« Malgré un début difficile, ma motivation reste intacte »

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Alexis Langlois a repris, le 1er avril, une exploitation hors cadre familial avec un ami. Celui-ci s’est retiré quelques mois après. Depuis, seul, il fait face à 700 000 € d’emprunts et 200 000 litres en moins.

Alexis Langlois est stressé mais reste déterminé. Il s’est installé le 1er avril en Gaec avec un copain de lycée mais depuis le mois de novembre, il est seul aux commandes de l’exploitation de 90 ha et 75 vaches pour une référence de 533 000 litres en 2017et 633 000 litres la prochaine campagne. La politique d’Eurial, la branche lait d’Agrial, est en effet d’accorder 200 000 litres à chaque JA, mais en deux temps. Après sept mois de travail en commun, son associé s’est retiré. La tuile pour ce jeune de 23 ans qui a su aller au bout de son rêve : être éleveur laitier. « Mes parents ne sont pas agriculteurs, mais pour moi, le devenir est une passion depuis toujours. » Un projet qu’il n’envisageait pas seul, afin de partager ses interrogations, d’avoir une souplesse de travail et de prendre plus facilement les décisions. « En quatre ans, nous avons étudié cinq reprises dont trois de façon poussée. C’est finalement avec cette sixième que mon ex-associé et moi avons concrétisé notre projet. » Une exploitation visitée une première fois fin 2015 par l’entremise de l’agence de transactions agricoles Quatuor Transactions, mais qui n’avait pas retenu leur attention car trop chère.

« Je suis encore sous le choc de la rupture du Gaec »

« Les propriétaires en demandaient 756 000 € dont 140 000 € d’achat de maison. Six mois après, le montant de la reprise avait baissé de 161 000 €. Ils ont renoncé à la vente de la maison et de 2,5 ha sur les cinq proposés initialement. Nous avons demandé une baisse supplémentaire de 25 000 €, qu’ils ont acceptée. Nous sommes tombés d’accord sur un prix final de 570 000 € (détails ci-contre). » Avec du recul, Alexis regrette de ne pas avoir assez testé la capacité de son ex-associé et la sienne à travailler ensemble. « Nous l’avons fait uniquement durant deux mois, c’est-à-dire pendant le contrat de parrainage avec le cédant. Ce n’était pas suffisant. Il aurait fallu au moins six mois », juge-t-il. Encore sous le choc de la rupture du Gaec, Alexis se pose beaucoup de questions. Alors qu’ils avaient misé sur la polyvalence, fallait-il plutôt attribuer des tâches et responsabilités à chacun, évitant ainsi des flous – et donc des malentendus – dans l’organisation du travail ? N’auraient-ils pas dû instaurer des temps d’échanges hebdomadaires structurés dans un bureau aménagé de façon plus conviviale ? « Par exemple, un apéritif une fois par semaine pour discuter tranquillement, faire le point et dire ce qui nous a déplu. » Peut-être aussi n’avaient-ils pas suffisamment mesuré les contraintes pour l’ex-associé d’habiter sur place ? Malgré le dialogue de plus en plus difficile au fil des mois, ils n’ont pas fait appel à un médiateur pour dénouer les malentendus. « Nous étions trop immergés dans notre problème pour avoir cette lucidité. »

Aujourd’hui, le jeune éleveur fait face, seul, aux 66 230 € d’annuités liées à l’installation, dont la durée de remboursement paraît désormais courte : entre sept ans (stocks, matériel) et quinze ans (bâtiments). « Les banques ne prêtent pas au-delà de quinze ans », regrette Elise Simard, sa conseillère de gestion de CERFrance Normandie Ouest. Elles concernent les 570 000 € de reprise, mais aussi 70 000 € de prêt de trésorerie pour lancer l’entreprise, remboursé sur dix ans.

« Les 70 000 € n’ont pas suffi en raison notamment de réparations coûteuses sur un tracteur de 130 ch échangé avec l’un des repris. Un prêt à court terme de 10 000 € a été signé en juillet. Je le rembourserai au versement des aides Pac, qui est malheureusement reporté à février. En 2018, je ferai un court terme équivalent à la totalité de la Pac, soit 26 000 €. »

« Produire 200 000 litres de plus en deux ans »

L’achat d’un tracteur de 150 ch, d’une désileuse-pailleuse et d’une fourche équipée d’un peson pour 47 000 € monte les annuités à 72 000 €. Alexis n’a pas le droit à l’erreur et il le sait. Le départ de son associé complique son installation alors même que le projet était déjà ambitieux à deux. Il reposait sur l’augmentation des livraisons de 433 000 à 833 000 litres en deux ans grâce à l’attribution de 400 000 litres par Eurial. « Cela permettait de dégager rapidement un EBE pour rembourser les annuités et assurer une rémunération mensuelle de 1200 € par associé. C’est un peu plus que ce que nous percevions quand nous étions salariés agricoles. »

L’étude prévisionnelle, qui testait la résistance de l’exploitation à des marchés très dégradés, validait les orientations prises, à condition d’optimiser les charges et d’investir très peu ces prochaines années. Avec un prix moyen du lait à 290 €/1 000 l et des ­céréales à 120 € la tonne, le Gaec obtenait un EBE de 102 300 €. « La prévision montait à 152 400 € d’EBE pour un prix du lait de 350 €, qui est le niveau actuel. Cela donnait une marge de sécurité de 56 000 €, soit 67 €/1 000 l. C’était positif », se souvient la conseillère. Alexis a aujourd’hui 200 000 litres de référence en moins… et le même montant d’annuités. De plus, il vient d’embaucher un salarié à temps partiel. Dans la nouvelle simulation économique (pessimiste), l’EBE perd 14 000 € (voir p. 76). Elle est bâtie sur un prix du lait bas (320 €/1000 l) mais qui ne descend pas au niveau de la crise de 2016. Avec cet EBE, il a juste de quoi se rémunérer et payer ses annuités. Heureusement, le prix 2017-2018 devrait flirter avec les 350 €.

« La conduite d’un système intensif me convient mieux »

Il faut dire que dès le départ, Alexis a mis la barre haut. La volonté de produire 200 000 l de plus que ses prédécesseurs en deux ans s’accompagne d’un virage à 180° de l’exploitation. Les 60 normandes de Bernadette et Jacky Oblin, les cédants, pâturaient 8 ha autour des bâtiments et n’étaient traites que le matin en août. Lui prend une tout autre voie : des vêlages étalés, un pâturage réduit de moitié, une surface en maïs qui passe de 22 à 32 ha aux dépens des prairies et des vaches en ration hivernale toute l’année. « Mon expérience salariée m’a appris qu’on ne peut pas être entre deux systèmes. Soit on développe un système économe, soit on l’intensifie. Je préfère le second. Et de toute façon, les emprunts sont fondés sur lelait. Il faut produire le maximum. » Depuis le 1er avril, avec son ex-associé et aujourd’hui seul, il engage une course contre la montre : augmenter à la fois le troupeau et la production par vache. Cela passe par l’achat d’animaux de race… holstein. Il réforme 42 normandes. « Elles souffraient de boiteries ou n’étaient pas assez productives à mes yeux. J’ai gardé les meilleures. » Il autofinance ainsi une bonne partie des 40 vaches et 10 génisses holsteins achetées, « contrôlées par des prises de sang ». Il trait actuellement autant de normandes que de prim’holsteins. Ces acquisitions en nombre ont leur part de risques. Il a perdu 11 laitières. Plus de la moitié sont des vaches achetées.

Trouver le bon compromis entre des vaches productives et le coût alimentaire

Parallèlement, il soutient les lactations par un concentré de production, y compris les fins de lactation qui composaient cet été près de la moitié du troupeau, 28 % fin novembre. Cette double stratégie d’holsteinisation et de niveau d’étable porte ses fruits. La production par vache a augmenté de 800 kg en huit mois. Avec une ration hivernale toute l’année, il ne faudrait pas que cette intensification animale se traduise par des coûts fourragers et surtout de concentrés élevés. Ce souci anime les échanges entre Morgan-Adrien Geuffrard, le conseiller de Littoral Normand (p.77), et Alexis. La maîtrise de ces charges est en effet l’un des points clés de la réussite de l’installation.

Claire Hue
Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
journée technique sur la tuberculose bovine

La tuberculose bovine fait frémir les éleveurs bas-normands

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