
Alors que le coût des intrants explose, Alexandre et Didier Pichon se félicitent du choix stratégique à 180 degrés effectué il y a cinq ans.
Dans la Dombes, au nord de Lyon, le Gaec de La Grande Fontaine a modifié radicalement son système de production : d’un troupeau montbéliard avec des vaches à 9 500 kg quasiment en zéro pâturage, l’exploitation est passée à un système herbager bio économe avec des laitières à 6 500 kg et une conduite pointue du pâturage. Alors qu’ils en avaient « marre de payer des factures », Alexandre et Didier Pichon constatent avec satisfaction que le nouveau système fonctionne très bien et qu’il génère beaucoup moins de pression. De quoi affronter avec plus de sérénité les prochains mois qui s’annoncent difficiles pour les trésoreries.
Au Gaec de La Grande Fontaine, l’alimentation des 87 laitières est désormais établie à partir des stocks de fourrage et de concentré fermier disponibles (au maximum 3 kg par vache). Celui-ci est fabriqué avec les céréales produites sur l’exploitation (orge, méteil grain et épeautre). Les fraîches vêlées sont complémentées au Dac avec 2 kg de concentré supplémentaires. Résultat : alors que la ration se compose essentiellement d’herbe (ensilage d’herbe, enrubannage, foin et pâture), la quantité de concentré se limite en moyenne à 125 g par litre de lait produit. Au printemps, avec un système très pâturant (zéro concentré en avril, mai et juin) et une production de 23-24 kg de lait par vache et par jour, le coût de la ration ne dépasse pas 40 € les 1 000 litres. « Compte tenu du niveau de production du troupeau et bien que le TP soit un peu faible (32 g par litre ou 31,4 au premier contrôle), ça passe », observe Rémi Berthet, d’Acsel Conseil Élevage.
Originaire d’une ferme familiale trop petite en Mayenne, Didier Pichon s’est installé dans l’Ain en 1994. En Gaec avec des tiers pendant une vingtaine d’années, il est associé avec son fils depuis janvier 2016. Titulaire d’un bac pro CGEA et d’un certificat de spécialisation laitière, Alexandre a repris, à 20 ans, les parts sociales du dernier associé de son père, parti à la retraite. Le fils de Didier connaissait l’exploitation pour y avoir fait son apprentissage et y avoir été salarié six mois.
La ferme brassait de l’argent sans rémunérer correctement les éleveurs
L’arrivée d’Alexandre a permis de casser une routine et de changer le système de production en place. La ferme, alors constituée d’un atelier lait conduit intensivement sur 113 ha seulement et d’un atelier porc en engraissement (1), brassait beaucoup d’argent mais ne rémunérait pas correctement ses éleveurs. « Pendant longtemps, avec mes anciens associés, on a cru s’en sortir en augmentantlesvolumes, avant de prendre conscience qu’on n’y arriverait pas compte tenu du coût des intrants et du prix du lait conventionnel », témoigne Didier Pichon.
Produire un lait économe
Les possibilités d’une conversion en bio ont été étudiées à la suite d’une visite au stand Biolait, au Salon des opportunités de Bourg-en-Bresse, fin 2015. « Nous avions les silos, une mélangeuse, tout pour valoriser les fourrages », pointe Didier. Une analyse qu’ont confortée l’étude économique et le diagnostic technique réalisés par la chambre et l’Adabio. Arrêtée, la décision de partir en bio a été différée au 1er mai 2017. L’assolement (un tiers herbe, deux tiers cultures) n’était pas prêt. Les vaches étaient conduites intensivement et le pâturage tournant n’était pas bien géré. « Nous voulions partir sur un système économe en cherchant l’autonomie. Cela passe par la valorisation de prairies riches en légumineuses qu’il fallait implanter. En attendant, nous nous sommes formés avec le contrôle laitier aux techniques de pâturage et à toutes les pratiques alternatives de soins (huiles essentielles, homéopathie, etc.). Nous avons adhéré à un groupe pâture constitué de dix exploitations du secteur dont trois en bio avec lesquelles nous échangeons toutes les semaines. » Début novembre 2018, le Gaec changeait de laiterie, quittant Servas-Savencia pour Biolait, dont Alexandre est aujourd’hui le référent départemental. « Nous sommes partis sur un système simple sans investir, sauf dans l’achat d’un tank à lait et l’implantation de 25 ha de prairies multi-espèces à l’automne 2016. »
Introduit en 2017, le pâturage dynamique des laitières a été amélioré depuis 2021. Les éleveurs attendent désormais que l’herbe ait 3 à 3,5 feuilles et non plus 2,5 pour la faire pâturer. Les parcelles de 1 ha pour vingt-quatre heures ont été redécoupées au fil. Il est déplacé toutes les 12 heures. « Avec un temps de repos de l’herbe plus long, le rendement augmente rapidement, commente Rémi Berthet. La valeur alimentaire de l’herbe plus avancée est un peu plus faible, mais elle est mieux équilibrée d’où un meilleur transit et une meilleure santé des animaux. Les observations faites grâce aux caméras installées au pâturage fin mai-début juin pendant soixante-douze heures ont confirmé les données des colliers Medria : avec un passage de 18 cm à 5 cm de hauteur d’herbe en 12 heures, le pâturage est optimisé à fond. »« Serrer les vaches sur une petite surface les met en concurrence pour manger l’herbe, renchérit Alexandre. Il n’y apas de refus à faucher. On économise du temps et du gasoil. » Le pâturage tournant sur génisses et les taries est pratiqué depuis 2018. Les éleveurs ont aussi testé le topping, une pratique qui consiste à faucher l’herbe sur pied à 7-8 cm et à la faire consommer sur place après l’avoir préfanée entre douze et vingt-quatre heures. Déconseillé en systématique, le topping est préconisé si nécessaire une fois par an, fin mai, lors de la montée à graines rapide des graminées. Elle permet de faire pâturer et de faucher des refus en même temps. « C’est un investissement en coût (+ 20 € ha) et en temps mais qui est bénéfique pour la qualité des cycles d’herbe suivants », pointe Rémy Berthet. Au printemps, les animaux sont lâchés le plus tôt possible, le 22 février, cette année. Dès que les terrains portent, un déprimage est réalisé sans s’occuper du stade de l’herbe. Inexistante l’été, la pousse d’herbe peut redémarrer fin août s’il pleut un peu. « On fait alors pâturer comme au printemps et on réalise un maximum de stocks. Quand il n’y a plus d’herbe dans les prés, on affourage au bâtiment et les vaches sortent sur une parcelle proche. » L’achat, en 2021, d’une petite ensileuse de style Taruup permet d’affourager en vert et d’aller chercher de l’herbe riche en protéines. 2 kg de MS d’herbe par vache avec 2 trèfles blancs et un trèfle violet apportent de l’azote dans la ration et une économie de quelques euros. Aujourd’hui, l’objectif de la famille Pichon n’est plus de produire des volumes, mais un lait économe.
« Les vaches font le lait avec ce qu’on leur donne et ça fonctionne. Accompagnés par des techniciens compétents, on a obtenu mieux que les prévisions du diagnostic de conversion en bio. L’objectif initial de production, il est vrai, a été revu à la baisse à la suite du choix de n’acheter ni VL ni tourteau (de 7500 kg de lait par vache et par an à 6500 kg). Nous avons abandonné le maïs, et changé la technique de pâturage. Résultat : jusqu’en 2015, nous produisions 650 000 litres de lait, aujourd’hui nous en vendons 500 000 l pour le même chiffre d’affaires mais avec une économie de 35 000 € d’intrants. »
Un croisement trois voies maison
Pour plus de rusticité et moins de boiteries, les éleveurs sont partis sur un croisement trois voies : après avoir débuté avec la viking red, ils ont opté pour « un trois voies maison » avec de la brune et de la simmental. « Nous voulons garder le côté viande de la montbéliarde, soulignent les éleveurs, mais nous regrettons que les OS soient toujours sur la productivité et sélectionnent peu les animaux pour leurs aptitudes au pâturage. »
(1) L’atelier naisseur a été arrêté fin 2015, l’engraissement en 2020.
« J’ai opté pour un système très simple car c’est rentable »
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