Après un travail mené en amont sur la qualité des fourrages, il est possible d’aller vers une approche plus fine de la complémentation en vue de produire davantage de lait tout en maîtrisant la marge. Mais il ne faut pas brûler les étapes.
La recherche de performances, à partir d’un troupeau déjà haut en lait, à travers une approche plus fine de la ration tout en maîtrisant la marge ne doit rien laisser au hasard. Aujourd’hui, le terme d’élevage de précision ou d’alimentation de précision fait souvent référence au monitoring, c’est-à-dire à tous les capteurs qui collectent et analysent des données en vue d’améliorer la conduite d’élevage. « Tout ce qui contribue à être plus précis, en se référant à des données, répond à l’enjeu d’une alimentation de précision. Mais l’alimentation de précision, c’est d’abord des éleveurs qui pèsent, qui analysent la valeur de leurs fourrages, contrôlent la consommation d’eau, premiers aliments de leur troupeau, rappelle Emmanuel Lepage, responsable nutrition chez Seenovia. L’alimentation de précision, cela commence dès la récolte des fourrages avec des éleveurs qui vont s’assurer du bon éclatage du grain, de la longueur de coupe, ou au pâturage, qui ont recours à l’herbomètre pour estimer les consommations. Ce sont tous ces éléments qui contribuent à un process fourrager de qualité. Plus on est précis sur le poste d’affouragement, plus on est dans l’alimentation de précision. »
Le premier axe de travail reste donc incontestablement la maîtrise de la qualité des fourrages. Sur le terrain, c’est souvent l’énergie qui décide des potentialités réelles de la ration de base. « C’est le premier facteur limitant lorsque l’on recherche des performances élevées », souligne Bruno Lambert, éleveur haut-saônois, dont le troupeau est n° 1 sur le critère de la matière utile produite par vache en race montbéliarde (voir pages 46-49).
Dans cette logique, deux leviers peuvent être activés : la quantité et la qualité de l’amidon. Le seuil couramment admis de 25 % d’amidon maximum par kilo de MSI peut en effet être dépassé. « Il s’agit d’une approche cohérente lorsque l’on veut densifier la ration, indique Benoît Rouillé, responsable de projet production laitière à Idele. À condition d’augmenter la part d’amidon by-pass et de fibres digestibles (NDF), pour réduire l’intensité de l’acidification du rumen : avec 25 % d’amidon, viser un apport de 350 g de NDF ; si l’on monte jusqu’à 30 %, prévoir 400 g de NDF. Ce sont des situations que l’on observe notamment dans le Sud-Ouest, avec des ensilages de maïs très riches en amidon qui doivent être associés à un foin ou un ensilage d’herbe de qualité et des substances tampon si l’on cherche à maximiser la lait par vache. »
Pas plus de 1,5 kilo d’amidon by-pass
Gare, cependant, à l’excès d’amidon by-pass, au risque de saturer l’intestin et de gaspiller de l’aliment. « Pas plus de 1,5 kg d’amidon by-pass/vache/jour », prévient l’ingénieur. Cette part d’amidon by-pass se mesure par la différence entre la teneur totale en amidon de la ration et la Dt amidon (digestibilité théorique). Pour mieux caractériser le maïs ensilage, des organismes de conseil en élevage, comme Elvup, proposent une analyse AgriNIR afin d’évaluer la dégradabilité de l’amidon à partir d’un échantillon prélevé au silo. De 10 à 60 % de l’amidon peut être dégradé dans les quatre heures suivant l’ingestion : au-delà de 50 % le risque d’acidose ruminale peut être important. À l’inverse, à moins de 30 %, avec un amidon lent, les bactéries du rumen manquent d’énergie (voir L’Éleveur laitier n° 304). Jusqu’à six analyses par an sont recommandées pour suivre l’évolution de la qualité du maïs. En Loire-Atlantique, sur la base d’analyses régulières, Didier Sureau fait ainsi évoluer la formulation de son concentré de production avec son fournisseur, en fonction de la digestibilité du maïs ensilage (pages 38-41). Le nouveau système d’alimentation Inra 2018, Systali, évalue cette part d’amidon dégradable.
Du maïs grain très complémentaire de la base fourragère
« Au-delà de 20 % de la ration totale, on privilégiera un apport by-pass si l’on veut aller plus loin dans la concentration de la ration », indique Vincent Claisse, expert nutrition d’Avenir Conseil Élevage.
Sur le terrain, le remplacement du maïs ensilage par du maïs épi ou du grain humide à l’amidon plus lent répond à cet enjeu de densification de la ration et s’avère très complémentaire de la base fourragère. « Sous ces formes, le maïs est très complémentaire de l’herbe ensilée riche en énergie et source de NDF, rappelle Benoît Rouillé. Mais attention : ce faisant, on enlève de la fibre à la ration. » Pour des raisons économiques évidentes, il est important d’essayer d’optimiser l’utilisation des correcteurs azotés, notamment le tourteau de soja.
Lysine et méthionine pour une efficience protéique renforcée
« L’une des voies passe par un meilleur équilibre en acides aminés essentiels, indique Guylaine Trou, conseillère à la chambre d’agriculture de Bretagne. L’Inrae a démontré qu’un meilleur équilibre en lysine et méthionine digestibles permet d’améliorer l’efficience des protéines. » En effet, les vaches n’absorbent pas des PDI : elles synthétisent leurs protéines à partir des acides aminés assimilés au niveau de l’intestin ; acides aminés issus de la dégradation des protéines ingérées, ou synthétisés par la flore du rumen. Sont considérés comme indispensables ceux que l’animal ne peut synthétiser. « Si leur apport est inférieur aux besoins, alors la production de protéine de lait sera réduite. Méthionine et lysine sont les deux acides aminés considérés comme les plus limitants dans l’alimentation des vaches laitières. » L’étude copilotée par les chambres d’agriculture et l’Inrae indique qu’il est possible de réduire les apports de tourteau de soja de 15 %, par un meilleur équilibre en acides aminés des rations (voir page suivante).
En France, seulement 8 à 10 % des vaches laitières seraient ainsi complémentées en acides aminés pour renforcer l’efficience protéique de la ration. Autrement dit, faire plus avec moins « à condition d’assurer la couverture des besoins énergétiques des animaux, rappelle cependant Reynald Baes, responsable technique Adisseo (voir pages 42 à 45). C’est ce qui explique les échecs rencontrés en élevage avec la Smartamine. L’idée est de “bilanter” la ration pour respecter les apports recommandés. C’est la base de l’alimentation de précision. »
0,8 kg de lait en plus par kilo de concentré
Sur le volet des micro-ingrédients, la minéralisation des vaches taries apparaît comme un levier d’optimisation important. « Pendant trois semaines, l’apport d’acidifiant entraîne la vache à libérer son calcium osseux, pour booster au maximum le démarrage en lactation, explique Denis Denion, expert nutritionniste Seenovia : 1 litre de lait gagné au pic, c’est 150 litres de lait produits en plus. » Attention, la recherche d’une forte acidification, jusqu’à des pH urinaires de 6, implique de compenser par un apport de calcium complémentaire sur cette période (pages 38 à 41). La précision de la préparation au vêlage doit permettre d’atteindre plus vite le pic de lactation, afin de basculer rapidement vers une complémentation individuelle et ne pas gaspiller de concentré avec des animaux moins performants.
Le recours au concentré de production dépend directement de la valeur de la ration de base, sans négliger, bien sûr, l’évolution de la substitution fourrage-concentré. Celle constatée à la station expérimentale des Trinottières, dans le Maine-et-Loire, est de 0,8 kilo de lait pour 1 kilo de concentré dans des conditions optimales : accès à l’alimentation à volonté, à l’abreuvement, logement. Sur cette base, c’est à chacun de faire son calcul en fonction du prix du lait et de l’aliment.
Les derniers litres de lait coûtent cher à produire
Un essai restitué en 2017 conduit aux Trinottières en région Pays de la Loire permet de comparer deux stratégies : augmenter le volume de lait livré avec un troupeau de bon niveau de production, dans un bâtiment saturé, soit en misant sur une hausse de la productivité individuelle, soit en investissant dans l’agrandissement des bâtiments afin d’augmenter la taille du troupeau. En d’autres termes, plus de lait par vache ou plus de vaches ? Dans le contexte de l’étude, l’accroissement du nombre de vaches est apparu comme une stratégie économiquement plus pertinente.
Concrètement, l’essai, d’une durée de trois ans, portait sur la comparaison d’une ration témoin, dosant 0,90 UFL/kgMS et 96 g de PDIE/UFL, d’un troupeau à 9 800 kg de lait avec une ration expérimentale à la densité énergétique et protéique renforcée de 10 % (0,98 UFL/kg MS, 113 g PDIE/UFL) pour permettre aux animaux d’exprimer tout leur potentiel. Ce faisant, la consommation de concentré passait de 215 g à 325 g/litres de lait. Dans les deux cas, il s’agissait d’une ration complète distribuée à un troupeau holstein conduit en vêlages groupés sur une période de trois mois. La ration expérimentale a entraîné un gain moyen de 4,3 kilo de lait par vache par jour : + 3,2 kg lors des trois premières semaines de lactation ; + 5,1 kg de quatre à seize semaines ; + 3,8 kg lors de la seconde partie de lactation. « En début de lactation, la réponse des animaux à l’augmentation de la densité de la ration s’est révélée supérieure aux attentes, signe de la faisabilité technique de cette stratégie, souligne Julien Jurquet, chef de projet Idele. Mais au regard de l’augmentation du coût alimentaire, elle est sûrement trop généreuse en seconde partie de lactation. Cela pose la question de revenir à une ration moins concentrée en seconde partie de lactation, lorsque les besoins du troupeau sont en baisse et couverts par l’ingestion. Cela suppose de faire deux lots ou de recourir au Dac. »
Casdar Harpagon : définir des profils de réponses en lait
Dans tous les cas, avec un prix du lait de 340 €/1000 litres, le gain de 1100 kg de lait/vache/an permis par l’augmentation de la densité de la ration n’a pas couvert les frais alimentaires supplémentaires induits : de 101 € à 141 €/1000 litres. « Le coût alimentaire est un repère quotidien, mais il ne dit pas tout, tempère néanmoins Benoît Rouillé. De façon générale, faire plus de lait par vache peut être compensé par une recette supérieure à la vache. Mais ce n’est pas le cas partout : souvent l’augmentation du coût alimentaire s’accompagne d’une dégradation de la marge. L’équilibre est à trouver individuellement : mais il faut retenir que plus haut est le niveau de production, plus le risque de dérapage est élevé. »
Le lancement du projet Casdar Harpagon pour les trois prochaines années a pour ambition d’établir des profils de réponses en lait selon le stade de lactation, de façon à pouvoir décider de la quantité de concentré distribué à la vache, plutôt qu’à un animal « moyen », comme c’est le cas actuellement. « L’idée est d’utiliser tous les outils de mesures disponibles (compteurs à lait, capteurs d’ingestion, mesure de l’état corporel…) pour explorer la variabilité des réponses et savoir s’il y a autant de profils que de vaches ou si l’on peut dégager quelques profils, explique Julien Jurquet. L’objectif étant que le Dac ajuste le concentré en fonction de ces profils. »
À travers une comparaison avec la ration complète, le projet veut aussi évaluer l’intérêt pour les éleveurs d’investir dans l’alimentation de précision.

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