Avant la fin des quotas, le Gaec Croix aux vents a investi lourdement pour faire face à des départs d’associés et à une augmentation de la production. Aujourd’hui, payer les annuités avec le prix du lait actuel se fait en actionnant tous les leviers possibles pour réduire les charges.
L’année 2013 a été celle du changement au Gaec Croix aux vents. Quatre des six associés sont partis, un autre l’a intégré. Et avec lui, 320 000 litres de lait et 68 hectares. La main-d’œuvre disponible devenant problématique et la salle de traite 2 x 8 insuffisante, l’option du robot de traite est actée. « J’ai clairement choisi d’économiser 1 UTH grâce à l’arrivée de deux robots de traite, explique Yoann Vêtu. Brancher 150 vaches matin et soir était hors de question ! Avec quelques années d’expérience derrière nous, nous ne reviendrions pas en arrière. »
Dans l’ambiance favorable de l’après-crise de 2009, les associés choisissent la formule « toutes options » : comptage cellulaire, pesage du lait, collier mesurant la rumination, l’activité et les chaleurs. « Ce choix était guidé par la volonté d’être le plus performant techniquement et économiquement. » Rapidement, 140 vaches sont traites quotidiennement. Deux robots n’y suffisent plus. Un troisième est acquis en 2014.
« Il faut vérifier l’intérêt de chaque poste »
Ajouté au rachat de parts des associés partis qui pèse déjà lourd, l’investissement de 370 000 € pour les installations de traite est assumé par 1 250 000 litres de lait rémunéré au prix A et 290 000 litres proposés par leur laiterie Laïta au prix B, alors de 360 €/1 000 litres. C’était sans compter sur le revirement des marchés. Au cours de la campagne 2015-2016, la chute du prix du lait entraîne une baisse de 100 000 € de l’EBE, dont 70 % dus à l’atelier lait, alors que les annuités sont loin d’avoir diminué. « Notre priorité a été d’endiguer cette baisse, détaille Yoann. Nous ne pouvons pas décider du prix de vente de notre lait, mais nous avons la main sur nos charges. Pour passer les périodes délicates, il faut arrêter tout ce qui est superflu et se remettre en question. » Partant de ce principe, les associés détaillent chaque poste pour voir si une optimisation est possible, à commencer par l’auge. L’aliment concentré du commerce en fait les frais en juillet 2016. « Nous avons opté pour un aliment à la carte proposé par notre coopérative. Fabriqué à partir de matières premières simples achetées six mois à un an à l’avance, il est mieux ajusté à la valeur des fourrages de l’année. Nous avons ainsi économisé 10 000 €. » La ration semi-complète distribuée à l’auge est volontairement limitée à 18 kg de lait afin d’individualiser au maximum au robot. Elle se compose d’ensilage de maïs et d’herbe, de foin, de luzerne, de tourteau de soja et colza, de carbonate, de phosphate mono-calcique, d’un complément minéral et vitaminique et d’un soupçon de Smartamine. « Si la ration à l’auge était équilibrée à 20 kg, les 10 à 15 % de vaches en dessous seraient suralimentées avec les 500 g d’aliment VL minimum distribué au robot pour les faire venir. Avec une ration à l’auge équilibrée à 18 kg, elles n’ont que le strict minimum sans faire de gâchis. En revanche, les plus fortes productrices reçoivent au robot jusqu’à 4 kg de VL 5 l et 2 kg de tourteau de soja émietté. Nous avons aussi beaucoup réduit les doses au robot sans vraiment observer de baisse de production, s’étonne Yoann Vêtu. Nous avions trop de sécurité. »
Grâce à une approche plus individualisée, le coût du concentré baisse de 19 €/1 000 litres en deux ans (voir infographie ci-dessus). Les éleveurs observent que les vaches sont finalement en meilleur état. « Nous avons moins de non-délivrances et de fièvres de lait, constate Didier Gautier. L’alimentation en début de lactation était trop riche. Nous avons rééquilibré en enrichissant l’aliment en préparation au vêlage et en veillant à un bon apport de fibres et de minéraux. »
En parallèle, l’âge au vêlage est passé de 30 à 26 mois, un levier d’économies important. Cela simplement grâce à une meilleure attention portée à la croissance des génisses et une individualisation des dates d’IA.
« Les investissements doivent être rentabilisés en deux ans »
Pour limiter les frais vétérinaires, les huiles essentielles remplacent les antibiotiques en cas de cellules et de mammites légères depuis février 2015. « Ces frais ont diminué de plus de 20 % en deux ans avec des résultats équivalents, constate Yoann. Ce n’est pas miraculeux, mais cela permet de mettre du lait dans le tank. Nous continuons à avoir une vache par mois avec une mammite compliquée à soigner pour laquelle nous utilisons des antibiotiques. Mais c’est uniquement quand elle ne va pas bien. » L’amélioration génétique du troupeau n’est pas non plus, aux yeux de ces éleveurs, étrangère à la diminution des frais vétérinaires. « Nous recherchons à corriger nos points faibles : boiteries, fécondité et santé mamelle. Le vétérinaire n’intervient que rarement. »
Pour Yoann et ses associés, ces temps difficiles n’ont pas été synonymes d’un arrêt total des investissements. Mais ils sont réfléchis autrement. « Les investissements rentables sur le long terme sont mis en attente pour l’instant, tel le bâtiment que nous souhaitons agrandir et pour lequel nous avons obtenu un permis de construire en 2015. Dorénavant, ils doivent être rentabilisés en moins de deux ans. »
« La méthanisation nous fera gagner en autonomie »
Ainsi, cinq grands ventilateurs et des plus petits pour les robots ont été achetés en 2016. « En 2015, nous avons perdu 3 à 4 litres de lait par vache à cause des fortes chaleurs, soit 10 000 €.Cet investissement de 15 000 € était donc largement justifié, sans compter que quand les chaleurs durent, les lactations ne repartent pas ! »
En 2016, 80 m² de panneaux photovoltaïques ont été installés pour réduire la facture d’électricité. Ils assurent aujourd’hui 20 à 25 % de l’énergie consommée, soit 2 500 € d’économies annuelles pour 40 000 € investis financés par l’emprunt. Grâce au dispositif de suramortissement de la loi Macron sur les investissements productifs et l’augmentation du prix de l’électricité, l’installation sera rentable dès la quatrième année.
En 2018, un projet de méthanisation va voir le jour. « Il nous fera gagner en autonomie financière et limitera nos intrants via la valorisation du digestat sur l’exploitation », s’enthousiasme Yoann. Le dossier, déjà bien engagé, est là aussi financé par un emprunt. « Nous autofinançons de façon très mesurée. Nous préférons emprunter, surtout avec les taux d’intérêt actuels. Cela permet d’étaler les sorties d’argent et de garder la trésorerie pour les coups durs. »
Le Gaec a aussi un atout pour son équilibre financier : 30 ha de légumes (flageolets et petits pois). Ils ont clairement limité l’impact de la casse sur le prix du lait ces deux dernières années.
En décembre 2017, ce sont deux poulaillers label de 400 m² chacun qui généreront un revenu supplémentaire. Le premier, propriété du Gaec, était mis jusque-là à la disposition d’un voisin. L’achat du deuxième sera financé par un emprunt de 25 000 €.
Les éleveurs cherchent bien sûr à valoriser au maximum les produits animaux. Ainsi, ils se sont rendu compte que réformer des vaches matures pour les remplacer par des génisses n’est pas toujours économiquement rentable. Depuis 2016, ils gardent donc celles ne présentant pas de souci particulier et vendent des génisses amouillantes. « Si besoin, nous avons les génisses de renouvellement sous la main. » En 2016, une dizaine a ainsi été vendue. Leur génotypage systématique permet d’orienter le choix.
« Nous avons gratté partout où nous avons pu »
En septembre 2016, le Gaec a souscrit un prêt in fine de 37 000 €, à rembourser en une fois au bout de cinq ans. « C’est une option à court terme pour dégager de la trésorerie sans augmenter les mensualités, admet Yoann. Il faut assurer la rémunération des associés et des salariés. Ce serait un échec de ne pas pouvoir nous payer et cela pourrait remettre en question nos liens. » Pour éviter les emprunts courts termes, la trésorerie est parfois renflouée par la vente de stocks de céréales. En parallèle, un allongement de cinq ans d’un prêt initialement de 500 000 € diminue les annuités de 23 000 €. « Normalement, cela n’aurait rien dû nous coûter car la banque et le Conseil régional devaient prendre en charge le surcoût. Finalement, le Conseil régional ne paiera pas les 10 000 € prévus. Nous avons gratté partout où nous avons pu, assure Yoann. Notre EBE a légèrement augmenté sur l’exercice 2016-2017. Maintenant, il faut que le prix du lait remonte. »
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