Limités en surface, Sophie et Denis Bouguet ont d’abord misé sur l’intensification. Avant de faire marche arrière parce qu’ils ne croyaient plus en la pérennité de ce système, gourmand en travail et peu rémunérateur.
L’histoire professionnelle de Denis Bouguet a démarré en 1991, quand il s’est installé avec sa mère à Planguenoual, (Côtes-d’Armor). Un quota de 100 000 l sur 28 ha, c’était un peu juste : il vise 200 000 l, ce qui implique la reprise de terres. Il a trouvé 10 ha à 10 km et 5 ha à 17 km. Dans la foulée, il investit dans une salle de traite d’occasion 2 x 4, installée dans le vieux bâtiment. « Je suis prudent sur les investissements », souligne l’éleveur. En 1995, après le départ de sa mère en préretraite, Denis se retrouve seul. Il installe 50 logettes à la place de l’aire paillée. « Il fallait simplifier le travail. » Sophie, son épouse, le rejoint en 2005. Elle qui ne voulait pas vivre de ce métier a fini par y prendre goût. « J’avais un emploi salarié mais je donnais un coup de main à Denis parfois », raconte-t-elle. À l’époque, elle attend leur troisième enfant. Et 13,5 ha se libéraient à côté. Son statut de JA la rendait prioritaire pour les reprendre. Elle a bénéficié d’une rallonge de quota de 60 000 litres.
Les éleveurs disposent alors de 48 ha autour des bâtiments. Ils réalisent la mise aux normes et récupèrent les vieux bétons pour aménager des chemins. Ils signent un CTE qui incite à réduire les céréales au profit de l’herbe. « Nos terres éloignées n’ont pas un bon potentiel pour les cultures. Nous trouvions plus cohérent d’y faire de l’herbe. »
« Nous étions toujours à l’affût pour récupérer du volume »
En 2010, ils font le choix structurant d’installer un robot de traite. Le couple voulait dégager du temps. Ils ont acheté un robot d’occasion installé dans l’ancien bâtiment. Le troupeau est monté à 65 vaches pour 412 000 l de quota. Le pâturage a été maintenu sur les parcelles les plus proches et le maïs développé plus loin. La moyenne économique a atteint 7 200 kg, ce qui est assez élevé avec des normandes. « Au début, nous étions très contents », se souvient Sophie. Mais progressivement, ils ont déchanté. Il y a d’abord l’astreinte permanente avec la multiplication des alertes. La gestion du pâturage était compliquée. L’augmentation de la surface en maïs coûtait cher : 25 ha en 2014. Ils se sont interrogés sur l’opportunité d’installer une deuxième stalle de robot. La première était saturée. « Pour que notre système fonctionne, il fallait produire plus de lait et investir. Nous étions à l’affût pour récupérer du volume. Le travail augmentait.Déjà en 2009, nous nous étions demandé s’il fallait continuer à produire toujours plus avec le risque permanent d’un effondrement des prix. » Le couple avait un peu réfléchi à la conversion bio. « Nous n’avons pas osé. » Finalement, 2014 marque un changement radical de direction. Le robot est vendu et remplacé par une salle de traite 2 x 10 TPA, un Dac (trois stalles) est acheté, pour un investissement total de 110 000 € hors bâtiment. Immédiatement, ils ont relancé le pâturage et réduit le maïs à 9 ha.
En 2015, l’élevage a livré 500 000 l de lait, son record, pour un revenu nul. Ce constat fut un déclic pour réfléchir à une remise en cause plus profonde. Les éleveurs ont fait une étude Pass bio avec BCELO. Sophie insiste sur l’importance de cette étude technico-économique. « Tous les postes sont étudiés sur cinq ans. C’est indispensable pour voir si le projet est jouable. » Et la Région Bretagne finance cette étude. « Par rapport à 2009, nous nous sentions plus capables de bien gérer l’herbe », explique Denis. « Et nous étions plus soucieux de réduire le travail, peut-être parce que nous étions moins jeunes », complète Sophie.
« Les aides sont indispensables pour la conversion »
Les contraintes du bassin-versant les avaient déjà conduits à penser à l’environnement, ce qui les rapprochait du bio. La couverture des sols est obligatoire en hiver. Ils avaient réduit les traitements à une demi-dose d’herbicide sur le maïs, complétée par un désherbage mécanique. Ces contraintes réglementaires s’accompagnent d’opportunités de financement pour évoluer. Début 2016, ils signent une MAE 12/70 qui vise à un assolement comprenant au maximum 12 % de maïs et au minimum 70 % d’herbe. Objectif atteint en un an au prix d’un gros investissement dans les prairies. « Les aides sont indispensables pour la conversion. Celles du bassin-versant sont un peu plus élevées que celles en bio. On ne peut pas cumuler. »
En 2016, l’exploitation est entrée en conversion. Dès 2017, le Gaec a investi dans du matériel de fenaison. « Pour récolter l’herbe, il faut être très réactif. On fait beaucoup de petits chantiers pour optimiser la qualité du fourrage, quatre ou cinq coupes par an. » La conduite alimentaire a été totalement inversée. Avant, les vaches avaient du maïs toute l’année. Aujourd’hui, elles n’ont que de l’herbe de mai à novembre. Denis s’est formé à la gestion de l’herbe. « Le pâturage se gère plus facilement quand les vaches ne reçoivent pas de maïs », constate Denis.
La ration hivernale se compose aux deux tiers d’enrubanné à disposition dans des râteliers et de 5-6 kg de MS de maïs en libre-service. S’y ajoute un peu de foin. Le concentré est distribué au compte-gouttes, principalement aux fraîches vêlées. L’apport moyen est passé de plus d’une tonne à 75 kg/vache/an. Il s’agit d’un concentré de production à 900 €/t. Pour améliorer la conduite sanitaire et limiter le recours aux antibiotiques, Sophie et Denis misent sur des formations à l’utilisation de l’homéopathie et des huiles essentielles. Les mammites touchent 31 % des vaches contre 49 % avant.
Denis choisit les rotations (maïs, méteil, herbe) pour préserver les rendements et réduire la sensibilité aux ravageurs ou aux adventices. Le maïs produit très bien après une prairie, 15 tonnes de MS cette année. Les adventices sont maîtrisées avec deux binages. Mais le rumex reste un problème, il faut parfois couper à la main. Du plantain vient d’être implanté dans l’espoir de le concurrencer. Et le retour à la salle de traite après quatre ans de robot ? « Que du bonheur, s’exclame Sophie. Au moins quand c’est fini, on n’en parle plus. » La traite prend une heure.
Le grain du méteil est vendu.
« En libre-service, la ration doit rester simple. Nous ne voulons pas investir dans une mélangeuse et des cornadis. » La paille du méteil est consommée par les génisses de moins de six mois. Les éleveurs achètent de la paille pour la litière. La fertilisation repose sur le fumier. Il est composté et épandu par l’ETA sur les prairies à raison de 5-6 t/ha. Les achats d’engrais sont passés de 10 t à zéro.
Les livraisons en bio ont démarré en novembre 2017. Les éleveurs travaillaient avec LNA (Laïta) et sont passés chez Biolait. Ils apprécient l’esprit de cette coopérative « très àl’écoute des suggestions ou des besoins des adhérents ». Et ils connaissent leur prix du lait pour l’année. Une différence appréciable. La production par vache est tombée à 5 000 kg. « Ça fait drôle au début, même si nous y étions préparés. » Un tel changement de système bouleverse tous les repères.
Dépendre de la météo, une nouveauté « un peu stressante »
Pour bien gérer la transition, les éleveurs se sont appuyés sur les conseillers de BCELO et estiment que cet œil extérieur est indispensable. « Ça rassure. » La dépendance à la météo constitue une nouveauté « un peu stressante » à laquelle il faut s’habituer. « On sait précisément quel volume on doit récolter. On a eu peur de manquer cette année, mais finalement non. Sinon, on aurait vendu des animaux. » Sur le plan économique, le changement a porté ses fruits dès la période de conversion. L’EBE a progressé de 10 % en 2015-2016 et de 32 % l’année suivante alors que le lait n’était pas encore valorisé en bio. Il faut y voir l’impact de la prime de conversion, bien sûr, mais aussi de la baisse conséquente du coût alimentaire global. En trois ans, il est passé de 110 à 45 €/1 000 l. La marge sur coût alimentaire a grimpé de 280 à 376 €/1 000 l.
L’organisation du travail a changé, avec une activité plus étalée sur l’année et moins de pointes. Le couple est très satisfait de ce virage. Si c’était à refaire, il recommencerait. Peut-être un peu plus tôt.
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