Produire du lait en hiver avec zéro concentré de production

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Baisse des charges. L’un des leviers pour résister à la crise est de réduire le coût alimentaire. Pour les chambres d’agriculture bretonnes, cela passe par la suppression des concentrés distribués au-delà des fourrages équilibrés. Avec quelques précautions.

Après deux ans de crise et de trésorerie très tendue, peut-on aller encore plus loin dans la réduction des charges opérationnelles ? Les chambres d’agriculture de Bretagne répondent par l’affirmative. Comment ? « Par le coût alimentaire qui est la première variable d’ajustement à court terme. Selon le CERFrance Bretagne, il est passé, en dix ans, de 66 € à 95 €/1 000 litres », indique Benoît Portier, de la station expérimentale de Trévarez. Les concentrés sont en première ligne puisque leur coût a augmenté de 25 €/1 000 litres, soit + 70 %. « La production par vache ne progresse pas pour autant. Depuis cinq à six ans, elle stagne autour de 7200 à 7500 litres vendus. » Cet effort pour diminuer le coût de concentrés passe par la suppression du concentré de production en hiver. « Je préfère parler de concentré au-delà de l’équilibre énergie-azote de la ration. Sa distribution revient à aller chercher les derniers kilos de lait. Selon la conjoncture, c’est économiquement intéressant ou pas. Il faut calculer ce coût marginal à partir du prix du lait et du prix du concentré. »

« À volonté avec au moins 5 % de refus à l’auge  »

Les chambres de Bretagne et l’Institut de l’élevage défendent une approche fourragère de l’alimentation, c’est-à-dire produire un maximum de lait à partir des fourrages. Pas étonnant dans cette région réputée pour son potentiel fourrager. Ils privilégient une ration simple et équilibrée à 100 g de PDIE/UFL : du maïs-ensilage, avec ou sans ensilage d’herbe, corrigé par du tourteau de soja ou de colza. Le zéro concentré de production doit s’accompagner d’une ration distribuée à volonté. C’est la condition sine qua non, au risque sinon de pénaliser sérieusement la production de la vache. « Par « à volonté », nous entendons au moins 5 % de refus à l’auge, des refus consommables que l’on peut donner aux génisses, et non des mauvais refus comme les feuilles d’épis de maïs-ensilage », insiste Benoît Portier. Évidemment, distribuer volontairement plus que les besoins des vaches est une petite révolution personnelle que les éleveurs doivent accomplir. Autre élément qui garantit la consom­mation à volonté : une bonne circulation des vaches dans le bâtiment et pas de coins morts dans lesquels les dominantes bloquent les dominées. « À volonté ne signifie pas forcément une distribution plusieurs fois par jour. Une fois suffit. Un essai d’Arvalis et Idele en 2013 montre que les vaches ingèrent et produisent autant avec une distribution une fois ou huit par jour. Dans le premier cas, il faut tout de même repousser la ration deux fois dans la journée », complète-t-il. Avec la consommation d’une ration équilibrée à volonté, pour les Bretons, c’en est fini des calculs de ration pour un niveau de production.

Le niveau d’ingestion fait le niveau de production

« Il faut faire confiance à la capacité d’ingestion de la vache. Si elle consomme à volonté, elle exprimera correctement son potentiel.  » Il appuie son analyse sur deux expérimentations.

La première est réalisée à Trévarez de 2011 à 2014 durant trois mois d’hiver. La ration est du maïs-ensilage (80 %) et de l’ensilage d’herbe (20 %) corrigéset sans concentré de production. Elle est bien sûr à volonté. Les productions varient en début de lactation entre 30 et 45 kg/multipare/jour et en fin de lactation entre 15 et 30 kg (ration à 100 g de PDIE/UFL).

À la ferme des Trinottières (Maine-et-Loire), la seconde met en évidence un écart de 10 kg de MS ingérés entre les plus fortes et les plus faibles consommatrices. Dans le premier cas, les vaches ingèrent jusqu’à 28 à 30 kg de MS par jour, dans le second autour de 15 à 18 kg, ce qui détermine le niveau de lait produit. « Prenons l’exemple d’une lactation à 4 mois et demi. Avec 28 kg de MS, une vache reçoit l’équivalent de 40 kg de lait produit par jour. Avec 21 kg ingérés, c’est l’équivalent de 28 kg de lait. Il est inutile de concentrer la ration avec un aliment de production. C’est l’ingestion d’une ration équilibrée qui compte. »

Un préalable : des fourrages d’excellente qualité

Distribuer une ration équilibrée en hiver sans concentré de production suppose des fourrages – maïs avec ou sans ensilage d’herbe – de bonne qualité. L’Inra va plus loin. Le chercheur Luc Delaby parle de fourrages d’excellente qualité, à savoir un maïs entre 32 et 35 % de MS avec une finesse de hachage adaptée au matériel de reprise au silo, un ensilage d’herbe d’au moins 0,85 UFL et 16 % de MAT pour une teneur en MS autour de 35 %. « C’est un préalable avant d’envisager toute suppression du concentré de production », affirme-t-il. Un préalable qui le différencie de l’approche bretonne, même s’il en partage le principe. « Il faut que les fourrages soient très bien conservés pour être appréciés des vaches », insiste-t-il.

Les ensilages d’herbe et de maïs 2016 sont-ils de qualité suffisante pour envisager, d’ici à la saison de pâturage, l’arrêt du concentré de production ? On pense surtout aux maïs à plus de 35 % de MS et aux ensilages d’herbe aux valeurs alimentaires limitantes. « En Bretagne, ces maïs sont responsables d’une baisse de production en moyenne de 1 à 2 kg, observe Benoît Portier. Il n’est pas garanti que les enrichir en concentré de production génère une meilleure efficacité que celle observée dans les essais de Trévarez ou ailleurs (lire encadré). L’intérêt économique sera donc lié à l’écart de prix entre le lait et le concentré. Si la production et les taux baissent fortement par rapport aux années passées, un apport complémentaire de concentré énergétique peut se justifier. »

Privilégier les matières premières

Yann Martinot, d’Orne Conseil Élevage, va dans ce sens en estimant qu’il peut manquer jusqu’à 3 kg de lait. « Apporter de l’énergie supplémentaire sera gagnant si elle est achetée à un prix compétitif. À 250-280 € la tonne, les concentrés de production du commerce sont un non-sens économique. »

Il leur préfère les matières premières choisies pour mieux valoriser l’énergie et l’azote des fourrages. « Si 1 kg de maïs grains concassés acheté à 180 €/t permet de produire 0,8 à 1 kg de lait supplémentaire, payé 280 ou 300 €, l’éleveur est gagnant. » Autre argument en faveur des matières premières : une meilleure digestion de l’énergie et de l’azote des fourrages. Yann Martinot prend l’exemple de l’amidon du maïs : « Depuis cette année, OCL mesure le degré de solubilité de l’amidon des maïs. Elle est plutôt lente, ce qui permet de compléter avec des amidons rapides type céréales sans risquer l’acidose.  »

Le concentré de production moins efficace qu’avant ?

« Un autre élément joue en faveur de la suppression ou, au moins, de la diminution, du concentré au-delà des fourrages équilibrés, reprend Benoît Portier, le lait produit à partir d’un kilo distribué. Les essais menés à Trévarez dans les années quatre-vingt-dix ont établi une correspondance de 0,9 kg de lait produit pour 1 kg de concentré apporté. Cette équivalence descend à 0,5 kg de lait pour 1 kg apporté. C’est ce qui ressort des essais menés entre 2011 et 2014. »

La meilleure digestibilité des maïs et le réchauffement climatique qui améliore ses valeurs alimentaires génèrent une substitution plus forte du fourrage au concentré. « L’évolution de la substitution fourrage-concentré est à prendre en compte, confirme Luc Delaby. Celle constatée à Trévarez est parmi les plus fortes dans les fermes expérimentales européennes. Elle est sans doute liée à son contexte fourrager et son troupeau. D’une façon classique, mieux vaut retenir 0,8 kg de lait pour 1 kg de concentré. »

Le recours au concentré de production renvoie à la notion du coût marginal : plus on augmente la production, plus il est difficile d’obtenir les derniers kilos qui coûtent plus cher. Sur la base de 0,8 kg de lait par kilo de concentré, c’est à chacun de faire son calcul en fonction du prix du lait et de l’aliment. La décision de produire sa référence avec quelques vaches en plus ou avec du concentré sera l’arbitrage final (voir infographie p. 49).

Claire Hue
Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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