
Le mouvement Apli n’a pas été vain. À Bruxelles, il a aidé la DG Agri à obtenir les dérogations au droit de la concurrence, permettant notamment aux producteurs de se regrouper en OP de poids. Les hommes clés de l’époque se souviennent.
Il y a dix ans, la campagne française s’embrasait. Après des mois de tensions sur le prix du lait et l’effondrement à moins de 240 € au deuxième trimestre,après de nombreuses manifestations en GMS à l’initiative de la FNPL, le syndicat signe le 5 juin 2009 un accord sur le prix avec les transformateurs. Il met le feu aux poudres.
A posteriori, force est de reconnaître qu’il était inespéré dans le contexte des marchés très détériorés de l’époque. Il permettra aux Français d’être payés, sur 2009, 35 € de mieux que les Allemands (275 €/ 1 000 l contre 239 €, en 38/32).
Un 280 € inespéré qui ne réglait rien
Mais le symbolique prix de base objectif négocié à 280 € sur 2009 (pour une entreprise à 20 % de produits industriels) ne réglait rien des problèmes de trésorerie sur le terrain. Et notamment dans les exploitations qui, dix-huit mois plus tôt, s’étaient lâchées pour grossir ou se moderniser, grisées par l’annonce d’une forte hausse du prix du lait. Elles l’avaient rêvée durable. Elle sera de courte durée, tous les Européens appuyant sur le champignon avec ces prix enfin rémunérateurs. Rappelons-nous qu’à l’époque, l’UE était dans une stratégie d’augmentation des références laitières pour préparer la sortie des quotas en réduisant leur valeur là où ils s’achetaient ou se louaient.
Le vent de la révolte naît dans le Sud-Ouest. En 2008, un noyau de mécontents y a déjà suivi l’appel à la grève lancé en Allemagne par le BDM (association de producteurs dissidents du DBV, la FNSEA allemande). Il est à l’origine de l’Apli (Association des producteurs de lait indépendants) avec, à sa tête, Pascal Massol. L’inconnu va vite devenir le leader charismatique du mouvement.
Rapidement, le vent d’autan gagne l’ouest. En mal de repères, malmenés par la crise, les producteurs sont séduits par le slogan simple de l’Apli, emprunté à l’OPL et l’EMB (European Milk Board, créé par le BDM) : « Un prix du lait à 400 € qui couvre les coûts de production et permette de vivre décemment du métier. Et une régulation au niveau européen pour adapter l’offre à la demande et anticiper les crises. »
Une FNPL inaudible
En face, les arguments de la FNPL pour un prix qui reflète le marché et ne nuise pas à la compétitivité de la filière française sont inaudibles. L’est encore plus son appel à se projeter dans l’après-quota, acté pour 2015, en réfléchissant à une contractualisation entre producteurs et transformateurs. Le syndicat qui a négocié l’accord de juin est devenu « le traître », la source de tous les maux. « De chasseurs, on est devenus chassés », disait-on à l’époque à la FNPL.
Un acte fort d’éleveurs en détresse
Le 24 juin, 1 500 producteurs de lait se rassemblent à Saint-Hilaire-du-Harcouët (Manche) pour écouter les leaders de l’Apli et s’informer sur la possibilité d’une grève du lait. La veille, ils étaient 1 200 à Saint-Méen-le-Grand (Ille-et-Vilaine). La grève se concrétise en septembre. Elle dure quatorze jours, du 11 au 24 septembre. Un épandage de « lait » organisé au Mont-Saint-Michel fait la une de tous les médias, sensibilisant le grand public à la crise que vivent les producteurs.
Jeter son lait n’est pas non plus anodin. L’acte fort laissera des traces, des déchirures entre voisins, associés.
La grève finie, l’Apli ne désarme pas. Elle continue d’organiser des réunions qui rassemblent la foule… Preuve que les éleveurs ont besoin de partager leurs difficultés. L’Apli joue aussi très habilement du début des réseaux sociaux pour défendre l’idée d’une régulation européenne de la production à partir des producteurs regroupés en offices du lait nationaux… À l’époque, les JA sont également sur cette idée de massification de l’offre pour peser face aux transformateurs.
En 2019, l’Apli a beaucoup perdu de son aura
En France ou au Parlement européen, certains politiques abondent dans leur sens. Et on reparle de la nécessité d’une régulation, Michel Barnier, ministre de l’Agriculture jusqu’au 23 juin 2009, ressemant l’espoir.
Dix ans après, que reste-il de ce mouvement ? De ses idées ? Qu’a-t-il changé ? Si l’Apli a énormément perdu de son aura, elle continue ponctuellement de faire entendre sa voix. Et avec elle, celle de l’EMB (à laquelle elle adhère depuis ses débuts) qui plaide toujours la régulation de la production laitière. Car sur ce terrain, les quatorze jours de grève et le mouvement qui a suivi avec des manifestations EMB n’ont pas changé une seule virgule à la position de la Commission. Pas question pour elle que l’UE ou les États reprennent à leur compte la régulation. La responsabilité est renvoyée au couple producteurs-transformateurs… Et sans obligation. Tout au plus concède-t-elle, en cas de crise grave établie (jamais, donc, pour la prévenir), la possibilité offerte aux producteurs de réduire leur livraison contre indemnisation… mais toujours de façon volontaire. On le verra une fois, à la fin de 2016.
L’Office du lait, lui, s’est mu en France Milk Board avec trois organisations de producteurs régionales transversales. Mais on est loin de la massification espérée. FMB Grand-Ouest et Normandie ne pèse que 450 producteurs de quatre entreprises (dont Lactalis et Savencia). Ils ne sont plus que 80 à FMB Sud-Ouest. Et tous n’ont donné qu’un mandat de négociation.
On est à mille lieues du transfert de propriété qui aurait permis de fédérer autant d’OP commerciales que de bassins laitiers et de négocier avec les laiteries des contrats d’un « lait mis en commun ».
Les OP peuvent dire merci à l’Apli
Le mouvement Apli n’a-t-il donc été qu’un coup d’épée dans l’eau ? Non. Tous les producteurs peuvent même lui dire merci. Il a conduit dès 2009 à un Conseil de ministres européens de l’Agriculture, débouchant sur un groupe d’experts qui, en juin 2010, a fait des propositions pour s’adapter à l’après-quotas. Reprises par le commissaire à l’Agriculture, Dacian Ciolos, elles ont structuré son paquet lait qui a été validé en 2012.
Sans l’ampleur du mouvement et son écho auprès des politiques, il n’aurait pas réussi à obtenir des concessions de la Direction générale de la concurrence pour son paquet lait. Car il fallait déroger au droit de la concurrence afin de permettre aux producteurs de créer des OP d’un poids suffisant pour tenter de peser face aux laiteries. Les seuils ridiculement bas (en nombre de producteurs et de litrages) jusqu’alors autorisés ne laissaient aucun espoir. Ces dérogations ont aussi permis de valider le rôle du Cniel dans la diffusion d’indicateurs éclairant le marché… La base quand on négocie prix et volumes.
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