« Réussir notre sortie en facilitant l’arrivée d’un jeune »

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En Touraine, Régine et Alain Rezeau viennent de transmettre leur exploitation laitière à Corentin Dupont, un JA hors cadre familial originaire du Nord.

Le 1er février, Corentin a repris officiellement les rênes de la ferme de Régine et d’Alain Rezeau (60 et 62 ans). Sa compagne, Laura, l’a rejoint. Non originaire du monde agricole, elle s’est rapidement passionnée pour les vaches qu’elle aime photographier. Embauchée par l’ADMR (association d’aide à la personne) du secteur, elle suit une formation d’auxiliaire de vie, un métier en relation avec les études qu’elle terminait dans son pays, la Belgique. « L’installation de Corentin est un beau sujet de conversation avec les personnes âgées », commente-t-elle

Les cédants restent sur la commune. Régine en est le maire. Ils vont s’installer dans une maison qu’ils avaient achetée il y a quelques années et louée en attendant. « Nous partons sans être lassés des vaches. Au besoin, nous viendrons donner un coup de main. Les derniers mois, nous avions déjà débrayé mentalement et physiquement en associant Corentin à toutes les décisions engageant l’avenir de la ferme. » Avec le JA présent sur l’exploitation depuis mai 2020 dans le cadre du parrainage, la transition s’est faite en douceur. Titulaire d’un BTS ACSE puis salarié dans une entreprise de semences, Corentin avait toujours rêvé de reprendre une ferme d’élevage, malgré le peu d’encouragement de ses parents et de ses grands-parents (anciens éleveurs). « L’image négative du métier pèse encore », observe-t-il. De plus, dans sa région d’origine, cette ambition paraissait inaccessible. « Dans le Nord, les cédants ne sont pas dans la philosophie de céder à un HCF », constate-t-il.

Une vidéo sur Facebook

Malgré les nombreuses recherches effectuées dans d’autres départements, il peinait à trouver une exploitation à taille humaine (moins de 100 ha) quand il a vu sur Facebook la petite vidéo postée par les Rezeau. « Une forte volonté d’installer un jeune et une transparence sur les chiffres s’en dégageaient. »

Alain et Régine sont contents de transmettre l’exploitation sur laquelle ils ont « bien vécu plus de vingt ans ». Initialement de 58 ha (avec 50 vaches), la surface avait été portée ces dernières années à 78 ha par la reprise d’un îlot, dans la perspective de la transmission de la ferme. « Notre système était à peine assez autonome sur le plan fourrager, expliquent les éleveurs. Alors que le climat change, nous voulions donner au repreneur toutes les chances de prendre le relais dans de bonnes conditions. Notre but était de réussir notre sortie, autant que de faciliter le projet d’un jeune. » Pour le couple, léguer la ferme à l’un de ses enfants n’était pas un but en soi. Bien qu’intéressés par l’élevage, ceux-ci sont finalement partis vers d’autres horizons professionnels. Installés HCF eux-mêmes, Régine et Alain se sentaient plus libres sur cette question-là. « Nous ne portons pas, comme certains agriculteurs, le poids des générations et la responsabilité de toute une lignée. »

Anciens salariés de la chambre d’agriculture de l’Oise (lui fils d’éleveur, conseiller traite et bâtiment, elle, secrétaire du service foncier et formation), ils avaient eu envie, à mi-carrière, de s’installer. Elle avait 36 ans, lui 38. En 1996, ils avaient trouvé au sud de Tours une exploitation au profil correspondant à leurs attentes : un système pâturant avec un parcellaire groupé. « À l’époque, il n’y avait pas de tuilage avec les cédants, eux-mêmes HCF ! Le courant était néanmoins bien passé. La reprise s’était faite en une semaine. Nous avions été bien accueillis par les agriculteurs du secteur. À notre tour, l’an passé, nous avons présenté Corentin et Laura à nos collègues de la Cuma et du GDA, des structures locales très importantes pour l’exploitation. »

Une vision économique : « la marge avant tout »

Comme Corentin aujourd’hui, Régine et Alain étaient arrivés avec des idées bien arrêtées et une vision économique (« la marge avant tout »). « Nous allions à l’encontre des préconisations de l’époque : productivité maximale à la surface et à la vache. Notre objectif était de dégager autant de revenu qu’en étant salariés. Malgré les emprunts à rembourser, nous y sommes parvenus. Nous avions, il est vrai, un peu d’apport personnel avec la revente de notre maison. Nous avons été prudents dans les investissements. Avec une dizaine d’éleveurs du GDA qui étaient dans la même logique que nous, nous avons travaillé la question de l’herbe et du pâturage,et aménagé un système d’irrigation d’appoint pour sécuriser le maïs. Un équipement indispensable l’été, compte tenu des sécheresses de plus en plus fréquentes. »

Depuis quelques années, les vaches pâturent quasiment toute l’année les mélanges graminées-légumineuses, ainsi qu’un mélange de colza fourrager (3 kg/ha) et de RGI (15 kg/ha), avec un impact positif sur les coûts mais aussi sur la charge de travail : il y a moins de fumier et de paille à manipuler et moins de distribution de fourrages à l’auge. Autre avantage : fini la transition alimentaire à faire seul, le minimum de fourrages conservés est récolté (3 t de MS au maximum par vache, du maïs ensilage uniquement). L’hiver, les laitières sont sur des prairies de longue durée, fétuque-ray grass, au système racinaire développé. Une grande partie des prés est labourée pour faire du maïs. Ce n’est donc pas grave si les vaches les abîment. Les silos de maïs restent ouverts toute l’année, sauf en avril-mai. L’hiver, les vaches en ingèrent en moyenne 13-14 kg de MS. Parfois, des drêches de pommes, produites localement, appétentes et riches en sucre sont intégrées dans la ration.

À 23 ans, Corentin sait lui aussi ce qu’il veut : être le plus autonome possible et être libre. Sa philosophie est proche de celle des repreneurs. Même si le système en place est efficace, le JA va y mettre sa touche, bien entendu. « Mon objectif n’est pas de reprendre 200 000 litres de lait ou 50 ha, mais de renforcer l’autonomie du système en place, et de travailler encore la réduction des charges. Il s’agit davantage d’investir dans les chemins et accès aux pâtures que dans une mélangeuse. » Corentin a déjà redécoupé les parcelles pour constituer des paddocks d’une surface de 50 à 70 ares par jour (contre 2 ha en moyenne pour trois jours initialement). Ce qui permettra aux vaches d’avoir une herbe plus régulière et plus fraîche. La surface de maïs devrait être réduite au profit d’autres cultures telles que les betteraves, les méteils voire le sorgho.

En test : des betteraves fourragères à pâturer

Des méteils (avoine, féverole, vesce, trèfle) ont été implantés cet automne pour être ensilés courant mai. Un hectare de betteraves fourragères sera semé ce printemps. Les tubercules (des variétés rondes, plus faciles à arracher par les vaches) seront pâturés au fil. Cette méthode est testée en Indre-et-Loire dans le programme Herbe et fourrage Centre.

Cahier des charges sans urée

Avec le changement de laiterie (du groupe Savencia à la coopérative de Verneuil), et le respect d’un cahier des charges strict à partir de septembre (non OGM, zéro urée, cinq mois de pâturage), le jeune éleveur devra se passer d’urée. C’est un challenge technique. « Pour complémenter le maïs, il faudra trouver différemment de l’azote soluble en produisant le maximum de protéines à la ferme (trèfle, méteil, luzerne), et en donnant l’hiver plus de fourrages récoltés. » Pour l’épauler, Corentin pourra compter sur l’aide de Romain, le salarié de l’exploitation embauché à 2/5e de temps pour compenser les absences de Régine et d’Alain, tous les deux très impliqués dans la vie collective (1). Installé lui-même en tant que céréalier sur 50 ha et jeune papa, Romain est polyvalent et très autonome. « Il faut veiller à ne pas se laisser déborder pour éviter de se dégoûter du métier. Se ménager du temps pour la famille est aussi essentiel », conseillent Régine et Alain.

Anne Bréhier

(1) Ex-vice-présidente de la communauté de communes de Loches Sud Touraine, Régine est maire de sa commune. Responsable du service élevage à la chambre d’agriculture, Alain a été président de Cuma et de GDA.

© C. F. - Site d’exploitation. De la stabulation, les vaches ont directement accès aux pâtures.C. F.

© C.F. - Système de lagunage pour les effluents. Constitué d’un décanteur et de trois lagunes, le système de lagunage évite la corvée d’épandage de lisier. Économique, il a été construit lors de la mise aux normes au début des années 2000. Le terrain était suffisamment argileux. Il n’y a pas eu besoin de géomembrane. C.F.

© C. F. - Laiterie. En s’installant, le jeune agriculteur quitte Savencia pour la laiterie coopérative de Verneuil. Cette PME produit entre autres un lait premium Délices de Touraine, sans OGM, sans urée et avec une durée de pâturage d’au moins cinq mois.C. F.

© C. F. - Romain, le salarié, dans la salle de traite. Installée de l’autre côté de l’aire d’exercice avec une aire d’attente extérieure non couverte, la salle de traite, en épi, pas luxueuse, a été construite dans les années 1980 et mériterait une modernisation. Elle dispose de 9 postes avec décrochage automatique. Une partie des concentrés fermiers (blé et tourteau de colza) y est distribuée.C. F.

© C.F. - Nursery. La moitié des veaux sont croisés avec du blanc bleu belge, ce qui permet de mieux les valoriser. C.F.

© C.F. - La distributrice dessileuse. Elle a été bricolée par Alain à partir d’un alimentateur à vis de salle de traite disposant d’une trappe à ouverture variable. Dans la caisse sont mélangés les constituants de la ration : ensilage maïs, drêches de pommes éventuellement. Les minéraux, l’urée et le tourteau de colza sont incorporés dans une goulotte par une vis. L’hiver, trois mélangeuses bien pleines sont distribuées aux vaches et génisses. C.F.

© C.F. - Stabulation logettes. Construite dans les années 1970, la stabulation initialement en aire paillée a été transformée en logettes (49 places) et agrandie avec un stockage de fourrages (foin et paille). Le couloir d’exercice est nettoyé au rabot et tracteur une fois par jour.C.F.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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