« Je réapprends mon métier à travers la culture de l’herbe »

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Système économe. Dans un contexte de forte pression foncière, Nathalie et François Dumont ont choisi les économies de charges et la valeur ajoutée. Ils ont misé sur une part de vente directe et sur la race jersiaise.

Lorsque L’Éleveur laitier s’est rendu, en 2013, chez Nathalie et François Dumont dans le Pas-de-Calais, le couple était en pleine réflexion sur l’opportunité d’une conversion en bio et sur la race jersiaise. À 2 UTH, 410 000 litres de lait et 57 ha, il s’agissait de développer la valeur ajoutée pour faciliter l’installation de leur fille Justine, dans un contexte où le coût du foncier est un obstacle à l’agrandissement.

Quatre années ont passé et si la petite vache anglo-normande représente aujourd’hui 50 % du cheptel, l’idée du passage en bio n’a pas été retenue pour une question d’autonomie : « Même en acceptant une part de sous-réalisation, la conversion impliquait des achats de fourrages et d’aliments difficiles à rentabiliser, explique François. Nous avons eu une possibilité de reprise de terres jouxtant notre exploitation, mais nous avons reculé devant le prix (5 000 € juste pour le droit d’accès au bail). Rétrospectivement, c’était la bonne décision pour ne pas installer Justine dans une logique d’endettement implacable. Actuellement, elle est en CS lait et nous espérons que la transformation à la ferme dégagera un revenu supplémentaire pour concrétiser un projet qui correspond à ses aspirations. »

« L’atelier collectif de fabrication de yaourts lancé en janvier »

En effet, depuis 2011, le couple a pris part à une réflexion sur la mise en place d’un atelier de transformation collectif. Ils sont finalement sept à tenter l’aventure et le lancement officiel de la coopérative  Lait prairies du Boulonnais est programmé le 15 janvier. Dans un premier temps, 250 000 litres vont être transformés en yaourts et livrés dans la grande distribution et des épiceries.

« Tous les producteurs impliqués sont adhérents à la Prospérité Fermière qui a accepté de transformer 250 000 litres de notre collecte en vente directe. Au départ, le projet portait sur la production de tomme pour laquelle quatre d’entre nous se sont formés à Poligny. Mais la banque ne suivait pas en raison d’un investissement jugé trop élevé. » À court terme, le projet offre à Nathalie et François un débouché pour 20 000 litres de lait. Parallèlement, ils ont modifié en profondeur leurs pratiques pour s’engager dans une logique de production économe à l’herbe. Leur objectif : livrer 300 000 litres à 38 de TP et 50 de TB.

Jusqu’en 2011, la conduite du troupeau était très conventionnelle : pour les laitières, une ration complète distribuée toute l’année et composée de 35 à 40 kg de maïs, 10 kg d’ensilage d’herbe, 8 kg de pulpes, 3 à 4 kg de soja et du pâturage libre « mal géré » sur 8 ha. Pour compléter le bilan fourrager et produire la référence de 410 000 litres, 5 ha de maïs sur pieds et 60 t de pulpes de betteraves étaient achetés chaque année.

« Plus d’autonomie grâce au pâturage tournant dynamique »

« C’était cohérent dans un contexte de concentré à bas prix, mais lorsque le kilo de soja devient plus cher que le litre de lait, ça ne passe plus », analyse François. Car au-delà du manque de SFP, l’hétérogénéité des sols, associée à des rendements maïs de 9 à 12 t de MS, est ici une contrainte structurelle forte. En revanche, la pluviométrie et la douceur du climat sur le littoral sont de vrais atouts pour mettre en place un système herbager.

Le changement va se faire progressivement. D’abord, en sécurisant les stocks par l’implantation de méteils et la recherche d’une meilleure productivité des surfaces en herbe : mise en place du pâturage tournant, semis de ray-grass hybride-trèfle violet sous couvert de méteil et investissement dans un outil de sursemis en Cuma. Puis, à partir de 2013, la jersiaise intègre le troupeau. Aujourd’hui, avec 22 jersiaises, 4 kiwis et 22 holsteins, la dernière paye de lait affiche des taux de 45,6 de TB et 33,9 de TP, et la productivité moyenne s’élève sur l’année à 6 600 litres/VL.

Le maïs sort de la rotation en 2015. La ration hivernale comprend 3 kg bruts d’enrubannage, 10 kg de méteil, 25 kg d’ensilage d’herbe de première coupe et 3,5 kg de mélange céréalier (avoine, orge, blé et féverole). Les génisses de renouvellement reçoivent 10 kg de méteil, du foin à volonté et 1,5 kg de mélange céréalier. Ainsi, les 40 tonnes de soja achetées annuellement ont été remplacées par 40 tonnes de céréales broyées, achetées auprès de la coopérative. Sur le volet des économies d’intrants, aucun azote minéral n’est plus épandu sur les prairies. « La baisse de rendements était une vraie inquiétude. Mais la mise en œuvre du pâturage tournant dynamique (voir L’Éleveur laitier n° 248) au printemps a permis de rationaliser les surfaces et d’améliorer les rendements pour une meilleure autonomie. L’évolution de la qualité des pâtures par un pâturage bien mené est en effet surprenante et demande peu d’investissements. »

Après le déprimage, les pâtures reçoivent 8 tonnes par hectare de fumier décomposé. Les laitières disposent désormais de 18 ha d’herbe divisés en vingt-cinq paddocks, avec un temps de présence de 1 jour, suivi d’un temps de repousse de 21 jours. Les génisses sont conduites sur des paddocks de 3 jours pour simplifier le travail. Avec 0,30 UGB/ha, les vaches conservent encore toute l’année une part de ration à l’auge : de 5 kg de matière sèche au printemps à 8 kg en été. « À terme, mon objectif est de faire davantage de vêlages de printemps et de fermer le silo pendant deux mois », explique François.

« Une première coupe d’herbe décisive »

Dans ce système, la première coupe d’ensilage d’herbe est une étape décisive. Elle est réalisée dès la mi-avril, en partie sur les prairies temporaires. « C’est un chantier beaucoup moins lourd à organiser que le maïs en entraide. Je fauche et j’andaine seul 25 ha, puis une ETA ramasse à l’autochargeuse pendant que je tasse. » François a ainsi réalisé quatre coupes, pour un rendement évalué à 12 t de MS/ha et jusqu’à 16 t sur 2 ha de trèfle violet pur, soit davantage que le maïs. La gestion de l’herbe doit permettre de produire cette année 330 000 litres de lait autonome.

Fin septembre, le total des charges (hors prélèvements) s’élevait à 280 €/1 000 litres (9 mois d’exercice), dont 108 € de coût alimentaire. « J’ai longtemps pensé que ce système n’était pas adapté à mon exploitation. Mais après un an de pâturage tournant dynamique, grâce à une meilleure valorisation des ressources disponibles, j’ai gagné en autonomie et je suis beaucoup plus serein. Le soir, je fais le tour des paddocks pour observer la pousse de l’herbe. J’ai l’impression de redécouvrir mon métier à 46 ans. Sans tous ces changements, je ne serais peut-être plus agriculteur aujourd’hui. »

Jérôme Pezon
Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Thomas Pitrel dans sa prairie de ray-grass

« La prairie multi-espèce a étouffé le ray-grass sauvage »

Herbe
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

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