Direction Sovodenj, 50 km à l’ouest de Ljubljana, pour ce premier reportage d’une série consacrée aux élevages laitiers de Slovénie. C’est Jakob Dolinar et sa famille qui ouvrent le bal en nous accueillant sur leur exploitation de montagne située à 700 m d’altitude. Et si on s’attendait à y trouver une stabulation entravée avec des vaches à l’attache comme il est coutume ici, c’est un troupeau d’une trentaine de Simmental qui nous attendent couchées dans leurs logettes malgré la porte ouverte sur les herbages. Le troupeau reste à l’abri du soleil par ces 34 degrés de plein été…

En Slovénie, 70 % des élevages ont encore leurs animaux à l’attache. Beaucoup de fermes comptent moins de 20 vaches et se situent en plein milieu des villages, avec impossibilité (voire interdiction pour certains) de bâtir un nouveau bâtiment. La fin de l’étable entravée n’est donc pas pour tout de suite dans le pays… Pourtant chez les Dolinar, la stabulation libre a vu le jour il y a 15 ans déjà. « On avait pour objectif d’agrandir le troupeau et en étant assez attentifs au confort des animaux, on a préféré opté pour ce type de bâtiment en 2008 ». La demande sociétale influe aussi sur les choix des exploitants puisqu’ils transforment et vendent à la ferme la moitié de leur production laitière.
Une ferme familiale, mais vraiment !
Jakob s’est installé en 2015. Il est la 11e génération sur l’exploitation et travaille toujours avec ses parents. « Nous ne sommes que deux officiellement : ma mère et moi. Mais mon père qui est à la retraite n’a rien changé à son quotidien : il est avec nous tous les jours », explique-t-il.
Sa mère qui gère la transformation du lait, à 2 ans de prendre sa propre retraite, compte bien faire de même. « On aime ce qu’on fait, on ne se voit pas faire autre chose », avoue-t-elle.
La femme de Jakob travaille quant à elle à l’extérieur, mais ne rechigne pas pour donner un coup de main à l’ensemble. On le sent : l’esprit de famille est bien présent ici. D’ailleurs tous vivent sous le même toit : dans des appartements séparés certes, mais au sein de la maison familiale au cœur de l’exploitation, c’est quelque chose de très courant ici en Slovénie.

Transformation laitière et vente à la ferme
C’est en 2009 que sont nés les premiers produits transformés à la ferme Dolinar. « Ma mère a lancé cette activité face au prix du lait qui était bien trop bas. Elle a commencé petit et a augmenté les volumes au fur et à mesure. » À tel point qu’elle transforme aujourd’hui plus de 100 000 litres à l’année, principalement en fromages, et qu’il a fallu rebâtir un nouveau laboratoire en 2014.

Bien que celle-ci soit isolée, la vente des produits se fait à 80 % sur la ferme (les 20 % restants sont en achat-revente dans des boutiques du coin) : le magasin y est ouvert tous les jours en pleine journée, « les gens viennent quand ils veulent ». Il y a donc deux tanks dans la laiterie : celui pour la coopérative (sur roues ! Jakob doit descendre le lait tous les deux jours en bas de la montagne puisque le camion de la laiterie ne peut pas monter). Et côté valorisation, la différence est notable : 0,41 €/l en prix moyen sur 2022 pour le lait vendu à la laiterie, contre 1,2 €/l pour celui transformé et vendu à la ferme.
Un système de production basé sur l’herbe
Les 30 hectares de SAU se situent tout autour de la ferme, une chance pour les éleveurs car ce n’est pas aussi courant dans le pays, contrairement à ce qu’on pourrait croire. « L’inconvénient, c’est qu’on n’a pas de terres labourables, tout est en prairies permanentes », reconnaît l’éleveur qui se voit contraint d’acheter des céréales et du maïs grain pour complémenter ses bêtes (achat de 1 350 kg de concentré/VL/an, distribution au Dac).
Ration de printemps/été | Ration d’hiver |
Pâturage (env 8 kg MS) 3 kg de foin 2 kg de maïs grain 1 kg de pulpe de betterave 1,5 à 3 kg de concentré énergétique 2 à 5 kg de K1A (concentré protéique à 19 %) | 15 kg d’ensilage d’herbe 5 kg de foin 2 kg de maïs grain 1 kg de pulpe de betterave 1,5 à 3 kg de concentré énergétique 2 à 5 kg de K1A |
L’éleveur pratique le pâturage tournant de début avril à novembre. La production d’herbe est plutôt bonne (7,2 t/ha/an), grâce à la pluviométrie de 1 700 mm plutôt bien répartie sur l’année. Jakob a installé un séchoir en grange en 2018 pour améliorer la qualité de l’herbe récoltée. « Toutes les parcelles sont fauchées au moins une fois par an, même celles qui sont pâturées. La première coupe est en ensilage, puis on fait principalement du foin. »
En montagne, le foin est un travail fastidieux pour les éleveurs : tout se fait à la main et il n’est pas rare de voir des familles complètes, de la grand-mère aux jeunes enfants, en train de descendre l’herbe au râteau. Jakob dispose d’une sorte de motoculteur pour la fauche et d’une remorque autochargeuse pour la reprise lorsque le foin est descendu manuellement en bas de la pente.
Des projets pour l'avenir
Membre du projet européen « Resilience for dairy », Jakob a pour objectif d’améliorer l’efficience de son système. Cela passe surtout par la gestion de l’herbe (pour une meilleure qualité). Il tente aussi d’axer la sélection génétique de ses vaches Simmental dans ce sens (génotypage sur toutes les femelles et choix des taureaux pour obtenir des produits adaptés au pâturage et à la transformation laitière (recherche du statut B-caséines A2A2).
Autre axe de travail pour l’éleveur : l’équilibre vie pro/vie perso. « J’arrive à prendre environ 2 fois 4 jours de vacances par an. Bien qu’aidés de mes parents, j’ai du mal à partir en leur laissant le travail car il y a toujours des choses à faire et tout le monde est très impliqué. » Là-dessus, le jeune homme veut commencer par réduire les tâches manuelles difficiles et simplifier le travail pour gagner du temps. Par ailleurs, il pense déjà au départ de sa maman : « Si elle prend réellement sa retraite, j’embaucherai un salarié pour la transformation et je réduirai certainement les horaires du magasin. »
Pas d’agrandissement possible. Un prix des terres jusqu’à 100 000 € en Slovénie !
Lors de la visite de ferme, une question est aussi revenue à plusieurs reprises : pour améliorer la résilience de l’exploitation, pourquoi ne pas partir sur une ration plus autonome ? Cela ferait certes chuter la production, mais cette baisse pourrait être paliée en transformant plus pour rester au même niveau de valorisation... Pour l’éleveur, c’est clair : « Le facteur travail est limitant : la transformation nous prend déjà 5 jours par semaine, on ne peut pas en faire plus. »
Et concernant la structure en elle-même, l'agrandissement n'est même pas envisageable. « Nous avons la chance d'avoir les terres en famille depuis plusieurs générations, mais nous ne pouvons pas en avoir plus. Déjà parce que c'est très difficile d'en trouver, mais aussi parce que c'est hors de prix ! »