
En Irlande. Shane Fitzgerald conduit 450 vaches à l’herbe en vêlages groupés. Toute sa stratégie est basée sur la valorisation maximale de l’herbe pâturée, l’aliment le moins coûteux pour les laitières.
Lorsqu’il a ouvert sa ferme aux membres d’EDF (1) lors du congrès de 2009, Shane Fitzgerald, éleveur en Irlande, avait 160 vaches sur 83 ha (2). Installé depuis un an, il prévoyait de monter à 180 vaches après la fin des quotas pour caler l’effectif sur le potentiel des prairies. Aujourd’hui, alors qu’il accueille un nouveau groupe d’éleveurs européens, son troupeau compte 450 laitières sur 233 ha.
Shane a 43 ans, il est marié et a quatre enfants. La croissance fulgurante de son élevage reflète ce qu’a vécu l’Irlande, où la production laitière a doublé en dix ans. Shane a investi plus d’1,50 M€ sur cette période. Le statut de compagnie privée de l’exploitation l’a bien aidé. « Le taux d’imposition est fixe, à 12,5 %. Cela me laisse une capacité d’investissement confortable. » Les banques l’ont suivi. Shane a d’abord repris la ferme de son père, puis il s’est associé avec son oncle.
« J’ai saisi les opportunités qui se présentaient »
Il explique son expansion très simplement. « J’ai eu des opportunités, je les ai saisies. » En 2013, il a pu acheter 22 ha et le troupeau est monté à 220 vaches l’année suivante. En 2016, il a construit un bâtiment pour 280 vaches. En 2019, il a acquis 28 ha et le troupeau a atteint 430 têtes en 2020. « Ici, c’est l’accès à la terre qui détermine la production. » L’herbe pâturée constitue la base de la ration pendant 280 à 290 jours par an. Les surfaces intéressantes sont donc celles qui jouxtent la ferme. Chez Shane, la croissance s’est organisée autour de deux sites distants de 8 km. L’un héberge les vaches, l’autre les génisses. Sur le premier, l’éleveur exploite 143 ha dont 83 en propriété.
« Mon objectif est de produire 1 650 kg de MU (matière utile) par hectare. » Un critère peu utilisé en France mais qui trouve toute sa justification dans les systèmes herbagers irlandais. Shane sait qu’à ce niveau la rentabilité est assurée. La conduite du troupeau a évolué pour approcher de cet objectif. « En calant la production laitière sur la pousse de l’herbe, on valorise un maximum de pâturage », poursuit-il. Petit à petit, il a donc concentré la saison des vêlages au printemps. Ceci l’a conduit à abandonner la holstein et à se lancer dans le croisement trois voies il y a vingt ans. « En vêlages groupés, la fertilité est essentielle. La holstein ne se reproduisait pas assez bien. » La saison des inséminations dure neuf semaines. Ensuite, des taureaux prennent le relais. L’élevage en possède cinq, de race angus ou hereford. Shane a commencé à utiliser des doses sexées. Il veut éviter de faire naître des mâles qui se vendent mal, notamment ceux ayant du sang jersiais.
Maximiser le pâturage l’a aussi conduit à mener le troupeau en deux lots. Les plus jeunes, celles qui marchent vite, vont pâturer plus loin. Selon le temps de parcours, elles passent en monotraite. Les autres restent auprès des bâtiments et sont traites deux fois par jour. Shane surveille la pousse de près. « Pour avoir de l’herbe, il faut s’en occuper. » Pendant la saison de pâturage, il prend des échantillons dans toutes les parcelles tous les quatre, cinq jours. En hiver, il le fait une fois par mois. Cela lui prend 1 h 30 parce qu’il dispose d’une bonne expérience. Ces mesures lui permettent de connaître la vitesse de pousse et, compte tenu des prévisions météo, de prévoir la disponibilité à venir.
Du trèfle pour réduire les besoins en azote
S’il anticipe un excédent, il fauche. À l’inverse, s’il prévoit un manque de pâturage, il distribue de l’ensilage. L’objectif est de maximiser la pousse et d’éviter de sous- ou surpâturer. La fertilisation est indispensable pour atteindre les rendements affichés par Shane, 15 à 16 tMS/ha. « Avant, on sortait le lisier, maintenant, on le valorise. Les engrais sont chers », explique l’éleveur. Shane fait des analyses de lisier et de terres tous les ans. Les apports de P et K sont calculés sur cette base. Les prairies reçoivent du lisier au printemps, puis des engrais minéraux. Shane peut apporter jusqu’à 220 unités d’azote (UN) minéral/hectare.
Il a commencé à semer chaque année du trèfle blanc en sursemis sur 10 % de sa surface en prairie, à l’instar de nombreux éleveurs irlandais. C’est une préconisation de Teagasc (voir encadré p. 118) afin de réduire les besoins en azote. En effet, le pays dispose d’une dérogation permettant d’apporter 250 UN organique/ha. Elle pourrait être remise en question.
Il a choisi de se concentrer sur l’élevage pour optimiser les résultats. Il a vendu son matériel et délègue les travaux à une entreprise. Même le tracteur est parti ! Il l’a remplacé par un Bobman. Le groupage des vêlages induit une pointe de travail élevée au printemps. Shane embauche alors deux saisonniers, souvent des étudiants, afin d’assurer une surveillance 24 heures/24. Une fois ce cap franchi, la charge se réduit car tous les animaux sont dehors. Il n’y a plus de ration à distribuer, de logettes à nettoyer… Restent la surveillance et la traite.
L’évolution rapide de la ferme a conduit Shane à s’adapter. « Au début, je travaillais seul avec mon père. On s’organisait facilement au cours de repas partagés. Ensuite, il a fallu que je devienne aussi un patron. » Il emploie deux salariés hollandais à plein-temps. Car en Irlande aussi, trouver de la main-d’œuvre pose problème. Ils travaillent 48 heures par semaine en moyenne, mais jusqu’à 60 ponctuellement. Le salaire minimum s’élève ici à 10,50 € bruts/h, avec un taux de charges à 23 %. Shane offre aussi le logement à ses salariés et leur laisse une voiture à disposition.
L’éleveur envisage une pause dans les investissements, le temps de consolider son système. « Je suis endetté à hauteur de 1,20 M€. Mes résultats doivent rester à un haut niveau pour assumer cette charge. » La part de terres en propriété représente une sécurité importante. Car les locations se font le plus souvent à l’année. Cependant, les propriétaires qui s’engagent à louer au même agriculteur pendant au moins cinq ans bénéficient d’une défiscalisation du montant des loyers. Grâce à ce système et aux 99 ha qu’il possède, l’éleveur se sent assez serein. Mais si des opportunités d’achat de terres se présentent, Shane les étudiera, même au prix de 25 000 €/ha. Il réfléchit à un investissement dans une salle de traite. La sienne, une 2 × 20 en simple équipement, a vingt ans et fonctionne encore très bien. « Mais les vaches passent beaucoup de temps à la traite, c’est autant de moins au pâturage », justifie-t-il.
La menace de la réglementation sur le climat
Shane s’inquiète aussi d’une évolution de la réglementation sur la fertilisation azotée. Les engagements de l’Irlande sur la réduction des gaz à effet de serre pourraient avoir un impact sur l’élevage. Il travaille sur ce sujet avec sa laiterie, Glanbia.
Ce système très herbager est assez représentatif de l’élevage laitier irlandais. Shane l’estime très vertueux mais constate que les citoyens en veulent toujours plus. « C’est un vrai challenge. Il nous faut expliquer comment on travaille et pourquoi les fermes s’agrandissent », constate l’éleveur. Il mise sur l’éducation et se rend régulièrement à l’école de ses enfants pour parler de son métier. « J’aime ce que je fais, la production laitière me permet de vivre bien et je suis heureux. »
Pascale Le Cann
(1) EDF : European Dairy Farmers, association regroupant près de 500 éleveurs laitiers européens.
(2) Voir L’Éleveur laitier n° 173, octobre 2009, pages 32-33.








« J’ai opté pour un système très simple car c’est rentable »
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