Jeunes installés : comment trouver sa place en élevage bovin laitier ?
Laure Courret, en master 2 « gestion des territoires et développement local/rural » à l’université de Lyon 2, s’est intéressée à cette question. Les jeunes éleveurs interrogés aspirent à créer leur propre système, respectueux de leurs valeurs, mais éprouvent des difficultés à sortir des sentiers battus. Ils trouvent cependant de nombreuses sources d’épanouissement dans le métier d’éleveur.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Laure Courret s’est penchée sur les trajectoires pour s’installer en bovins lait dans la Loire et le Rhône. Car en Auvergne-Rhône-Alpes, la déprise et l’enjeu du renouvellement générationnel des éleveurs sont particulièrement prégnants. Entre 2014 et 2022, le nombre de VL a diminué de 12,4 % au niveau régional, contre 9 % en France. En 12 ans, la région a perdu 40 % de ses exploitations laitières.
Et ce n’est pas sans conséquence sur les modalités d’installation et de travail. Renouveler les générations de producteurs, « c’est aussi renouveler les pratiques, les façons de faire, l’organisation », met en avant Hélène Brives de l’Isara, l’école d’ingénieurs agronomes Lyon & Avignon, avec laquelle cette étude a été menée en 2023 aux côtés du Criel Alpes-Massif-Central, en partenariat avec l’Idele, dans le cadre du projet Pléiades « renouvellement des dynamiques entrepreneuriales dans le secteur agricole ».
« Renouveler les générations et les façons de faire »
« Le but est de questionner les parcours d’installation en élevage fructueux de profils dits « atypiques », émergents mais encore à la marge dans la filière et pouvant participer au renouvellement des générations, ainsi que leur rapport au métier d’éleveur, notamment sur les aspects d’astreinte et de faible rémunération », explique Laure Courret à l’occasion d’un webinaire sur le sujet.
Le public ciblé : les installé(e) s hors cadre familial et les jeunes éleveuses en filière longue (hors AOP), « là où les problématiques de valorisation du travail sont les plus fortes ». La moitié de l’échantillon a cependant « repris l’exploitation d’un membre de la famille, la majorité des femmes interrogées ayant rejoint leur mari, nuance Laure Courret. Certains ont été apprentis ou salariés auparavant. » L’objectif est de mieux connaître « leurs motivations et ressources pour s’installer, pérenniser leur activité et s’épanouir au travail ».
Trajectoires et vocations d’installation
« Enfants d’éleveurs ou non, la plupart sont nés dans le bassin laitier des Monts du Lyonnais et étaient attirés par l’élevage depuis tout petit, constate l’étudiante. Pour chercher une ferme à reprendre, les hors cadres familiaux s’appuient sur des réseaux locaux et professionnels. » L’intégration au territoire semble donc plus importante que l’origine agricole, comme le montrent les propos recueillis : « On baigne dans les vaches et dans notre pays, on ne peut pas faire grand-chose d’autre. »
Laure Courret pointe le rôle déterminant des cédants, pour les transmissions hors cadre familial comme en famille. « Les héritiers ne sont pas forcément favorisés, il faut parfois se battre contre les parents » pour s’installer, faire passer ses idées, développer son projet. À l’inverse, « certains HCF sont « adoptés » par des cédants qui ont à cœur de transmettre à un jeune. » « Les parents doivent lâcher un peu la bride, accepter nos envies d’évolution et que nous fassions des erreurs. » « Mon cédant me laisse pas mal d’autonomie, je n’ai pas peur de faire une bêtise, il n’y a pas de jugement. » Voilà qui illustre ce qui vient d’être dit.
Outre les hors cadres familiaux, les femmes, cible de l’enquête également, souhaitent en rejoignant leur époux sur l’exploitation lier vie professionnelle et familiale. Plusieurs déplorent un manque de visibilité et de reconnaissance de leur travail de la part de l’extérieur et parfois de leur conjoint. Les tâches sont encore très genrées et figées : la compta, la traite, les soins aux veaux, la maison, les enfants. « Comment, dans ces conditions, développer leur projet et leur potentiel en élevage ? », interroge l’étudiante. « Je suis impliquée autant que lui dans le Gaec, mais la ferme est identifiée comme la sienne. » La situation est résumée en une phrase.
Stratégies d’organisation du travail
Sur le plan organisationnel, les jeunes enquêtés aspirent à « un équilibre entre partage des tâches, gouvernance et sphère privée », via « un système maîtrisé, économe et rentable ». Ils escomptent simplifier le travail et limiter les charges en contenant la taille du troupeau. Au travers de collectifs, ils mutualisent les investissements et les connaissances pour gagner en autonomie financière et décisionnelle. D’où « une remise en cause de certaines façons de faire pour trouver les siennes au-delà des habitudes et des normes professionnelles ».
Viser un système maîtrisé, économe et rentable.
Quelques-uns font part de difficultés pour s’affranchir des systèmes classiques et rester fidèles à leurs valeurs, répondre à leurs besoins. Ils sont peu soutenus par la profession voire jugés. « On est un peu endoctrinés dès l’école, estime l’un d’eux. On nous dit si tu ne fais pas de maïs, tu ne t’en sors pas, mais en fait en faisant du maïs et du tourteau, tu ne t’en sors pas mieux. » Les espaces d’échanges divers, au sein de la profession et hors de celle-ci, peuvent aider à se faire sa place dans l’exploitation, le milieu agricole, à trouver et assumer sa manière de travailler. « J’ai compris que je pouvais être moi, avec mes forces et mes faiblesses, argue l’un des participants de l’étude. On a le droit de faire autrement, on est légitime aussi. »
Les formes d’organisation du travail, en tant que telles, sont diversifiées : pour les uns, partager l’astreinte et le risque financier est primordial, alors ils choisissent une forme sociétaire ou ont recours au salariat ; pour les autres, rester maître de ses décisions l’est davantage, ils préfèrent le statut individuel. Laure Courret appelle à « ne pas s’arrêter sur les normes sociétales pour évaluer la qualité de vie au travail des éleveurs ». La passion du métier, des animaux, la flexibilité et la liberté organisationnelles, l’imbrication avec la vie familiale facilitant sa conciliation avec l’activité professionnelle, sont importantes à prendre en compte. Dit autrement : « Ça ne me dérange pas de travailler le week-end, c’est comme ça, je ne me pose pas la question. Si on veut prendre une journée, on peut, on est libre. »
Sources d’épanouissement
Des sources d’épanouissement dans le quotidien des éleveurs, il y en a. La première évoquée : le lien à l’animal, la qualité du travail fourni. « L’essence du métier qui donne du sens à l’astreinte », appuie l’étudiante. « L’une de mes principales inquiétudes est de ne plus avoir assez de temps pour m’occuper de mes vaches », déclare l’un des enquêtés. « Cela peut générer de la souffrance et de la pénibilité au travail derrière », fait remarquer Laure Courret. Être reconnu à sa juste valeur permet aussi de s’épanouir. Il s’agit ici d’une reconnaissance de la fonction nourricière mais également d’entretien des paysages, de préservation de l’environnement et de la biodiversité, de maintien de la dynamique locale.
La laiterie ne nous demande jamais comment on va.
Pour les jeunes éleveurs, celle-ci doit être financière et pas seulement humaine, même si cette dernière est essentielle aussi. Beaucoup, même s’ils dégagent des revenus satisfaisants, ont « le sentiment de ne pas être rémunérés à leur juste valeur ». « Le plus gros problème de reconnaissance, c’est le prix du lait, on n’est pas rémunérés pour le boulot qu’on fait. Les gens ne se rendent pas compte du boulot pour un litre de lait », témoignent-ils. Le verbatim suivant est éloquent : « On n’a tellement plus de rapport avec ceux à qui on vend nos produits, du fait de leur grosseur… qu’on produise notre lait ou non, la laiterie ne va pas nous demander comment on va. »
Être son propre patron est un motif d’épanouissement souvent cité. Être libre de ses choix est « un élément constitutif de l’identité professionnelle ». C’est ce qui motive principalement les futurs installés. « Cette volonté d’entreprendre et d’autonomie se heurte parfois à l’incapacité de maîtriser le système et les prix. L’esprit coopératif et la participation aux décisions peinent à se déployer en filière longue. » Illustration à travers ces verbatims : « On nous demande d’investir des sommes faramineuses sans savoir si on va pouvoir rembourser. » ; « La laiterie nous dit un mois avant combien elle va nous payer pour le mois en cours. Si on n’est pas contents, c’est la même. »
La dynamique laitière locale est enfin cruciale. « Elle est basée sur la cohabitation de systèmes différents et sur l’entraide et la mutualisation quel que soit le modèle. Elle contribue fortement à la vivabilité des exploitations au-delà des revenus générés. »
Pour accéder à l'ensembles nos offres :