
Par crainte de se retrouver sous les projecteurs, le Cniel travaille à la mise en place d'un réseau de surveillance du lait préventif. L'usage des pesticides devra, lui, être réduit.
DÉGRADATION DE LA QUALITÉ DE L'EAU, FAUNE ET FLORE FRAGILISÉES, crainte des consommateurs pour leur santé : les pesticides sont de plus en plus montrés du doigt. Consciente que la pression sociétale va s'accentuer ces prochaines années et que le secteur laitier peut être montré du doigt, la filière a décidé de mettre en place une veille réglementaire et sanitaire. Depuis six ans, une chargée de mission de l'Institut de l'élevage, détachée à l'interprofession laitière, suit l'évolution réglementaire européenne et française. « Les critères d'homologation des produits ont été durcis, constate Sophie Bertrand, la chargée de mission. Les matières actives existantes ont été réhomologuées, ce qui a conduit à la suppression d'un certain nombre d'entre elles. Dans cinq ans, il y aura moitié moins de matières actives qu'aujourd'hui. Les agriculteurs disposeront d'un panel de choix plus limité. »
En revanche, l'Union européenne a assoupli, en septembre dernier, les limites maximales en résidus (LMR) présents dans les aliments d'un certain nombre de pesticides, ce qui a provoqué les foudres des organisations non gouvernementales environnementales. Dans un souci d'harmonisation et de simplification, l'UE a fixé une seule liste européenne de LMR, se substituant aux vingt-sept listes nationales. « Les LMR françaises étaient plus basses », confirme Sophie Bertrand. En France, pour le lait, à partir d'une liste d'une centaine de produits établie par l'UE, la DGAL effectue chaque année des analyses de lait en prélevant des échantillons de façon aléatoire. « Le lait ne pose pas de problèmes particuliers, rassure Sophie Bertrand. Les analyses de la DGAL n'indiquent pas de dépassement de LMR. Si c'est le cas, c'est de façon très accidentelle, par exemple avec les insecticides organochlorés tels que le lindane, interdits en Europe depuis longtemps mais très persistants. »
De leur côté, les industriels réalisent des autocontrôles plusieurs fois par an, voire tous les mois pour certains, en se basant sur la liste LMR. Pour éviter ce dispersement, le Cniel travaille à la mise en place d'un réseau de surveillance national. La première étape consiste en l'élaboration d'une liste pertinente de produits phytosanitaires à analyser. La chargée de mission est en train de l'achever. Elle sera réduite à une cinquantaine de produits. « Dans la liste officielle figurent, par exemple, les substances actives appliquées sur la pomme, les vaches étant susceptibles d'en manger. Or, ce type d'alimentation est anecdotique. Ces produits ne figureront donc pas dans la liste interprofessionnelle. »
LE LAIT DE DEUX FERMES EXPÉRIMENTALES ANALYSÉ
La deuxième étape sera la création d'un échantillonnage national représentatif de la collecte laitière française, ce qui évitera à chaque laiterie d'effectuer ses propres analyses. Les prélèvements porteront sur les cuves de grands mélanges. En amont, une veille sanitaire est effectuée sur les matières actives pouvant poser des problèmes de transfert vers le lait. Elle est renforcée, depuis deux ans, par l'analyse du lait de la ferme expérimentale de Derval (Loire-Atlantique) et d'une autre qui souhaite rester dans l'anonymat. Cette opération est effectuée trois fois par an, à chaque changement de ration. Les matières actives utilisées sur ces exploitations et les résidus sur les aliments importés (tourteau de soja, par exemple) y sont recherchés, soit une dizaine de substances. De plus, depuis cette année, des analyses sont effectuées sur cinq fermes pilotes, là aussi à chaque changement de ration laitière. « Cela nous permet de détecter d'éventuels soucis sur une matière active. Nous pourrons réagir rapidement en cas de problèmes. » Pour l'heure, aucune LMR n'a été dépassée. « S'il s'avérait que le matériel d'analyse détectait des résidus sous la LMR, il ne serait pas capable de les quantifier. Cela rend donc difficile leur interprétation, tant au niveau de leur origine qu'au niveau des conséquences sur la santé humaine. »
Le lait est principalement exposé à deux types de produits. D'une part, les insecticides composés d'organophosphorés et organochlorés. Liposolubles, ces molécules persistantes se concentrent dans la matière grasse du lait. Le tourteau de soja est la principale source potentielle de contamination. D'autre part, les herbicides, pesticides majoritaires dans les exploitations laitières. Hydrosolubles, ils sont éliminés par les urines. Néanmoins, en cas d'importante exposition, par l'abreuvement notamment, la vache ne peut pas forcément tout éliminer, si bien qu'une partie du produit pourrait se retrouver dans le lait. Selon les confidences d'un industriel, c'est ce qui se serait produit ponctuellement en 2003, avant l'interdiction de l'atrazine.
Certains éleveurs, désireux de se débarrasser de l'herbicide, auraient eu la main un peu lourde. « L'homologation des produits phytosanitaires est sérieuse, ce qui est rassurant, avance Sophie Bertrand.
Néanmoins, un doute subsiste sur les métabolites. Il faut lever. En effet, la nouvelle génération de matières actives se désagrège en métabolites différents selon le milieu dans lequel elle se trouve (air, eau, sol, plante, animal). Ces matières actives sont difficiles à tracer tant leur quantité est infime. Ce dossier est complexe. »
LA RÉGLEMENTATION OBLIGE À ÉVOLUER
Plus largement, sous la pression de la réglementation, la production laitière s'oriente vers une réduction de l'utilisation des pesticides. Le plan Ecophyto 2018, adopté à la suite du Grenelle de l'environnement, vise notamment à réduire de 50 % l'usage des pesticides « si possible » d'ici à 2018 et à l'échelle nationale. Encore faut-il être capable de mesurer les évolutions de la consommation de pesticides. Après concertation avec l'industrie phytosanitaire, les associations environnementales et la recherche, les pouvoirs publics ont retenu comme indicateur de suivi le Nodu (nombre de doses unités) et non les quantités vendues. Les nouveaux produits étant de plus en plus concentrés, les quantités diminuent arithmétiquement. Prendre comme indicateur les quantités vendues biaiserait donc le suivi.
« À chaque substance active est attribuée une dose de référence unique, détaille Laurence Guichard, de l'Inra-Grignon, unité agronomie, pour expliquer le Nodu. Il s'obtient en divisant chaque quantité de substances actives vendues par sa dose de référence. Elles sont ainsi comparables. Cela permet de les additionner et de suivre leur utilisation d'année en année. » Reste à définir le champ d'application. Tous les secteurs seront-ils concernés par la réduction de 50 %, ou seulement ceux ayant le plus d'impact sur l'environnement et les denrées alimentaires ? À moins que l'on raisonne par région ou par type de produit. Dans ce cas, les herbicides, hydrosolubles, pourraient se retrouver en première ligne. Ainsi, l'Ampa, issu de la dégradation du glyphosate, est la molécule la plus fréquemment rencontrée dans les eaux. D'autres mises au point d'indicateurs de suivi sont en cours, par exemple sur le niveau de toxicité du traitement phytosanitaire.
COMBINER PLUSIEURS SOLUTIONS TECHNIQUES
« Si on veut réduire de 50 % l'usage des pesticides, il faut repenser les systèmes de production pour leur permettre d'être moins dépendants des pesticides, avance Laurence Guichard. Des solutions techniques existent mais aucune n'est individuellement aussi efficace que la solution chimique. Il faut donc les combiner pour créer des conditions agronomiques défavorables aux agressions. » Et ainsi moins recourir aux pesticides.
- Associer différentes variétés ou espèces : en céréales, des variétés plus ou moins sensibles aux maladies et à la verse peuvent être mélangées. De même, une association de céréales et légumineuses d'hiver peut être implantée, par exemple pour la récolter en ensilage en juin. Un semis sous couvert de trèfle violet ou de luzerne peut même prolonger la valorisation de la parcelle sans recourir aux herbicides (voir pages précédentes).
- Détruire mécaniquement les mauvaises herbes : la herse étrille en céréales et le binage entre les rangs de maïs pour déchausser les jeunes adventices sont des solutions mécaniques bien connues. « La première s'applique sur les très jeunes plantules et nécessite plusieurs jours de beau temps, ce qui n'est pas évident en cultures d'hiver. Le binage sur maïs au printemps est plus aisé. S'il est associé à une destruction chimique sur le rang, il réduit de 40 à 60 % la surface traitée. » Moins connu est le faux semis. Avant le semis de la culture, la création des conditions pour un lit de semences favorise la levée des mauvaises herbes qui seront détruites par le passage d'une herse ou d'un cover crop. Cette opération peut s'effectuer plusieurs fois, ce qui abaisse le stock de semences d'adventices dans le sol. Cette technique nécessite de reculer la date de semis. Les variétés précoces combleront ce décalage et limiteront le temps d'exposition de la plante aux agressions.
- Eviter la monoculture du maïs : la monoculture du maïs sur une parcelle spécialise la flore adventice. Ce phénomène est accentué par le fait que les semences des adventices de printemps sont plus persistantes que celles d'automne.
L'idéal est de casser cette monoculture en introduisant une céréale d'hiver dans la rotation. Plus globalement, il faut intégrer dans la lutte contre les mauvaises herbes l'allongement de la rotation pour diversifier les périodes de semis (colza en fin d'été, céréales à l'automne, pois et orge en printemps précoce, maïs en printemps tardif, etc.).
- Ne pas gaspiller l'azote : sur céréales, trop d'azote favorise la verse de la culture. Pour contourner ce risque, l'emploi d'un raccourcisseur est courant. De même, trop d'azote encourage un peu trop le tallage, ce qui crée un microclimat au niveau des pieds, propices aux maladies du feuillage. « Cela ne sert à rien de réduire l'azote si par ailleurs on sème tôt et dense. La culture s'en trouvera fragilisée. Changer une seule pratique pour limiter l'usage des pesticides risque de produire des contre-effets. Il faut combiner plusieurs techniques », rappelle Laurence Guichard.
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