Le grain de sable qui enraye la mécanique des Pays-Bas

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Sous l’injonction de Bruxelles, les Pays-Bas doivent sortir de la filière 160 000 vaches cette année. À partir de l’an prochain, la production sera encadrée par des quotas phosphates.

Mais que se passe-t-il aux Pays-Bas ? La situation fait penser à un film de série B, sans happy end. Imaginez ! D’ici à la fin de l’année, au moins 160 000 vaches laitières ou équivalents UGB doivent sortir de la filière laitière, par l’abattage ou l’export. Les Néerlandais n’ont pas le choix. « Sinon, c’est la perte de la dérogation sur la directive nitrates accordée par Bruxelles, qui doit être renouvelée. Ce serait un véritable massacre car il faudrait retirer de la production 460 000 laitières. En effet, 90 % des exploitations bénéficient de la dérogation », insiste Wiebren van Stralen, en charge de ce dossier au LTO, l’équivalent de la FNSEA. Bruxelles autorise, selon le type de sol, l’épandage de 230 kg ou 250 kg d’azote organique par hectare épandable au lieu des 170 kg fixés par la directive nitrates. L’une des contreparties est le respect du plafond de 172,9 millions de kilos de phosphore produits. Un plafond dépassé juste avant la suppression des quotas laitiers (voir ci-contre). Et un plafond connu des instances politiques, syndicales, coopératives et bancaires. Ce qui n’a pas empêché l’explosion de la production laitière en 2015 et 2016 : 178 000 vaches et 15 % de lait collecté en plus.

Manque de dialogue à tous les étages

Comment cette filière, réputée pour sa capacité à définir des objectifs, a-t-elle pu autant se fourvoyer ? Chacun se renvoie la balle. Pour les uns, il revenait aux responsables politiques d’imposer par la loi des mesures drastiques de limitation individuelle du phosphore.

Pour d’autres, en acceptant tout le lait de ses 18 000 membres, la ­coopérative FrieslandCampina (90 % de la collecte) a clairement encouragé l’augmentation de la production. « Si nous l’avions limitée, nos sociétaires­ auraient rejoint d’autres industriels »­, justifie Frans Keurentjes­, son président. Il préfère parler d’incompréhension entre les membres et la coop. « Nous avons fait une enquête sur leurs prévisions de production. Nous avons confronté leurs annonces aux données d’abattage et au nombre d’inséminations dans les troupeaux. Cela correspondait. Nous n’avions pas prévu qu’ils importeraient des vaches et des génisses pour renforcer leurs troupeaux. »

Bridés par trente ans de quotas laitiers, les éleveurs néerlandais se sont lâchés. « Leur développement était encadré mais sans limiter leur production de phosphates », nuance Rick Hoksbergen, animateur de réseau European Dairy Farm aux Pays-Bas. « S’ils disposaient des surfaces d’épandage nécessaires ou si, dans le cas contraire, ils traitaient le lisier en trop, ils pouvaient mener à bien leur projet. » La perspective de la création d’un quota phosphates individuel, fondé sur le cheptel détenu le 2 juillet 2015, ne les a pas fait ralentir. Bien au contraire. « Ils espéraient que cette date serait repoussée. Ils ont continué à s’agrandir pour constituer une référence la plus élevée possible. »

Réduire le cheptel de 10 %, et vite

Le secteur laitier et le gouvernement néerlandais viennent de lancer un véritable plan de guerre (encadré p. 14) pour diminuer de 10 % le cheptel laitier cette année. Il se déploie en trois grandes mesures : une aide à la cessation d’activité laitière de 1 200 € par vache, le retour en 2017 au nombre d’UGB détenus le 2 juillet 2015 mais minoré de 4 % et la réduction de la teneur en phosphates des aliments. Le volet cessation donne déjà des résultats : la première ouverture aux demandes le 20 février a été clôturée le soir même, les objectifs étant largement dépassés : 497 élevages pour 31 500 vaches. « Il est configuré pour encourager un millier d’éleveurs à arrêter leur activité laitière, indique Fritz Vink, responsable de ce dossier au ministère de l’Agriculture. Il s’agit surtout de producteurs en fin de carrière. » Ces trois dernières années, 300 éleveurs laitiers sont partis à la retraite, contre 600 par an habituellement. « Ils attendaient le lancement des quotas phosphates marchands », dit Wiebren van Stralen. Ils ont eu raison. Ce système va effectivement se mettre en place le 1er janvier prochain. Ils pourront vendre leur référence phosphates, après prélèvement de 10 % par le gouvernement.

La collecte se stabilise

Les premiers effets se font sentir. Ce pays, qui est responsable à 46 % de la hausse de collecte européenne de ces deux dernières années, voit, depuis le mois de novembre, les livraisons osciller entre la stabilité et +1 %. « Cent soixante mille vaches en moins, ce sont 1,3 milliard de kilos livrés en moins », souligne Wiebren van Stralen, du LTO. De quoi réjouir les concurrents européens, en premier lieu les Français qui s’en frottent d’avance les mains. Certains vont même jusqu’à imaginer des importations de lait français. La question surprend, puis fait sourire le président de FrieslandCampina. Visiblement, il n’y croit pas. Le groupe a dû gérer l’an passé 800 millions de litres de plus qu’il n’attendait. Un lait mal valorisé sur les marchés. « Plus largement, un tiers des 10,8 milliards de kilos a été valorisé sous le prix du lait. À nous de faire en sorte de baisser cette part. Nous investissons cette année 518 M€ dans l’amélioration de la qualité, notre capacité industrielle et la recherche », dit Frans Keurentjes. La coopérative engage une réflexion avec ses adhérents sur le modèle économique des prochaines années. « D’un côté, nous avons des contraintes environnementales. De l’autre, les attentes sociétales sur la qualité des produits et la façon dont ils sont élaborés sont plus fortes. Nous devons tracer ensemble le chemin pour y répondre. »

Encore des marges de progrès technique

Il n’envisage pas un recul définitif de 10 % de la collecte. Il fait confiance en la capacité de ses collègues éleveurs à gagner en efficience. D’autant plus que la marche n’est pas très haute pour compenser les 160 000 vaches en moins. « Cela revient à augmenter le niveau d’étable moyen de 500 kg, résume Rick Hoksbergen. C’est faisable, peut-être pas en 2017, mais les années suivantes. » La production par vache est de 8 300 kg en 2015, soit 1 500 kg de moins qu’au Danemark. Une réelle marge de progrès existe donc qui peut être en grande partie atteinte par la génétique. « Actuellement, les éleveurs se débarrassent de leurs mauvaises vaches. Ils conservent les génisses au génotype plus intéressant. » L’autre axe d’amélioration porte sur la réduction du nombre de génisses, en augmentation ces dernières années. Elles libéreront des équivalents UGB au profit des laitières. Sans compter les quotas phosphates qui pourront être achetés dès l’an prochain.

Le temps où les Pays-Bas pouvaient augmenter leur collecte est fini, mais le pays entend toujours défendre sa place.

Claire Hue
Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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Herbe

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