
Épidémie. À trop en demander à son troupeau dans un bâtiment saturé, un élevage a touché du doigt ses limites. Résultat : des super panaris.
Deux robots pour 135 vaches en zéro-pâturage dans un bâtiment logettes-caillebotis saturé, une ration « poussée » pour produire la référence de 1,6 Ml… L’hiver dernier, un Gaec de notre clientèle a touché du doigt ses limites. Mi-janvier, un des trois associés nous appelle pour une flambée de boiteries apparue depuis trois semaines… Son appel ne me surprend pas. Cela fait plusieurs fois qu’il vient au comptoir en peu de temps chercher des flacons d’antibiotiques (dihydrostreptomycine, tétracycline) : six en décembre et quatorze tout récemment... ça sent la grosse épidémie de panaris.
Suspicion à tort par le pareur d’une dermatite infectée
L’éleveur me précise qu’un pareur est intervenu début décembre à sa demande pour quelques « boiteuses ». Il lui a alors signalé la présence de dermatite digitée sur 4 des 9 vaches parées. Du jamais-vu jusqu’à présent dans ce troupeau. Le pareur est repassé à la demande des éleveurs un mois plus tard, car beaucoup de vaches se sont mises à boiter depuis huit jours. Cette fois, il dit observer des lésions interdigitées, les nommant « dermatites infectées ». 26 vaches sont traitées localement avec mise en place de pansements à retirer sous deux ou trois jours. Il préconise quand même de traiter 4 vaches à la dihydrostreptomycine-tétracycline.
Au bout de deux jours, les éleveurs retirent les pansements tant l’odeur est nauséabonde. Ils découvrent une nécrose de l’espace interdigité, et des pieds très gonflés. Ne sachant trop comment réagir, ils traitent localement avec une bombe à base d’oxytétracycline, jusqu’à la venue, à leur appel, du GDS, le 14 janvier. Ce dernier diagnostique un panaris interdigité. Effectivement, « la dermatite infectée » annoncée par le pareur est une lésion qui n’existe pas. Ce sont en fait des lésions sévères de panaris.
Le GDS préconise de contacter le vétérinaire afin de traiter au plus vite toutes les vaches atteintes de panaris.
C’est à ce stade de l’histoire que nous intervenons. Les lésions interdigitées observées sont effectivement très profondes. Des débuts d’arthrites interphalangiennes sont notés. Certaines vaches boitent très sévèrement et ont beaucoup de difficultés à se lever. Les éleveurs ayant commencé à traiter avec la dihydrostreptomycine-tétracycline, nous continuons sur cette lignée. Mais nous ne voyons, au fur et à mesure des traitements, qu’une amélioration très modérée : les vaches boitent un peu moins mais les pieds restent gros.
En parallèle, nous proposons de traiter les cas les plus critiques, 5 vaches sur les 27 boiteuses, en dernier recours avec du lincocine-spectinomycine (délai lait 7 jours et viande 28 j car interdit chez la vache laitière). Mais sans grand succès. La dose préconisée n’était peut-être pas suffisante sur ces cas sévères et quasi désespérés ?
Au bout de plusieurs jours, les 5 vaches les plus atteintes commencent à perdre chacune un onglon, juste au-dessus de la boîte cornée. Les difficultés à se relever engendrent un amaigrissement progressif conduisant à leur mort, les unes après les autres. Certaines sont probablement mortes d’arthrite septique.
Face à ces pertes économiques soudaines et importantes, à l’inefficacité des traitements et à de nouveaux cas de boiteries, les éleveurs perdent patience. En accord avec le GDS, nous procédons à une biopsie du tissu cutané, envoyée à Labocea. Objectif : déterminer les germes en cause et procéder à un antibiogramme. À ce stade du récit, une mise au point s’impose : un panaris qui fait tomber des onglons en quelques jours ? Je n’en ai jamais vu en quinze ans de clientèle !
Que nous dit l’antibiogramme réalisé ?
L’antibiogramme révèle la présence de Bacteroides pyogenes. Mais ce n’est qu’un germe de surinfection présent dès qu’il y a nécrose. Il n’est pas responsable du panaris. Dichelobacter nodosus est aussi présent mais sous sa forme bénigne. À lui seul il peut quand même faire des dégâts chez les bovins, d’après un récent article finlandais. Fusobacterium necrophorum est absent de notre prélèvement, mais il y a de fortes chances qu’il soit présent dans l’élevage. Un seul prélèvement n’est probablement pas suffisant, sa culture n’étant pas évidente. Elle a pu être bloquée du fait d’une lésion un peu ancienne. La bactérie peut être présente mais plus cultivable en raison de la chronicité des lésions ou d’un défaut de sensibilité de la culture (charge bactérienne trop faible). Et sa recherche en PCR ne se fait pas en routine, dommage. Donc, pour cette bactérie, difficile de conclure. Peut-on parler de super panaris dans cet élevage ? La détection de D. nodosus, la sévérité des lésions (perte des onglons) et la rapidité d’évolution peuvent en effet l’autoriser. Tout cela ne nous empêche pas quand même de traiter nos vaches anciennement atteintes et toujours sur pied, ainsi que les nouvelles, avec des pénicillines et du méloxicam. Ce qui a conduit à une guérison : ouf ! Depuis mi-avril et dans les mois qui ont suivi, seulement quelques cas de panaris simples ont dû être soignés.
Comment le troupeau en est arrivé là ?
Mais au fait, comment tout cela est arrivé ? On a continué de creuser un peu : le 12 mai, le GDS a procédé à un parage diagnostic. 30 vaches ont été parées : 60 % d’érosion du talon, 47 % de dermatite digitée, 10 % d’ulcères et cerises. Tiens donc, ici l’érosion du talon et la dermatite vont bien de pair. Les vaches semblent passer beaucoup de temps debout pour une telle érosion du talon. Attendraient-elles trop longtemps au pied des robots ? Ne seraient-elles pas trop nombreuses pour deux robots ? Les logettes tapis sont-elles vraiment confortables ? Et l’alimentation ? En novembre et décembre, les éleveurs avaient décidé d’augmenter fortement la part de betteraves (stock) par rapport à d’habitude dans la ration à base d’ensilage de maïs, enrubannage, correcteur azoté, correcteur azoté tanné, VL 2,5 litres, minéral, bicarbonate. Un cocktail bien acidogène. L’observation des taux au robot a posteriori, le constat de pieds bien rouges à l’arrière (au dire de l’éleveur) ainsi que le calcul de la ration ont pu confirmer la subacidose, le dernier parage montrant un certain nombre d’ulcères. Et qui dit subacidose dit baisse de l’immunité. Le cumul de tous ces éléments – surcharge des animaux dans le bâtiment, station debout exacerbée, importante erreur alimentaire, diagnostic de lésion des pieds faussé, accentué par l’enfermement de germes anaérobies sous pansement, traitements peu efficaces au départ – nous a conduit à cette belle épidémie de panaris, ou plutôt de super panaris.
Sérénité retrouvée après une conduite d’élevage réajustée
Depuis, les éleveurs ont été très réactifs : ils ont diminué le nombre de vaches dans le bâtiment à 125, un peu plus raisonnable pour 2 robots. Ils ont arrêté progressivement la betterave depuis janvier, et augmenté en parallèle la part d’enrubannage. Des brosses sur les racleurs ont été installées pour favoriser le nettoyage des couloirs (8 passages sur vingt-quatre heures, 2 la nuit, 6 le jour), les vaches restent cependant encore globalement sales (entre autres les pieds). Ils ont changé les tapis de logettes en matelas, beaucoup plus confortables. Et ils ont constaté que leurs vaches se couchaient beaucoup plus longtemps. Ils tentent de gérer la dermatite par traitement global du troupeau avec pulvérisation de solution locale. Les éleveurs sont dorénavant plus sereins. Nous aussi d’ailleurs, même s’il faut rester vigilants pour la suite des événements. À l’heure actuelle, il n’y a pas de publication attestant de la présence du super panaris en France, alors que certains pareurs affirment en voir régulièrement dans les élevages.
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