À Pixérécourt, de l’autonomie, de l’EBE et du plaisir à travailler

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Croisement 5 voies. Jérôme Joubert (à droite), directeur de la ferme de Pixérécourt et Bernard Antoine, vacher, devant une vache croisée du troupeau. d.gremy
Croisement 5 voies. Jérôme Joubert (à droite), directeur de la ferme de Pixérécourt et Bernard Antoine, vacher, devant une vache croisée du troupeau. d.gremy (©d.gremy)

La ferme du lycée agricole, près de Nancy, a fait un choix de système radical basé sur l’herbe pâturée, l’autonomie et l’économie. Il offre une autre façon de travailler, mais aussi une certaine résilience en année sèche.

«Notre mot d’ordre : être en cohérence avec notre environnement, aussi bien avec le climat, nos sols, mais aussi avec les attentes sociétales », annonce d’entrée Jérôme Joubert, directeur de l’exploitation du lycée de Pixérécourt (Meurthe-et-Moselle). Cet élevage laitier a opté pour un système de production très simple et autonome, basé sur l’herbe. Et ça marche plutôt très bien, même avec le climat lorrain.

Cette orientation est prise en 2006. À l’époque, l’exploitation, avec ses prim’holsteins à 8 500 kg et du maïs ensilage toute l’année, offrait de bonnes performances techniques. C’était plus compliqué économiquement. « Avec trois salariés de droit privé à rémunérer, nous avons une masse salariale de 130 000 € à sortir tous les ans. Ici le travail ne peut pas être la variable d’ajustement. L’entreprise est là pour rémunérer la main-d’œuvre », avertit Jérôme. Et ce n’est pas la seule contrainte. Le contexte pédoclimatique se définit avec une pluviométrie limitée : 800 mm en moyenne sur trente ans, et plutôt 550 mm entre 2018 et 2020. L’exploitation comporte deux grands îlots : 140 ha de pelouse calcaire, zone Natura 2000, à très faible productivité, (environ 1 mouton à l’ha) et réservés au troupeau ovin. Le second îlot est de 140 ha de sols sablo-limoneux et argilo-calcaires superficiels. Ils présentent peu de réserve utile et un potentiel limité (8-10 t de MS en maïs).« Les cultures d’été n’ont pas de sens ici, même le sorgho. On se focalise sur des plantes qui réalisent leur croissance au printemps et en automne-hiver­. C’est-à-dire l’herbe et les céréales à paille. » La ferme de Pixérécourt est aussi très proche de l’agglomération nancéienne avec ses 300 000 habitants. Les promeneurs du week-end sont nombreux et n’hésitent pas à exprimer leurs attentes. « Il faut s’adapter, nous n’avons pas le choix. Nous devons être attentifs à notre image, alors des vaches qui pâturent, ça passe mieux qu’un pulvérisateur sur une terre labourée », reconnaît Jérôme. Pour autant, l’exploitation n’est pas en bio mais livre un lait sans OGM à Sodiaal (+10 €/1000 l depuis 2018).

Face à ses contraintes bien identifiées, la décision a été prise de comprimer au maximum les charges opérationnelles en commençant par la voie de l’alimentation. Cela passe par l’arrêt du maïs ensilage et une maximisation du pâturage.

Un parcellaire propice au pâturage

Un choix facilité par le parcellaire : 62 ha sont accessibles aux vaches sans traverser une route. Jérôme travaille avec des prairies multi-espèces à base de RGA ou d’un mélange de fétuque et de dactyle, selon les contraintes de la parcelle, associés à du trèfle blanc ou de la luzerne. « Je cherche de la diversité génétique dans mes mélanges : ainsi, j’associe jusqu’à huit variétés de RGA. Car je veux un maximum de souplesse avec des démarrages précoces et des épiaisons tardives. L’objectif est aussi de faire vieillir ces prairies, certaines ont dix ans. » Après un déprimage qui peut commencer dès février selon la portance des sols, le pâturage débute autour du 15 mars et, au 10 avril, le silo est fermé. Il est tournant dynamique sur des parcelles découpées en paddocks avec une conduite à l’herbomètre. Bien sûr, les chemins d’accès (certains sont bitumés dans les zones de pentes) et les points d’eau accessibles partout ont été aménagés avec des canalisations enterrées. Il y en a toujours un à moins de 100 m. « Nous sommes équipés de deux quads avec système d’enrouleur-dérouleur de fil de clôture et accompagnés de quatre chiens de troupeau. En conditions poussantes, dès que nous dépassons 20 jours d’avance, on fauche et on enrubanne pour incorporer la parcelle au prochain cycle de pâturage. Nous gagnons ainsi dix à vingt jours de pâturage de bonne qualité. Avec un coût alimentaire au pâturage estimé à 15 €/1 000 l (contre 115 €/1000 l en ration conservée), le coût de l’enrubannage est vite compensé », précise Jérôme.

S’adapter à la ressource disponible

Entre avril et octobre, le troupeau est à l’herbe pâturée en plat unique avec zéro concentré, soit 200 à 220 jours et nuits de pâturage. L’enrubanné vient en complémentation quand l’herbe manque en juillet-août. Les stocks pour l’hiver sont faits avec de l’ensilage réalisé fin mai, après un déprimage tardif. Il est introduit progressivement dans la ration à partir d’octobre et le début des vêlages. « Si j’ai suffisamment de stocks disponibles, comme cette année, je vais rechercher la valeur du fourrage (MAT/UFL). Si je suis limité en fourrage, je vais chercher du volume. »Toute la stratégie de l’exploitation est bien de s’adapter à la ressource disponible. En année sèche, s’il y a moins de fourrage, on produira moins de lait. D’ailleurs, le droit à produire est de 414 000 litres mais l’exploitation ne livre que 345 000 litres. Il n’y a jamais d’achat de fourrages (hors du territoire proche) et peu de concentré distribué : 250 à 280 kg/vache (deux tiers céréales, un tiers pois, autoproduits). La surface en céréales sert aussi de variable d’ajustement en fonction des fourrages disponibles.« La productivité à l’animal n’est pas un objectif. Avec des vaches entre 4 500 et 5 500 litres de lait, le troupeau s’adapte au potentiel fourrager. Les vaches sont moins sollicitées, en contrepartie, elles restent en état avec un bon niveau de fertilité (357 jours d’IVV). Nous avons ainsi réduit les frais indirects mais aussi les frais vétérinaires. Entre 2006 et 2019, nous sommes passés de 15 000 € à 5 000 €. »

Le croisement pour des vaches flexibles

La race prim’holstein d’avant 2006 n’avait pas vraiment sa place dans ce système très économe où l’animal doit s’adapter à la ration disponible et non le contraire. « Certaines y parviennent mais il aurait fallu attendre plus de vingt ans pour avoir un troupeau en race pure qui nous corresponde, c’est-à-dire souple et adaptable. Alors, nous avons choisi la voie mâle, donc le croisement, beaucoup moins onéreux qu’un changement de race. » Cinq races ont été utilisées dans un schéma de croisement rotatif qui maximise l’effet d’hétérosis : la jersiaise pour l’efficacité alimentaire et les taux, la montbéliarde pour le gabarit, les fonctionnels et les taux, la rouge suédoise pour la résistance sanitaire et le gène sans corne, la normande ou la simmental pour le gabarit et les fonctionnels et la vosgienne pour la fécondité. « Les accouplements sont réalisés en choisissant, pour chaque vache, la race qui correspond le mieux. Ensuite, on regarde ce qui marche ou pas et on s’adapte. Par exemple, on a été déçus par les F1 normandes × jersiaises. Je regarde notamment le lait produit par 100 kg de poids vif. L’ingestion de fourrage étant liée au poids, c’est un critère intéressant pour juger quel animal valorise le mieux une ressource finie », explique Jérôme. L’objectif est aussi de faire vieillir les vaches en visant une moyenne de 4 à 5 lactations et un veau par an avec des vêlages qui ont lieu entre 22 et 26 mois. L’intérêt est également de réduire le nombre de génisses (une quinzaine), donc les coûts. « Bien qu’à l’herbe neuf mois par an, une génisse nous revient à 450 € », précise Jérôme. L’économie, c’est aussi un travail du sol simplifié. Le labour n’intervient que tous les cinq ou huit ans pour casser les prairies. Le désherbage mécanique et les semis sous couvert autorisent à se passer des phytos. Des vaches nourrices permettent d’élever des veaux en bonne santé et sans frais. L’apport d’engrais minéral se résume à 50 unités d’azote sur les prairies fin mars, soit une dizaine de tonnes.« Cette année, vu le prix de l’ammonitrate, j’ai fait l’impasse. Le coût ne valait pas les dix jours d’avance que nous avons peut-être perdus. »

Plus de 150 000 € d’EBE

Ce système offre aussi des conditions de travail très intéressantes en quantité et en qualité. Plus de logettes à nettoyer, de déjections à épandre, de fourrage à stocker et à distribuer pendant plusieurs mois. L’hiver, une auge mobile autorise une distribution une fois par semaine. À l’inverse, il faut aller chercher les vaches, faire les clôtures et mesurer la hauteur d’herbe. « J’y prends beaucoup plus de plaisir que de monter sur un tracteur », se réjouit Jérôme. Mais pour finir, quelle est l’efficacité économique de ce système très herbager ? Sur les cinq dernières années, l’exploitation a connu trois sécheresses importantes. Les chiffres le démontrent (voir infographie), l’EBE n’a pas cessé d’augmenter, offrant une plus grande capacité à rémunérer la main-d’œuvre, tout en préservant la capacité d’autofinancement. « Nous avons réussi à augmenter la masse salariale tout en dégageant 50  000 à 60 000 € de CAF pour nos investissements. Nous avons une certaine résilience économique lors des années sèches. Il faut pour cela un volant de sécurité sur les stocks et ne pas chercher à faire la référence à tout prix. De manière plus générale, quand les charges sont très maîtrisées, les aléas techniques ont moins d’impact sur le résultat », conclut Jérôme.

Dominique Grémy

© d.gremy - Le parcellaire. 62 ha sont accessibles aux vaches. Ils ont été aménagés avec des chemins d’accès et des points d’eau.d.gremy

© v.guyot - Ration hivernale.Les vaches ont accès aux cubes d’ensilage d’herbe avec des cornadis mobiles. Ainsi, la distribution a lieu une fois par semaine. v.guyot

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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