« Sortir des schémas classiques pour assurerla relève »

Article réservé aux abonnés.

(©)

Dans le Haut-Bugey, la famille Donier adapte son système tout herbe au changement climatique et prépare en amont la transmission de l’exploitation.

Sensible depuis une trentaine d’années, le changement climatique est devenue une réalité à Izernore, au sud du Jura . « De continental, notre climat devient méditerranéen et le paysage change, observe Frédéric Donier, associé en Gaec avec son fils, Louison, depuis le 1er janvier 2019. Depuis dix ans, les résineux, les sapins et les buis disparaissent. Alors qu’autrefois, notre secteur figurait parmi les zones les plus neigeuses de France, nos hivers sont devenus doux, ce qui n’exclut pas au printemps des gelées ou des chutes de neige brutales. Si les précipitations restent globalement abondantes avec1 600 mm par an, elles sont plus centrées sur l’hiver. Les températures montent, parfois au-dessus de 25 °C dès avril. Déjà limités sur nos sols caillouteux et séchants, les rendements risquent de baisser. »

Faire encore plus de stocks quand c’est possible

Dans ce contexte difficile, la famille Donier essaie de piloter au mieux un système tout herbe pour produire près de 500 000 litres de lait sur 103 ha de prairies et 17 ha de triticale. Nourries à l’ensilage d’herbe ou à la pâture, les 65 montbéliardes à 6 700 kg de lait par an reçoivent au maximum 4 kg de VL 19 par jour, en mouture à façon, plus 2 kg de pulpe de betterave déshydratée en hiver. Début avril, les laitières, qui avaient déjà effectué un premier tour de pâturage, ont été remises à l’ensilage. Faute de pluie depuis mi-mars, l’herbe n’a pas repoussé.

Pour faire face à ces situations de plus en plus fréquentes, la confection de stocks de report importants a été renforcée. « Nous nous sommes encore plus équipés pour récolter l’herbe au bon stade. Quel que soit le profil de l’année, nos prairies produiront toujours, entre mars et novembre, 5-6 tonnes en moyenne de MS à l’hectare, avec une fertilisation minérale limitée à 60-30-60 unités de NPK/ha, et des fumiers(1). Il faut juste êtreorganisé pour prendrel’herbe quand elle est là. Le pire est d’avoir à gérer deux années déficitaires consécutives. La sécheresse que nous subissons ce printemps empêche une bonne utilisation des fertilisations azotées. » Outre des rendements faibles et hétérogènes, les ensilages prévus fin avril devraient présenter une faible teneur en MAT. Seuls les trèfles violets semblaient se satisfaire de ces conditions restrictives.

Pour s’assurer d’un maximum de fourrage de qualité, les éleveurs ont fait évoluer la flore de leurs prairies. « Il y a vingt ans, nous faisions du RGA à grande échelle. Ce n’est plus possible. Nous sommes passés à des dactyles-fétuques-RGA, puis à des RGH-trèfle violet. En terres séchantes, cette association donne une première coupe riche en énergie et unebonnerepousse. Depuis deux ans, pour valoriser les orages de juillet dont nous bénéficions désormais (jusqu’à 50 mm), nous implantons aussi du brome associé à la luzerne et au trèfle violet. Bien adapté à l’affouragement en vert, le brome présente, comme le RGH, une très bonne valeur alimentaire avec des UF et des sucres. Dans nos mélanges prairiaux, nous ajoutons 2 kg de trèfle blanc, une plante qui occupe le sol en fin de cycle et enrichit le sol en azote avant une céréale. Pour semer correctement ces espèces, nous avons acheté un double semoir Kuhn spécial prairies. » Dotée de deux couloirs d’alimentation, la nouvelle stabulation permettra d’affourager massivement les vaches. Construite dans le cadre de l’installation de Louison, elle prend en compte le besoin de confort des vaches (70 en lactation, 15 taries et quelques vaches en préparation au vêlage) dans un climat qui change, avec des étés particulièrement chauds.

De la lumière, mais pas de soleil ni de chaleur dans le bâtiment

Ouvert sur quatre faces, sans murets ni portes, le bâtiment à charpente métallique est couvert par un toit dépourvu de tout translucide, source de chaleur. Le faîtage est à 12 m de hauteur, et la pente du toit est de 30 %. « Avec la ventilation naturelle latérale et l’aspiration de la chaleur par le haut, il n’y aura pas besoin d’ajouter des équipements intérieurs coûteux tels que brumisateur ou ventilateur », pointent Frédéric et Louison. Un choix qui peut paraître risqué en moyenne montagne. « Mais en l’absence de murs, l’air ne butte nulle part, il n’y a pas de passage préférentiel et donc pas de courant d’air. Si besoin, pour 50 000 €, on pourra toujours remettre des filets brise-vent, mais dans notre ancienne étable déjà ouverte sur trois faces, nous avons constaté qu’ils étaient toujours levés. »

Les éleveurs ont veillé à implanter la nouvelle stabulation dans un site abrité au nord-est par un petit bois et attenant à un îlot de 25 ha de pâtures. Carrée et compacte, avec les animaux très groupés autour du robot de traite, la forme de la stabulation est bien adaptée à la montagne, où il est difficile de trouver des coins plats. Avec les logettes éloignées du bord du bâtiment, les animaux sont protégés. L’été, ils seront toujours à l’ombre, l’hiver ils bénéficieront d’une lumière naturelle, apportée également par une faîtière éclairante et ventilée d’une largeur de 3,5 m sur toute la traversée du bâtiment. Cette construction originale est le fruit d’une réflexion poussée dans les moindres détails, ainsi que du dévoppement de la propre vision des éleveurs.

Un concept venu de Hollande

Hypertechniques, ils sont allés en Hollande et ont fait évoluer leur projet au fil des visites, des devis et des équipements présents sur le marché. Le choix de l’aspirateur à lisier, technologie disponible depuis deux ans pour le constructeur français CRD, leur a épargné de coûteux et difficiles travaux de maçonnerie sur la roche (fosse à lisier sous caillebotis) et leur a permis de respecter le budget qu’ils s’étaient fixé : 7 500 € par vache logée, robot et stockage des effluents en géomembrane compris. Avec quatre couloirs, cet équipement que les agriculteurs sont allés voir fonctionner en Mayenne n’est pas plus onéreux que plusieurs racleurs mécaniques. « Dans nos régions, l’agriculture souffre énormément et il est difficile, même en gérant serré, de tirer une rentabilité satisfaisante de nos exploitations, souligne Frédéric. Sortir des schémas classiques en matière de construction devient indispensable pour réduire les coûts et permettre aux jeunes de prendre la relève. »

Initialement prévue pour février, la mise en service du robot de traite a été reportée à fin mai pour ne pas avoir à gérer en même temps la sortie au pâturage et le bâtiment. Depuis le 1er avril, la stalle robot n’est utilisée que pour distribuer le concentré, une VL 19 élaborée à partir de triticale et de maïs grain. Acheté neuf, le VMS 300 doit être saturé avec 70 vaches. Toutes auront accès à l’extérieur grâce à deux portes intelligentes dont une à trois voies. À partir du 4e mois de lactation, les laitières sortiront sur 10 ha de prairies gérées en pâturage tournant. Avant, elles se contenteront d’un parc de 2 ha attenant.

La robotique pour se libérer plus facilement

Les éleveurs, qui ont eux-mêmes dessiné le plan de leur bâtiment, puis l’ont modélisé en 3 D avec le logiciel SketchUp, ont pris soin de concevoir une stabulation évolutive. « C’est un bâtiment miroir. Il peut permettre de monter si besoin jusqu’à 120 vaches avec deux lots en parallèle et deux stalles robot. » Il peut tout aussi bien fonctionner avec 70 vaches en lactation et Louison tout seul, le jour où Frédéric prendra sa retraite. L’introduction de la robotique dans l’élevage est une garantie de pouvoir se libérer plus facilement. Un point important pour Louison qui vient d’être élu conseiller municipal d’Izernore, une commune de 2 600 habitants. Montrer qu’il existe encore une vraie économie agricole dans le secteur, défendre la vision des éleveurs, constitue un enjeu accru avec la crise du coronavirus.

Anne Bréhier

(1) Avec le nouveau bâtiment, l’exploitation sera autonome en potasse et disposera de 3 000 m3 de lisier supplémentaires.

© Bréhier/Covid - Dans la vallée de la plasturgie autour d’Oyonnax, entre Genève et Lyon, la pression foncière causée par l’industrialisation et l’urbanisation continue. À l’avenir, l’exploitation risque de perdre encore des parcelles plates.Bréhier/Covid

© Bréhier/Covid - Niches à veaux. La mise en service des niches à veaux en fibre de verre, il y a sept ans, a été une réussite. « Nous n’utilisons plus d’antibiotiques, se félicitent les éleveurs. Avec 30 petites cabanes, nous avons suffisamment de niches pour faire un roulement. » Les veaux sont élevés au lait entier.

© Bréhier/covid - Autoconstruction. Comme pour leur précédent bâtiment il y a vingt ans, la famille Donier a consacré de nombreuses heures à l’autoconstruction. « Nous nous sommes réservé ce qui est long et difficile : un tiers des bétons, l’arrière du robot et du local technique, la pose des tubulaires, des cornadis et des logettes, le radier des silos, l’accès aux pâtures, etc. Un an s’est écoulé entre le premier coup de pelle et la rentrée des animaux, le 1er avril dernier. »Bréhier/covid

© Bréhier/covid - Stabulation. Toute la logistique a été placée sur le pignon nord. La salle des machines a été disposée dans un container isotherme d’occasion, mis sur pilotis pour éviter l’installation des rongeurs. Le bureau est installé dans un Algeco. Dans les logettes, les épingles, composées d’un câble entouré de résine, sont semi-rigides, non brûlantes l’hiver par grand froid et non conductrices d’électricité. Les matelas, sur une couche de 4 cm d’isolant, seront recouverts de 100 à 300 g de farine de paille par jour (au seau et à la main).Bréhier/covid

© Bréhier/covid - Aspirateur. Sur son ordinateur, Louison a créé la trajectoire de l’aspirateur à lisier dans le bâtiment. Quand les vaches sont au cornadis, l’appareil n’y va pas. Le CRD en Inox, d’une capacité de 350 litres, travaille sur une largeur de 1,65 m. Il se guide à l’aide de deux lecteurs laser, fixés à 20 et 60 cm de hauteur. Avec la zone de vidange centrée par rapport au bâtiment, son rendement est maximisé : il fait son tour en moins d’un quart d’heure avant de revenir à son poste de chargement. Bréhier/covid

© Bréhier/Covid - Montbéliardes. Depuis le 1er avril, les laitières restent trois à quatre heures par jour dans le nouveau bâtiment et utilisent le robot en mode distribution des concentrés. Jusqu’à fin mai, date de la mise en service du robot, la traite se fera dans la TPA monoquai dotée de six postes (six heures de travail par jour avec le nettoyage).Bréhier/Covid

© Bréhier/covid - Autochargeuse. Pour renforcer leur chaîne de récolte et intervenir au meilleur moment, les éleveurs ont acquis une nouvelle autochargeuse de forte capacité (60 m3), dotée de 45 couteaux pour 34 mm de coupe théorique. Destinée uniquement à l’ensilage, la Pöttinger a été choisie sur ses qualités de fiabilité et de longévité. Les agriculteurs se sont également équipés d’une faucheuse de 4 m qui se déplace sur la route en 2,50 m. À deux, ils rentrent 30 à 35 ha de fourrages bien préfanés en quatre jours. Bréhier/covid

© Bréhier/Covid - Plantain. « Naturellement présent sur nos talus mais travaillé sur le plan fourrager par les Néo-Zélandais, le plantain, doté d’une racine pivot, pousse en permanence sur les parcelles argileuses orientées nord et est (des anciennes terres à maïs). Semé à 3 kg/ha, il est assemblé en mélange avec deux variétés de RGA diploïde et tétraploïde (12 kg/ha chacun), un trèfle violet et un trèfle blanc à petites feuilles (2 kg/ha respectivement). Sur la photo, le plantain a encore ses feuilles d’hiver. »

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
journée technique sur la tuberculose bovine

La tuberculose bovine fait frémir les éleveurs bas-normands

Maladies

Tapez un ou plusieurs mots-clés...