« NOUS AVONS FAIT LE PARI D'ÊTRE LÀ DANS QUINZE ANS »

PHOTOS © JEAN-FRANÇOIS MARIN
PHOTOS © JEAN-FRANÇOIS MARIN (©)

EN DEUX ANS, PRÈS DE DEUX MILLIONS D'EUROS ONT ÉTÉ INVESTIS PAR LA FAMILLE GIRAUD ET SES PARTENAIRES. UN PARI OSÉ MAIS RAISONNÉ POUR PRÉPARER L'AVENIR.

A SAINT-CYR-LES-VIGNES, DANS LA LOIRE, LE NOUVEAU BÂTIMENT EN BOIS de la famille Giraud se distingue bien dans le paysage de la plaine du Forez. Avec sa toiture recouverte, au sud, de 1 800 m2 de panneaux photovoltaïques, la stabulation à logettes (100 vaches), avec robot et séchage en grange, ne passe pas inaperçue. Elle illustre le pari osé mais raisonné d'un Gaec en quête d'autonomie alimentaire et énergétique.

À l'origine en système classique maïs-ensilage d'herbe, le Gaec de la Ferme des délices s'est tourné vers la luzerne, une culture peu gourmande en intrants et intéressante, aussi bien sur le plan agronomique qu'alimentaire. Il en cultive aujourd'hui 35 ha. « Qui dit maïs dit soja, explique Guy Giraud, associé avec son fils Charles depuis 2009. Or, compte tenu des évolutions du coût des tourteaux et de l'énergie qui n'iront pas en diminuant, et des niveaux de production et du potentiel de notre élevage, 750 000 l avec des vaches à 11 000 kg en moyenne au contrôle laitier, nous avons choisi de bifurquer vers cette légumineuse pour sécuriser l'avenir de notre système. »

Initialement enrubannée ou séchée au sol, la luzerne est séchée en grange depuis avril 2010. Indispensable pour son apport en énergie, le maïs a été gardé en partie mais sous forme d'épis. Associé à la luzerne, il permet de maintenir des niveaux corrects de TP. La stratégie colle bien au contexte de l'exploitation située en « zone nitrates » (moins de 170 unités d'azote minérale et organique par hectare), dont 8 ha autour de deux puits de captage sont soumis à des contraintes environnementales particulières.

Les investissements engagés ces deux dernières années s'élèvent à près de 2 millions d'euros (M€). De quoi effrayer plus d'un producteur de lait.

« LE GAEC N'A INVESTI “QUE” 0,5 M€ SUR 2 M€ »

« Avant de nous prendre pour des fous, avertit notre interlocuteur, il faut savoir que ces investissements ont été réalisés dans le cadre d'un montage financier innovant qui allège considérablement la charge et le risque reposant sur l'exploitation. » La carcasse du bâtiment (400 000 €) ainsi que l'installation photovoltaïque (1,06 M€) ont en effet été construites par la société Giraud Agri Énergie. Constituée entre la famille Giraud et Énergie partagée, une association de l'épargne solidaire, c'est elle qui a investi 1,46 M€ (voir « Parole d'éleveur » p. 85). Avec de solides garanties en face : un contrat EDF courant sur vingt ans avec un tarif optimum de rachat d'électricité (0,60 €/ kWh) et, qui plus est, indexé ! Pour l'utilisation intérieure du bâtiment, le Gaec paie une location annuelle de 2 000 €.

« Le Gaec n'a en fait investi “que” 500 000 dans l'aménagement de la stabulation, l'acquisition d'un robot, les cellules de séchage en grange, la griffe à foin et une autochargeuse. » Ce qui, aux yeux de Guy, « n'est pas si énorme pour un troupeau et un niveau de production comme les nôtres ». La mise de fonds du Gaec correspond à une annuité de 41 250 € pendant quinze ans. « Sur l'exploitation, des prêts arrivent à terme à partir de la fin de l'année 2012, note Guy. Leur échéance se télescopera avec les économies attendues sur l'alimentation des laitières, 10 000 à 12 000 € de tourteaux et de concentrés en moins, et sur les coûts de récolte-bottelage et plastique. »

« DE 539 000 À 650 000 L EN DEUX ANS SANS ANICROCHE »

Les éleveurs tablent également sur l'augmentation de la production laitière pour rentabiliser leur investissement. Sur ce plan-là, l'évolution est favorable : en 2011, avec 626 000 l de lait livrés et 24 000 l transformés en glaces à la ferme, les prévisions ont été dépassées de 100 000 l. Qui plus est, pour l'instant, le prix de vente du lait de laiterie (343 €/1 000 l) est bien supérieur au prix retenu dans l'étude économique : 290 €/1 000 l.

La mise en service, en juin dernier, de la stabulation à logettes paillée avec un couloir raclé a considérablement modifié les conditions de travail des éleveurs. La capacité de l'ancienne stabulation paillée (45 vaches) ne collait plus à l'effectif du troupeau (70 vaches).

Avec l'installation de Charles, permise par la reprise de 46 ha dont 40 ha labourables et 230 000 l de quota, il a fallu faire preuve d'une grande vigilance pour produire 600 000 l, sans que les niveaux de production et la qualité laitière n'en souffrent. « Pour traire, il fallait cinq heures par jour avec notre épi 2 x 4 sans décrochage. » Outre un gain de temps, le nouveau bâtiment clair et spacieux assure un meilleur suivi des animaux. Un aspect auquel Charles, passionné d'élevage, est particulièrement sensible. « Les pesées des laitières au robot et le suivi d'activité des vaches, grâce au collier de rumination, nous permettent de suivre de près les pertes et les reprises d'état. Ils nous aident à inséminer au bon moment. Nous ne nous acharnons pas à faire remplir une vache qui fait 50 kg de lait. Avec 2,2 IA par IA fécondante au lieu de 2,7, les résultats de reproduction se sont d'ores et déjà améliorés les quatre derniers mois. »

« AVEC UN TEL RÉGIME, LES VACHES REPRENNENT VITE DU POIDS »

La modification de la ration (passage de ration complète à semi-complète) a aussi contribué à ces résultats. En ration complète équilibrée à 35 kg de lait, les vaches en début de lactation enregistraient de grosses pertes d'état. Aujourd'hui, la ration mélangée apportée à l'auge est calée sur une production de 32 kg de lait.

Une complémentation (6 kg maximum de tourteau de soja 48 % et de VL très appétente contre 9 kg dans l'ancien bâtiment) est distribuée individuellement au robot. Cette fin d'hiver, la ration se composait de 10 kg de foin de luzerne (87 % de MS, 0,78 UFL, 206 g de MAT, 128 de PDIN, 102 de PDIE, 54 de PDIA), 8,2 kg d'épis de maïs, 12 kg bruts de maïs ensilage, 500 g de tourteaux de colza gras, 600 g de graines de lin extrudée, 500 g d'orge, 500 g de maïs grain et du minéral enrichi en levures vivantes. Du propylène est distribué en plus au Dac du robot pour les débuts de lactation et les vaches à forte production. Avec un tel régime, les vaches reprennent vite du poids.

« LE MAÏS ENSILAGE VALORISE LA RATION »

« L'automne dernier, précise Charles Giraud, compte tenu du manque de foin lié à la sécheresse de printemps, nous avons comblé le déficit en ensilant du maïs et en le distribuant aux vaches, à raison de 12 kg bruts par jour. Nous avons réduit le foin d'autant. Avec le recul, l'affaire a été concluante : le maïs ensilage a permis une meilleure valorisation de la ration. Sans remonter la ration en protéines, les vaches ont fait autant de lait et les bouses se tenaient bien. Auparavant, les animaux gaspillaient un peu de protéines en triant le foin. »

Le tourteau de colza gras est issu des graines cultivées sur l'exploitation et triturées dans la presse à huile, acquise dans le cadre de la Cuma de Feurs en 2007. « Avec, au mieux, 7 ha de colza par an, soit une quinzaine de tonnes de tourteaux récupérées, nous sommes loin d'être autonomes, souligne Guy Giraud. Nous devons acheter du tourteau de soja, surtout cette année avec l'ensilage maïs réintroduit pour pallier la sécheresse du printemps 2011. Naturellement riche en oméga 3, comme la luzerne, l'intégration du tourteau de colza gras nous permet toutefois de limiter les achats de graines de lin à 10 t par an. Coûteux (711 /t), ils sont incontournables pour coller aux exigences de la filière lait oméga 3 de Sodiaal (+ 16 /1 000 l). Il en faudrait le double si nous étions en ration maïs. Très bonne tête de rotation, le colza donne de bons rendements dans nos terres (35 q, voire 40 q/ha) et nous offre des possibilités de diversification culturale. »

Renouvelée tous les quatre ou cinq ans environ à raison de 7 à 10 ha par an, la luzerne ne nécessite pas d'engrais azoté et constitue également un très bon précédent cultural. Sa culture (avec ou sans irrigation selon les parcelles) fait l'objet de beaucoup de soins, ce qui permet de faire jusqu'à cinq coupes par an pour un rendement moyen de 12 t de matière sèche à l'hectare. Depuis plusieurs années, les semis de luzerne effectués au printemps sous couvert d'avoine se font sous forme de mélange : 29 kg de luzerne à l'hectare, 1,5 kg de dactyle, 1,5 kg de fétuque, 1 kg de trèfle blanc et, éventuellement, 1 kg de lotier. La présence de ces différentes espèces permet de répondre à l'hétérogénéité des terrains et contribue à la propreté des parcelles. « Lors du fanage, précisent Guy et Charles, la présence des graminées favorise le séchage. La graminée porte la luzerne : nous perdons moins de feuilles et nous augmentons le potentiel de rendement. »

Les terrains au pH autour de 6,5 reçoivent chaque année 12 t/ha de fumier composté, 900 kg de carbonate de calcium (à 46 %) et 120 unités de sulfate de potassium (200 en comptant la potasse comprise dans le compost). Les luzernières reçoivent également du bore car les sols de l'exploitation en sont carencés. La première coupe a lieu dès avril, ce qui permet de faire en juin une coupe spectaculaire. Particulièrement riches en protéines, les premières coupes d'avril titrent autour de 24 % de MAT. Les secondes coupes, réalisées mi-juin et destinées à faire davantage de fibres, titrent encore 20 % de MAT. « Nous attendons d'avoir au moins 10 % de fleurs pour la récolter. » Pour ne pas détruire leur luzerne, les agriculteurs veillent à la couper haut. « Depuis que nous pratiquons le séchage en grange, nous limitons le passage d'outils pour réduire la perte de feuilles. Et nous ne récoltons jamais après 14 heures en pleine chaleur. »

« NOUS SOMMES MOINS VULNÉRABLES EN CAS DE HAUSSE DES INTRANTS »

À cause de leur degré de spécialisation herbagère et de la priorité donnée à la production de fourrages de qualité, les éleveurs ont investi dans une chaîne performante de récolte du foin (faucheuses combinées, autochargeuse...). En revanche, le matériel de travail du sol, d'épandage et de pressage de la paille est en Cuma. L'exploitation possède trois tracteurs : un neuf de 155 ch polyvalent haut de gamme, un de 100 ch et un tracteur de 65 ch équipé de roues étroites (tous deux ont plus de dix mille heures au compteur). « Si besoin, nous ferons appel au télescopique ou au tracteur de la Cuma

Aujourd'hui à la tête d'un système de production calé, Guy et Charles Giraud entendent bien récolter, dès cette année, les fruits de leur stratégie.

« Nous sommes capables désormais d'établir un calendrier prévisionnel en début d'année et de le tenir, sauf si nous rencontrons un problème climatique de gel ou de sécheresse, ce qui est quasiment impossible en système classique. Nous sommes moins vulnérables par rapport à une baisse de prix du lait grâce à nos diversifications (photovoltaïque et transformation à la ferme). Nous sommes moins exposés aux hausses des coûts de production du fait de notre relative autonomie alimentaire. Nous avons su et pu saisir l'occasion d'une diversification énergétique qui ne donne pas de travail et qui rapporte tout de suite un revenu : 150 000 de chiffre d'affaires annuel, soit 60 000 de trésorerie pour Giraud Agri Énergie. Par rapport au réchauffement climatique, nous sommes bien placés : le soleil fait vendre nos glaces, produit de l'électricité et fait pousser le maïs et la luzerne ! » Sereins malgré le poids de leur investissement…

ANNE BRÉHIER

Le nouveau bâtiment en bois abrite la stabulation à logettes de 100 places. Sa toiture est recouverte de 1 800 m2 de panneaux photovoltaïques.

La griffe à foin sert aussi à pailler les logettes et à manipuler le fumier stocké en bout de bâtiment.

Les glaces sont vendues en restauration, boulangerie-patisserie et dans deux GMS. La SARL familiale Délices foréziens réalise un chiffre d'affaires de 170 000 €, et occupe trois personnes : Geneviève, sa fille Julie (à temps partiel) et une salariée pour 30 heures

Pour nourrir les veaux, un « taxi lait » de 200 l a été préféré au Dal. Motorisé et équipé d'un programmateur, il régule la température et le volume distribué. « Nous pouvons aussi déléguer le travail des veaux en confiance. »

Le tourteau de colza gras est issu des graines cultivées sur l'exploitation et triturées dans la presse à huile point fixe acquise par la Cuma de Feurs en 2007. 200 t y sont traitées chaque année. Les tourteaux sont récupérés par les adhérents, l'huile vendue en alimentaire à un prix de 1 000 €/t..

Le robot repousse la ration mélangée. Loin d'être un gadget coûteux (13 000 €), il dope l'ingestion. Outre un gain de production, il soulage les agriculteurs : « Nous n'avons pas à nous demander si les vaches ont à manger ou non. »

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Thomas Pitrel dans sa prairie de ray-grass

« La prairie multi-espèce a étouffé le ray-grass sauvage »

Herbe
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

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