapport à la même période l’année précédente. Mais dans les élevages de la région, elle a diminué en raison de la chaleur. Le TB a gagné 2,1 points. Cependant, la productivité des vaches a commencé à remonter en automne et elle est à 29 kg début novembre. « Nous avons donné un peu plus de correcteur azoté pour atteindre notre objectif de 16 % de MAT dans la ration. Ça coûte un peu plus cher, mais les vaches répondent », remarque Fabrice.

À l’avenir, il va continuer à rechercher une ration aussi stable que possible pour gagner en lait. Il mise également sur une augmentation de la qualité des fourrages, avec des fauches plus précoces.

Pascale Le Cann

© P.L.C. - Repousser. Pour que les vaches puissent se nourrir régulièrement et sans à-coups, l’auge ne doit jamais être vide. Désormais, les éleveurs repoussent une dernière fois à 22 h.P.L.C.

© P.L.C. - Bonbon. Les vaches adorent le fourrage frais. Il faut une place à l’auge par tête.P.L.C.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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