
Hors cadre familial, Tom Roussel a repris seul une exploitation à taille humaine, insérée dans une filière IGP rémunératrice et qui a du sens.
Alors qu’il s’était promis de ne pas s’installer trop jeune,Tom Roussel s’est retrouvé parmi les premiers de sa promotion BTS PA à sauter le pas. « Il y avait une opportunité à saisir qui correspondait à mes attentes et à ma vision de l’agriculture : une petite structure, autonome, intégrée dans une filière qualité sécurisante. Revalorisé tous les ans, le prix du lait gruyère IGP s’approche de celui du bio : 451 € les 1 000 litres sur les douze derniers mois. S’installer en individuel correspondait à mon caractère et à mon envie de gérer ma propre affaire. »
Élevé au village dans une famille qui aimait les animaux, Tom a toujours connu la ferme de Frédéric Petiet. « Même si mes parents n’étaient pas agriculteurs, j’ai toujours été passionné par les vaches. J’allais traire dans des fermes pendant les vacances. » Après un bac STAV et un BTS en apprentissage à la ferme du lycée de Vesoul, en Haute-Saône, (50 vaches en gruyère IGP, 200 brebis, 300 ruches), Tom était pressenti pour succéder au responsable d’exploitation qui allait partir à la retraite. Une orientation que ses parents approuvaient car elle lui assurait la sécurité d’un statut de salarié.
La simplicité du système en place convenait à Tom
Un échange avec Frédéric Petiet, qui cherchait un repreneur, ainsi qu’une réflexion menée pendant six mois passés en Australie avec sa copine l’ont fait changer de voie. « Outre l’apprentissage de l’anglais et le travail dans deux exploitations en viande et lait, ce voyage m’a ouvert l’esprit. » De retour en France fin mars 2020, Tom Roussel décide de reprendre l’exploitation de Frédéric qui voulait absolument transmettre à un jeune. Trois rencontres préalables avec des couples n’avaient pas abouti. La simplicité du système de production en place (30 montbéliardes en foin-regain et pâture) convenait à Tom.« À 22 ans, sans beaucoup d’expérience encore, reprendre une ferme tout en ensilage avec une ration plus complexe me paraissait plus risqué. » Seul pendant vingt ans, Frédéric avait cherché à limiter au maximum la charge de travail et l’astreinte. Même si cela induisait des achats de céréales et de paille, il avait développé un système 100 % herbe extensif sans cultures et sans taries entre mi-novembre et la mise à l’herbe en avril. Il ne voulait pas avoir de vêlages une fois les animaux rentrés à l’étable. La stabulation paillée, construite en 1982 et agrandie en 1997 avec une salle de traite 2 x 3 sans décrochage automatique, est encore fonctionnelle. Tous les animaux (30 vaches au maximum et de 40 à 50 génisses) sont hébergés sous un même toit. Le bâtiment a été équipé de ventilateurs et d’un brumisateur en salle de traite pour améliorer le confort des animaux. L’absence d’endettement de l’exploitation, en particulier sur le matériel, était un autre atout pour Tom : hormis trois tracteurs et le matériel de fenaison (faucheuse presse), tout l’équipement est en Cuma.
Bonne entente avec le cédant
La bonne entente avec le cédant ainsi que la fixation de la valeur de reprise à partir du revenu tiré de l’exploitation (valeur de rentabilité) ont été décisives. En 2021, Tom et Frédéric ont passé une année à travailler ensemble dans le cadre d’un Start’Agri (stage accompagné pour la reprise et la transmission en agriculture). Payé par Pôle emploi, le jeune agriculteur recevait un complément de la part de Frédéric. « Vivre les quatre saisons à la ferme est important, estime Tom. J’ai appris à connaître les terrains. Dans un territoire réputé pas facile, cela m’a rassuré tout en me donnant le temps de faire les démarches et les dossiers nécessaires à l’installation. » Frédéric l’a laissé prendre des initiatives. « Au bout de trois à quatre mois sur la ferme, Tom a dématérialisé les procédures administratives, précise le cédant. Je l’ai laissé développer ses idées. » L’outil aux normes a été repris par achat de parts sociales de l’EARL. L’investissement a été couvert en partie par une DJA optimisée de 49 000 € (zone défavorisée et HCF). Les terrains sont tous en fermage. Afin de financer son installation, trois banques ont été mises en concurrence. En matière de revenus, alors que Frédéric, sans endettement, se prélevait 2 000 € par mois, Tom vise au début l’équivalent d’un Smic, pour vivre et rembourser les prêts. Pour l’instant, il loue la maison des parents de Frédéric.
L’idéal serait de produire 20 000 l supplémentaires pour rembourser plus facilement les emprunts. 212 000 litres ont été livrés en 2021. Pour sécuriser son projet, Tom entend racheter à terme 15 ha proches des bâtiments. Afin de s’adapter au changement climatique, mais aussi à la nouvelle Pac, le premier objectif que s’est donné le jeune éleveur est d’être autonome en fourrages avec ses 90 ha de prairies permanentes.
Dans un second temps, il s’intéressera aux concentrés (1,8 t en moyenne par vache et par an et 500 kg par génisse, essentiellement sur les six premiers mois).« Acheter l’aliment a un coût, mais donne l’assurance d’une qualité régulière sans travail, observe l’éleveur. Avancer l’âge du premier vêlage de 36 à 30-32 mois est également un souhait. Il sera difficile d’aller au-delà compte tenu de la moindre qualité des sols et des fourrages. »
« Même si ça devient compliqué, il faudra toujours des paysans »
Pour sa première année d’installation en 2021, Tom a bénéficié d’une année fourragère extraordinaire. Le foin coupé de bonne heure est de qualité et l’élevage dispose d’un stock hivernal de regain en avance. Comme il n’est pas dit que les conditions de 2021 se reproduisent tous les ans, il faudra anticiper pour faire du foin en quantité et qualité. Quelques prairies (de 4 à 5 ha) vont être retournées et implantées en luzerne. La légumineuse sera semée après une première année en triticale. La céréale permettra de casser le cycle d’herbe, de récupérer de la paille et du grain (pour le petit troupeau de brebis). Alors que dans la filière gruyère IGP, l’ensilage et l’enrubannage sont totalement proscrits même pour les génisses, la façon dont la première coupe sera valorisée n’est pas encore déterminée. La solution sera-t-elle d’affourager en vert ? Mais aller chercher l’herbe à l’autochargeuse coûte et prend du temps. Tom compte aussi implanter des prairies de mélange avec des espèces plus résistantes au sec pour pâturer et faire du foin.
L’évolution du climat et du contexte agricole peut faire peur à des JA. « On se pose des questions. Quelles seront nos conditions de travail dans dix ans ? Déjà les gros coups de sec puis de pluie limitent les fenêtres d’intervention. Beaucoup de choses vont changer. Il faudra adapter le troupeau et l’herbe en cultivant des espèces plus résistantes, en équipant les bâtiments d’éléments de confort pour les animaux, tels que des ventilateurs, et en évitant de faire vêler en juillet quand il fait 40 °C. Nos prés, heureusement, ont beaucoup de haies. Se remettre en cause en permanence sera une nécessité. J’ai envie d’y croire. Même si ça devient compliqué, il faudra toujours des paysans d’autant plus que de nombreuses exploitations laitières arrêtent. Avoir un bon troupeau, voir évoluer les animaux qu’on a sélectionnés, donne de la motivation. » Les astreintes liées au lait ne sont pas pour Tom une source d’inquiétude, du moins pour l’instant. « Le métier d’éleveur me plaît et je n’ai pas de mal à me lever tôt le matin pour être en salle de traite à 5 h 45. Je peux comparer les contraintes de mon métier avec celles d’autres précédemment expérimentés, comme en usine l’été. Le dimanche, en préparant le travail la veille, il est possible de se libérer entre 9 heures et 17 heures. Le soir en semaine, le travail est fini à 19 heures, ce qui me permet de rentrer tôt pour retrouver Audrey, ma conjointe, qui a soutenu mon projet d’installation et qui aime m’aider sur la ferme. Si l’exploitation évolue correctement, il sera possible de prendre un apprenti. » Proche de Vesoul, à la sortie d’un village dont la population s’est accrue (passant de 350 à 500 habitants), l’exploitation est concernée par la périurbanisation. Avec deux nouvelles maisons en construction en face de sa stabulation, Tom s’attend à des réflexions sur le bruit des cloches ou les mouches. « Je suis prêt à faire un effort. D’ores et déjà, j’ai changé de machine à traire pour réduire les nuisances sonores. Mais il faut que cela soit réciproque : la ferme était là avant les nouveaux riverains. »Risquant de se retrouver à terme entouré par les habitations, il n’envisage pas d’investir dans le site actuel. La priorité est de rembourser d’ici à douze ans les prêts JA pour construire, si nécessaire, un nouveau bâtiment de l’autre côté de la route, au milieu de 40 ha de prairies.
« Mes prêts JA seront remboursés vers mes 30 ans »
« Je n’aurai alors qu’un peu plus de 30 ans. Si les conditions climatiques et la conjoncture laitière sont satisfaisantes, je pourrai financer une petite construction. Quel troupeau abritera-t-elle ? 40 vaches et pas d’ovins ou bien 500 brebis sans laitières ? Je ne me ferme aucune porte. Ne pas me sentir coincé me rassure. Pour l’instant, les relations avec les habitants de la commune sont positives. La ferme est ouverte et les gens viennent avec leurs enfants voir librement les animaux et la traite. Mais je ne suis pas à l’abri de problèmes avec de nouveaux arrivants. » Dernier laitier du village, Tom sait qu’il sera bientôt le dernier agriculteur. Prêt à donner ponctuellement un coup de main « si on [lui] demande », Frédéric Petiet, de son côté, profite du temps libre retrouvé pour renouer avec le ski de fond.
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