
Une politique tarifaire plus favorable, des contraintes réglementaires levées, l’expérience des pionniers à partager : la méthanisation présente de nouvelles opportunités pour les éleveurs laitiers.
« La méthanisation est une affaire d’agriculteurs, en particulier d’éleveurs », aiment à répéter les adhérents de l’AAMF (Association des agriculteurs méthaniseurs de France). L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) leur donne pleinement raison en démontrant que 93 % du gisement méthanisable est présent physiquement sur les exploitations agricoles, dont 73 % d’effluents d’élevage et 20 % de Cive (Culture intermédiaire à vocation énergétique). Bertrand Guérin, vice-président de l’AAMF, va plus loin en estimant que les 7 % restants, déchets de l’agroalimentaire et boues urbaines, ont pour origine le champ du paysan. Idem pour l’autre bout de la chaîne : « Qui d’autre qu’un agriculteur a les compétences pour épandre le digestat, le produit de la méthanisation ? »
Un nouveau dispositif moins contraignant
Derrière ces considérations se cache une autre réalité : depuis plus de vingt ans, la méthanisation agricole peine à décoller. En 2016, on dénombrait 240 sites de méthanisation à la ferme, bien loin de l’objectif des 1 500 méthaniseurs voulus par l’ex-ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, et sans comparaison avec les 9 000 installations allemandes. En décembre 2014, l’AAMF tirait un signal d’alarme : « Les agriculteurs méthaniseurs français sont dans une situation économique très difficile. » Le message forçait un peu le trait pour alerter les pouvoirs publics. Mais certaines installations, qui subissaient de grosses interventions de maintenance, voyaient effectivement leur rentabilité s’effondrer. En cause, une réglementation stricte et une politique tarifaire prudente peu favorable à la méthanisation agricole. En 2014, un dossier de L’Éleveur laitier pointait ces difficultés. Le modèle français d’alors, plutôt favorable aux installations de forte puissance, mettait hors jeu nombre d’élevages. Pour s’adapter au contexte, les plus motivés s’orientaient sur des projets collectifs, pas toujours simples à construire et à gérer. Aujourd’hui, tout a changé. « Le nouveau dispositif global va permettre de sauvegarder les installations des pionniers et accélérer la constructionde nouvelles dans les élevages français », s’enthousiasme-t-on à l’AAMF.
Le principal point noir à disparaître est l’obligation de valoriser la chaleur produite par la cogénération. Avant 2016, une prime de 4 centimes par kWh, souvent indispensable à la rentabilité du projet, était accessible si plus de 70 % de la chaleur du moteur était valorisée. Cela imposait aux éleveurs de lourds investissements pour des projets complexes et plus ou moins pertinents économiquement : séchage de digestat, de bois, production de spiruline, etc. Désormais, ces 4 centimes sont intégrés au tarif de base de rachat de l’électricité.
Des tarifs revalorisés
Autre élément très favorable aux éleveurs : la prime à la valorisation des effluents est passée de 2,6 à 5 c/kWh. Et cerise sur le gâteau, par rapport à 2011, le tarif de base a été revalorisé en faveur des petites installations : 17,5 c/kWh pour les puissances inférieures à 80 kWe et 15 c pour celles inférieures à 500 kWe. Pour les puissances intermédiaires, la valeur du tarif se calcule par interpolation linéaire. Dans la meilleure configuration possible, le tarif maximum de rachat de l’électricité est désormais de 22,5 c/kWh et surtout, il devient accessible aux éleveurs laitiers. À cette revalorisation des tarifs en décembre 2016 s’est ajouté un allongement de la durée des contrats de quinze à vingt ans (plafonnée à 140 000 h). Un élément supplémentaire pour rassurer le banquier.
Le nouveau dispositif a assoupli aussi certaines contraintes : le Cive et les prairies naturelles sont utilisables dans le méthaniseur sans restriction et la part des cultures alimentaires dédiées (comme le maïs) est tolérée jusqu’à 15 % de la ration totale du méthaniseur en volume. De quoi améliorer l’autonomie en substrats des installations individuelles. Enfin, et ce n’est pas la moindre avancée, de nombreuses simplifications administratives ont été mises en œuvre : relèvement des seuils pour les procédures d’enregistrement et d’autorisation, et guichet unique. L’AAMF a également obtenu l’exonération permanente de la taxe foncière et de la CFE (cotisation foncière des entreprises), appliquées précédemment de manière inégale à certains agriculteurs méthaniseurs.
Au-delà de ces assouplissements réglementaires et d’une politique tarifaire plus favorable aux éleveurs, il faut ajouter l’intérêt environnemental de la méthanisation : la moindre émission de gaz à effet de serre pourrait être un atout important demain dans les exploitations d’élevage. Une utilisation pertinente du digestat permet aussi de réduire les achats de fertilisants chimiques. « Attention cependant, la méthanisation impose d’augmenter la capacité de stockage et d’investir dans un matériel d’épandage adapté (pendillard, enfouisseur, etc.). Les volumes à épandre sont aussi plus importants. Tout cela a un coût », avertit Bertrand Guérin.
Avant 2017, le digestat ayant un statut de déchet, il ne pouvait être traité que dans le cadre d’un plan d’épandage. Mais un arrêté de juin dernier approuve désormais un cahier des charges qui permettra de mettre sur le marché des digestats agricoles en tant que matières fertilisantes pour un usage en grandes cultures ou prairies. C’est une avancée importante qui facilitera les échanges entre éleveurs méthaniseurs et agriculteurs producteurs de biomasse, sans la contrainte du plan d’épandage.
Alors, tous les clignotants sont-ils vraiment au vert pour que les éleveurs laitiers envisagent plus sereinement un projet de méthanisation ? Les plus optimistes l’affirment. Un bémol tout de même : en contrepartie d’un tarif d’achat de l’électricité plus élevé, la part des subventions à l’investissement (Ademe, Feder, etc.) s’est réduite : d’environ 40 % précédemment, elle dépasse rarement 25 % aujourd’hui. Une trésorerie de départ conséquente et (ou) une banque généreuse seront toujours indispensables aux nouveaux projets, et ce n’est pas le plus facile à réussir. L’AAMF travaille avec les services de l’État à la mise en place de mécanismes de facilitation d’accès au crédit (en particulier sur la question des garanties), la crise de l’élevage ayant dramatiquement affaibli les éleveurs. Plus ennuyeux, certaines régions imposent des critères plus restrictifs que le cadre national pour accorder ces subventions, comme l’obligation de valoriser la chaleur. L’AAMF travaille à une harmonisation car la réussite d’un grand plan de méthanisation en France passera par la levée de ces contraintes.
Bénéficier de l’expérience des pionniers
Autre élément important, les nouveaux arrivants peuvent bénéficier du travail de défrichage des pionniers.
Que ce soit dans la conception du projet ou dans le fonctionnement d’une unité de méthanisation. « Nous savons à peu près aujourd’hui ce qui marche et ce qui ne marche pas. Il faut s’orienter sur des installations simples, avec un coût d’investissement bien raisonné. Grâce à la nouvelle tarification, la petite méthanisation retrouve de l’intérêt. Des installations de 100 kWe s’amortissent aujourd’hui très bien. Si l’on veut être plus ambitieux, un élevage laitier de 80 vaches est capable, en autonomie de substrats, de faire fonctionner un méthaniseur de 250 kWe. Pour un investissement de 1,5 M€, l’objectif sera de dégager 1,5 Smic (3 500 € bruts toutes charges/mois) sans pour autant occuper un UTH à plein-temps. Autrement dit, bien maîtrisée, la méthanisation amène de la souplesse à la production laitière, en matière d’assurance revenu bien sûr, mais aussi dans l’organisation du travail. J’ose dire que tous les éleveurs laitiers devraient se poser la question d’installer un méthaniseur chez eux. »
CONSEIL DE BERTRAND GUÉRIN AUX FUTURS CANDIDATS : « Allez voir plusieurs installations existantes, échangez avec les éleveurs. C’est le meilleur moyen d’acquérir les connaissances nécessaires. Ensuite, vous pourrez étudier les offres de deux ou trois constructeurs. Cette phase d’émergence du projet est la plus importante et la plus longue. J’estime à deux ans minimum le temps nécessaire à cette réflexion préalable avant de s’engager dans la construction. »
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