Les premiers pas du biométhane carburant

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Production du biogaz. L’installation compte un digesteur de 1 100 m3 et une cuve couverte pour le stockage du digestat (2 500 m3). Le cogénérateur, installé en 2010, offre une puissance de 250 kWe, il passera à 350 kWe à l’occasion du remplacement du moteur en 2017. Dominique Grémy
Production du biogaz. L’installation compte un digesteur de 1 100 m3 et une cuve couverte pour le stockage du digestat (2 500 m3). Le cogénérateur, installé en 2010, offre une puissance de 250 kWe, il passera à 350 kWe à l’occasion du remplacement du moteur en 2017. Dominique Grémy (©Dominique Grémy)

Plus rémunératrice que la cogénération, la valorisation du biométhane comme ­carburant est une piste d’avenir pour les éleveurs méthaniseurs. Témoignages et expériences de pionniers.

«En 2005, lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la méthanisation, les petites installations, fondées uniquement sur des intrants agricoles, présentaient des EBE assez aléatoires. Vu le coût de l’investissement, à moins de 150 kWe, point de salut disait-on. La possibilité de récupérer 150 ha de gazon nous a décidés à investir en 2010. Nous n’étions que les trentièmes méthaniseurs agricoles en France », explique Philippe Collin, associé du Gaec de Grivée, en Haute-Marne. À l’époque, l’unité d’une puissance de 250 kWe en cogénération est couplée à l’hygiénisation et la granulation du digestat, vendu à l’export. Une activité aujourd’hui à l’arrêt. « La valeur ajoutée nous échappait. Ensuite, une biologie optimisée du digesteur fait qu’il n’y a quasiment plus de fibres dans le digestat », explique Philippe.

Le montant de l’investissement était prévu à 1,85 M€, soutenu par 800 000 € de subventions. « Nous sommes arrivés autour de 2 M€. La méthanisation est une industrie lourde. Les sommes engagées sont assez vertigineuses à l’échelle d’un éleveur. Un moteur de cogénération a une durée de vie de sept ans et coûte 70 000 € pour un 250 kWe. Il faut apprendre à gérer son stress pour affronter les inévitables dysfonctionnements. »

Aujourd’hui, les 150 ha de gazon ne sont plus disponibles comme intrants, mais le méthaniseur utilise largement les déchets de l’industrie agroalimentaire : environ 3 500 tonnes (sous-produits laitiers, d’amidonnerie, de pâtisserie, etc.).

Des rations complexes mais très méthanogènes

L’atelier de 150 vaches laitières, délégué à un jeune agriculteur, assure quand même 4 500 tonnes d’effluents (4 000 tonnes de lisier et 500 tonnes d’eaux blanches, vertes et brunes). « Nous ne faisons pas de Cive car dans nos sols, surtout avant maïs, il faudrait les récolter très tôt pour un tonnage faible. »

Philippe gère donc des rations plus complexes qu’une simple association d’effluents d’élevage et de biomasse. Mais ces sous-produits industriels sont aussi beaucoup plus méthanogènes. Pour ne pas se tromper, il s’offre les services d’un biologiste spécialisé en méthanisation. Le résultat est efficace car à l’occasion du renouvellement du moteur, cet automne, l’unité va s’engager sur une production de 350 kWe sans modifier le reste de l’installation.

Mais depuis un an, Philippe s’investit dans un autre projet, celui de valoriser le méthane en carburant, soit en bio GNV (gaz naturel véhicule). « L’idéal aurait été d’injecter notre gaz dans le réseau GRDF. C’est possible au-delà de 300 kWe, à condition d’être près d’un réseau GRDF et d’avoir des consommateurs à proximité. Ce n’est pas notre cas. »

Une capacité de faire rouler soixante véhicules

Philippe se rapproche alors d’une société d’épuration de gaz (Prodeval) pour construire un micro-épurateur capable de valoriser les excédents de gaz produits, que le moteur ne peut pas brûler. Sa capacité est de 16 m3/heure de biogaz, soit 8 m3/h de bio GNV. Il a aussi acheté une Fiat Punto d’occasion comme voiture d’exploitation, et l’équipe d’un kit gaz (coût total : 3 000 €), offrant 350 km d’autonomie.

« Ici, nous avons la capacité de faire rouler soixante véhicules, avec 20 000 km/an. Le problème est de convertir une flotte captive autour de l’exploitation pour rouler au gaz carburant, même si le tarif à 1 €/m3 est 30 % inférieur à l’essence, avec une longévité du moteur doublée. Mais en France, il n’existe que trente-cinq stations ouvertes au public, contre 1 900 en Italie. Mon projet serait de comprimer le gaz dans des bouteilles contenant dix pleins et de les distribuer dans des microstations-service dans un rayon de 25 km. L’épuration et la compression réclament un investissement de 150 000 €. Au-delà du carburant, ces stations serviraient aussi à distribuer des produits locaux. C’est une économie de proximité qui pourrait se développer ainsi dans nos campagnes », argumente Philippe. « J’ai le potentiel pour fournir 60 000 Nm3 à 1 € avec une simple information en préfecture. Ce gaz compressé est très volatil et peu dangereux. Il n’y a pas de réglementation spécifique comme pour le GPL (accès parking, etc.). Le point d’explosion est à 600 bars et 600°C, au-dessus de l’essence ou du gasoil. »

Et pourquoi ne pas être autonome sur le carburant de l’exploitation ? La consommation annuelle est de 28 000 litres de fuel, l’équivalent de 25 000 Nm3. « New Holland a déjà présenté un tracteur fonctionnant au biométhane. Il n’est pas plus cher qu’un tracteur classique, mais possède seulement 5 heures d’autonomie. C’est un peu court et à 0,75 €/l de GNR (gasoil non routier), le biométhane n’est pas rentable. »

Pour autant, Philippe estime que dans dix ans, le principe de cogénération, aujourd’hui dominant, sera dépassé.

« Comparée à la cogénération, la valorisation du biométhane en injection ou en carburant assure 50 % de chiffre d’affaires supplémentaires, même si l’investissement de départ pour traiter et épurer le biogaz est plus élevé. »

Problème, la majorité des installations de méthanisation agricole ne sont pas desservies par le réseau de gaz ou sont trop éloignées des flottes de véhicules. Dans un avenir proche, nous pouvons espérer le développement du biométhane porté. Comme le camion du laitier qui passe dans les fermes, un autre viendrait récupérer le gaz liquéfié ou compressé, pour l’amener sur un site d’injection ou de distribution. « Tout cela est possible, mais il reste à définir le modèle économique car liquéfier du méthane coûte cher. »

« Il faut apprendre à gérer un outil industriel »

Philippe Collin a délégué l’élevage laitier à un jeune agriculteur voisin qui récupère 50 % du digestat produit par l’installation. Il a aussi converti ses 300 ha de céréales en bio. « Avec le digestat, c’est plus facile, je suis autonome en fertilisants et cette année, j’ai atteint 59 q/ha en blé. » Parallèlement au Gaec, une SARL a été créée en 2009 pour gérer l’activité méthanisation. Sur l’exercice octobre 2015-septembre 2016, le chiffre d’affaires méthanisation a été de 434 000 €, dont trois mois payés avec l’ancien tarif de l’électricité (environ 10 000 € de moins par mois). Le résultat net de cet exercice est de 31 000 € en incluant un temps-plein de salarié (60 000 €).

« En comptant le travail d’épandage, la réception des substrats, la maintenance et l’astreinte quotidienne, mon installation occupe un temps-plein, loin de une heure par jour que j’entends parfois. Changer une pièce qui lâche peut demander quatre heures à trois personnes. Le méthaniseur est un outil industriel qui demande de la technicité et un investissement personnel », estime Philippe Collin.

Dominique Grémy

© Dominique Grémy - Station. Philippe Collin s’est équipé en 2017 d’une Fiat Punto à essence transformée pour rouler au biométhane avec une autonomie de 350 km (réservoir de 16 m3 à 200 bars). La station de recharge réclame aujourd’hui huit heures pour faire le plein, mais en passant à une compression en bouteilles, cinq minutes suffiront.

© Dominique Grémy - Épuration. L’unité d’épuration du biogaz produit 8 Nm3/heure de biométhane. Elle traite aujourd’hui le surplus de gaz que le moteur ne peut pas brûler.Dominique Grémy

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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