Comment les producteurs de la Manche affrontent la crise

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Faire le gros dos. Ils produisent un peu plus de lait, poursuivent la réduction des charges­, diffèrent le paiement des fournisseurs et sollicitent les soutiens publics. Mais la mauvaise récolte de céréales n’a pas récompensé ces efforts en 2016.

Dans la Manche, premier département laitier français, CERFrance Normandie Ouest publie les résultats de 146 exploitations spécialisées en lait qui clôturent en décembre (échantillon représentatif). Ils préfigurent des résultats de mars et juin 2017. Ils intègrent en effet la mauvaise récolte de céréales 2016 et les aides conjoncturelles perçues. Ils chiffrent également les efforts de baisse de charges réalisés par les producteurs en 2016 et qui continuent cette année. « Il faut placer ces résultats dans le contexte de la Manche, souligne Baptiste Fos, chargé d’études au CERFrance Normandie Ouest. Alors que les livraisons baissent de 2,5 % en France en 2016, celles de ces 146 exploitations augmentent de 3,8 %. Elles sont à l’image de ce qui se passe dans le département. Les coopératives Isigny Sainte-Mère et Maîtres laitiers ont besoin de lait pour alimenter les investissements récemment réalisés. »

Le volume en plus compense

Ces exploitations ont vendu en moyenne 17 960 litres de plus, ce qui porte leurs livraisons à 494 520 litres et compense quasiment la baisse du prix du lait de 16 €/1 000 litres. Il s’élève à 322 €. Le produit lait 2016 est équivalent à celui de 2015… qui, lui, avait baissé de 20 800 € (- 12 %, voir aussi infographie ci-contre). « Si l’on sait qu’en période de crise, accroître les volumes l’entretient, à l’échelle individuelle, force est de constater que cela permet de maintenir le chiffre d’affaires. Au minimum, il faut assurer sa référence contractuelle pour faire face aux charges de structure. » On ne s’y attendait pas, mais ce sont en fait les céréales et la viande qui sont, en 2016, les principales responsables du recul du chiffre d’affaires de 9 500 €. La faute aux mauvais rendements (- 4 500 €) et à la baisse du prix de la viande (- 2 420 €).

10 000 € de charges en moins

5 500 € de dépenses en aliments en moins. L’achat d’aliments représente 35 % des charges opérationnelles. Ils sont le premier levier que les producteurs, logiquement, actionnent pour résister à la crise. Ceux en clôture comptable de décembre économisent 5 500 € de concentrés achetés et produits. Ils ne gagnent pas en efficience concentrés-lait par vache, mais profitent de la baisse de 8 % du prix de l’aliment du commerce. « Les clôtures comptables de décembre sont moins performantes que celles des autres périodes. Les producteurs concernés ont produit un peu plus de lait par vache avec un peu moins de concentrés. C’est nouveau. En 2015, ce ratio technique n’avait pas bougé. »

Des impasses en engrais et amendements sont faites. Elles sont classiques en situation économique difficile. Elles se chiffrent à 840 € par rapport à 2015 (- 7,5 %).

Les charges de structure hors amortissements réduites de 4 000 €. La baisse des charges de structure joue également son rôle dans la capacité des éleveurs à faire face à la crise. « C’est rare, insiste Baptiste Fos. Habituellement elles augmentent de 2 à 3 % tous les ans. » Ce sont les charges sociales qui baissent le plus : - 20 %. Pour cela, les éleveurs ont choisi l’assiette annuelle pour le calcul des cotisations afin de « profiter  » des mauvais revenus 2015. Cette possibilité est aussi offerte cette année. « En couplant à la baisse de 10 points du taux de cotisations sociales décidée par le gouvernement, ce sont 2 850 € en moins. »

Sur un total de 8 640 €, les frais financiers reculent, eux, de 500 € (- 5,5 %). La négociation d’une année blanche de remboursement et de taux d’intérêt plus avantageux, le ralentissement des investissements (en moyenne 20 %), mais aussi une baisse des emprunts à court terme en sont à l’origine. « Le montant des courts termes et découverts bancaires passe de 30 600 € en 2015 à 27 000 € en 2016. Les éleveurs restructurent une partie de leurs emprunts à court terme en long et moyen termes. Ils font aussi patienter leurs fournisseurs. Leurs dettes passent de 66 000 € à 73 200 €. » Enfin, la baisse du cours du pétrole permet une économie de carburant de 650 €.

4 000 € d’aides conjoncturelles et un EBE stable

Fonds d’allégement des charges (pour ceux qui l’ont perçu), prise en charge de la MSA, exonération des taxes foncières et d’habitation dans la Manche, CERFrance Normandie Ouest mesure le soutien des pouvoirs publics à, en moyenne, 4 000 € par exploitation. « La mauvaise récolte en céréales efface son effet », analyse Baptiste Fos. Malgré tout, grâce à ces aides conjoncturelles et à une gestion affinée des charges poste par poste, l’EBE 2016 se stabilise à 73 400 €, c’est-à-dire – qui l’aurait cru – 1 550 € de plus qu’en 2015. « Seulement, sous le poids des annuités sans doute un peu gonflé par des restructurations bancaires, le revenu disponible dégringole en moyenne à 13 680 €, soit 8 000 € par Utaf. Le calibrage des annuités à ce que peut supporter l’exploitation est l’un des principaux leviers dans les mains des producteurs », estime-t-il.Cela d’autant plus que le dispositif d’aides conjoncturelles n’est pas reconduit cette année.

Quatre propositions pour 2017 et après

Moduler les échéances bancaires. Pour oxygéner la trésorerie, il est possible de souscrire des emprunts dont l’annuité varie à la hausse ou à la baisse selon la conjoncture ou le revenu.

Des pauses contractuelles de remboursement d’annuités. C’est en fait une année sans annuités ou seulement avec le paiement des frais financiers . « Ce type de contrat est plus facile à obtenir de la banque qu’une restructuration d’emprunts. » Il ne génère pas de frais bancaires en plus et ne s’applique pas en général sur les prêts matériels. « Pour faciliter son déclenchement, mieux vaut anticiper en réalisant un prévisionnel de résultats. »

Accepter des solutions innovantes pour l’achat du matériel . L’objectif est de limiter le montant des annuités et des frais de mécanisation. « Même si ce n’est pas toujours simple, je suis persuadé que l’investissement en commun via une Cuma ou en copropriété est l’avenir. Des plateformes de location de matériel en ligne commencent aussi à se développer », déclare Baptiste Fos.

Réduire le coût alimentaire de l’atelier lait. Régulièrement évoqué, ce levier est toujours d’actualité. CERFrance Normandie Ouest constate un écart de 21 €/1 000 litres entre les 25 % plus et moins efficients. « En cohérence avec le système de production, plus de pâturage quand les conditions météo le permettent, diminuer l’âge au vêlage des génisses, un peu moins de génisses élevées, etc., donnent des résultats.  »

Claire Hue
Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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