Pologne : son ambition laitière ne faiblit pas

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Dynamisme.
Dynamisme. (©C. Hue)

La filière laitière polonaise ne veut pas être le bouche-trou de la collecte ouest-européenne en recul. Elle est de plus en plus connectée aux marchés d’exportation. Son prix du lait aussi.

Le prix du lait n’a jamais été aussi haut en Pologne : 528,17 €/1 000 l en septembre, toutes qualités confondues, selon Eurostat : 511,30 € aux mille kilos, (voir infographie ci-contre). Depuis le mois de mars, il est plus élevé qu’en France… Une première depuis la fin des quotas. La Pologne, qui exporte 30 % de ses produits en équivalent collecte, profite à plein des cotations mondiales élevées. En 2021, deux tiers de ses exportations de poudre de lait écrémé et 56 % des poudres de lactosérum l’étaient sur les pays tiers. « Depuis l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne, le pays a multiplié par quatre son chiffre d’affaires à l’export en augmentant leur part processée », résume Agnieszka Maliszewska, directrice de la fédération PIM qui regroupe 60 % des entreprises polonaises. Les deux principales coopératives laitières, Mlekpol (lire encadré p. 15) et Mlekovita ne regrettent pas leurs investissements dans des tours de séchage. « Construite en 2017 pour 62 M€(1), notre unité de poudres de lait écrémé et de lactosérum est l’investissement le plus important de la coopérative », dit Darius Sapinski, P.-D.G. de Mlekovita­ (2,5 mds de litres transformés à 90 %, collectés auprès de 15 000 adhérents).

Le prix polonais élevé reflète également la tension actuelle sur la collecte, à 43 % concentrée à l’est du territoire (voir carte). Même si la Pologne fait partie des rares pays où elle continue de progresser, elle n’en reste pas moins connectée au marché européen, et bien sûr mondial. La production devrait encore augmenter de 2 % cette année, soutenue par une excellente année fourragère. Les éleveurs polonais surfent sur cette situation. Leurs collègues français en rêvent : ils brandissent la menace de changer de laiterie pour obtenir un meilleur prix du lait. Et ça marche.

Trois mois seulement pour changer de laiterie

Certains n’hésitent pas à la mettre à exécution, comme ces 40 adhérents de Mlekpol avant l’été. À 80 km de son siège, ils ont rejoint la Coopérative laitière de Gizycko tournée à 85 % de ses fabrications vers l’export. « Ça bataille sur le terrain », reconnaît Jan Zawadzki, président du conseil de surveillance de Mlekpol et éleveur de 200 vaches avec sa fille (photo p. 15). « À nous d’inspirer confiance à nos 8740 adhérents en leur montrant que nous leur apportons sécurité et stabilité. Les laiteries qui payent 20 €/1 000 l de plus aujourd’hui pourront-elles continuer ? »

Quand la conjoncture leur est favorable, la durée du préavis contractuel facilite le départ des producteurs de leur coopérative ou de leur laiterie privée. La filière l’a fixée à un minimum de trois mois. L’assouplissement récent de sa mise en œuvre renforce les stratégies opportunistes. Les trois mois s’appliquent désormais au déclenchement du préavis. Jusqu’en 2021, ils devaient attendre le mois de septembre pour un départ effectif en janvier. Le revers de la médailleest une protection bien moindreen situation de marché excédentaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que les contrats français privilégient des préavis de 12 à 24 mois. À une nuance près, côté polonais : 80 % des éleveurs sont en coopérative, plus protectrice.

Garder la tête froide malgré la guerre

Le phénomène polonais interpelle les grands voisins laitiers de l’Ouest qui sont en plein doute. Le quatrième pays laitier européen sera-t-il le pansement de leur collecte déclinante ? Va-t-il maintenir son rythme de production à + 2 % par an ? La question concerne en premier chef l’Allemagne que les citernes polonaises traversent régulièrement. Les acteurs laitiers que L’Éleveur laitier a rencontrés cet été n’abordent pas leur avenir sous cet angle. Ils ne se regardent pas comme le palliatif au recul de l’Ouest. Ils affichent une ambition forte. Il faut dire qu’à l’instar des Français, leurs consommateurs sont friands de produits laitiers, essentiellement du lait UHT et de l’ultrafrais. « Cette dernière décennie, nous avons investi près de 230 M€ [NDLR : avec le soutien financier de l’Union européenne], indique Darius Sapinski de Mlekovita. Nous avons participé à la restructuration industrielle par la reprise de coopératives. Nous comptons 22 sites contre onze il y a dix ans. Notre but est de bien utiliser ces unités et de développer l’export. »

Mais dans l’immédiat, il faut s’adapter à l’inflation de 17 % et aux dépenses exponentielles de chauffage que subissent les consommateurs polonais pour traverser l’hiver toujours rude dans cette partie de l’Europe. Il faut aussi garder la tête froide face à la guerre en Ukraine et à la Biélorussie pro Poutine. Elles sont aux portes des deux principales régions laitières, la Podlaskie et la Mazowieckie. Pour Mlekovita, l’heure est au gel des investissements et à la réduction des coûts industriels par la simplification des gammes de produits. Les 3,5 millions de réfugiés ukrainiens, grands consommateurs de lait UHT, la confortent dans cette stratégie.

Zéro fiscalité sur la transmission

Selon le leader coopératif, la collecte va poursuivre sa croissance actuelle. Avis partagé par sa concurrente Mlekpol, même si elle a une prévision plus prudente : plutôt + 1 % par an que + 2 %. Sans doute le premier appuie-t-il, entre autres, son analyse sur l’ambition des jeunes de développer l’exploitation laitière avec leurs parents ou à leur suite. Ils bénéficient de facilités fiscales puisque la transmission des fermes n’est pas du tout imposée. Avec des terres entre 8 000 € et 20 000 €/ha dans le principal bassin laitier, c’est un sacré avantage à l’installation. « À Wysokie Mazowieckie, là où est notre plus gros site, les départs sont largement compensés par l’augmentation du nombre de vaches par exploitation et par celle du lait par vache », indique Radoslaw Choinski, le responsable de collecte de l’usine. Sur les 4 000 producteurs qui l’approvisionnent, soixante arrêtent chaque année. « Ce sont en majorité des fermes de vingt vaches reprises par les voisins. »

Mlekpol, elle, parle plutôt d’une tendance à la stabilisation après le bond postquotas. « La jeune génération remplace les anciens, sauf les petits éleveurs qui ne sont pas modernisés », observe Kazimierz Czerwinski, le directeur de collecte qui enregistre 300 départs par an (voir encadré). En huit ans, la taille des exploitations Mlekpol a doublé pour atteindre 231 060 litres.

Si l’appétit de la filière laitière ne faiblit pas, elle commence à souffrir d’un manque d’attractivité du métier d’éleveur… bien connu en France. Il faut dire que le travail dans les élevages, à majorité en étables entravées, est rude. L’astreinte de la traite matin et soir est aussi un frein.

« Je m’adapte à la hausse du prix des intrants »

À 130 km au nord de Varsovie, cette contrainte rebute les deux fils de Grazyna et Wlademar Plantowski, âgés de 39 et 33 ans, en dépit de l’énergie déployée par leurs parents ces vingt dernières années pour développer la ferme (100 holsteins en stabulation logettes sur 105 ha). Rencontrés en 2008 puis en 2014, ils font partie de ceux qui sont montés dans le train laitier dès la fin des années quatre-vingt-dix. « Nos fils développeront la production de viande bovine lorsque nous arrêterons dans cinq ans. L’un serait éventuellement intéressé par le lait, à condition de trouver un salarié stable pour assurer la traite, ce qui est difficile aujourd’hui. »

Les parcellaires imbriqués les uns dans les autres sont un autre frein au développement des exploitations laitières. Installé en 2018, Michal Marechlewski (lire encadré) ne peut construire une stabulation pour 120 vaches à l’arrière du bâtiment actuel car le terrain est trop étroit. À ces contraintes structurelles s’ajoute, depuis un an, l’envolée du prix des intrants. Ici comme ailleurs, les producteurs s’adaptent. Ils réduisent leurs achats d’engrais minéraux et diversifient leur source protéique lorsque c’est possible. « Je maintiens le tourteau de colza dans la ration de base mais j’ai remplacé le tourteau de soja par des drèches de brasserie et d’éthanol de maïs », dit Wlademar Plantowski. Avec un prix du lait en hausse de 40 % par rapport à 2021 (lire infographie p. 13), il n’est pas question de modifier la conduite du troupeau.

Encore des marges de progrès techniques

Le recours des producteurs au service appro de leur coop ou laiterie privée absorbe une partie du choc de l’envolée du prix des intrants. Les achats sont déduits du paiement du lait. « Nous n’avons pas besoin ainsi de sortir l’argent, et si la facture est élevée, elle peut être acquittée sur plusieurs mois », disent les livreurs de Lactalis Andrzej, Marzena et Lukasz Backowski (photo p. 12). Pour Christophe Perrot­, d’Idele, malgré la crise des intrants, les producteurs conservent leur avantage compétitif en termes de coûts de production. Le seul prix de revient connu, hors rémunération du travail, concerne les petits élevages de 22 vaches. « Il passera de 120 €/1 000 l en 2020 à 200-220 € en 2022 contre 292 € et 370-390 € pour la France. »Les éleveurs peuvent s’appuyer sur des progrès technico-économiques encore possibles. Le développement du conseil est une des clés. C’est ce à quoi travaille le contrôle laitier polonais PFHBiPM. Il ne suit que 39 % des vaches (mais 54 % de la collecte). Elles affichent 1 927 kg de lait brut de plus que la moyenne nationale (8 837 kg, contre 6 910 kg). Les aides au bien-être animal dans l’un des écorégimes du plan stratégique national pour la Pac 2023-2027 accéléreront sans doute aussi la modernisation des équipements. Les éleveurs peuvent percevoir jusqu’à 355 €(1)/vache, à  condition d’améliorer leur bien-être. La majorité est entravée et ne pâture pas.

Claire Hue avec Élisabeth Godziemba

(1) 1 € = 4,85 zlotys.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,46 €/kg net =
Vaches, charolaises, R= France 7,23 €/kg net =
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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