
Dans le grand Ouest, des éleveurs veulent préserver leur système laitier productif en implantant des prairies multi espèces et en séchant l'herbe récoltée en grange.
LES REGIONS SONT EN QUETE DE SOLUTIONS TECHNICO-ECONOMIQUES pour stopper le recul des prairies dans les exploitations laitières. Dans le grand Ouest, les regards se tournent vers le séchage du foin en grange. Reposant sur l'implantation de prairies multi-espèces, il permet de rester dans un système productif et de proposer un fourrage de qualité. Les 750 éleveurs qui se sont déplacés cet hiver aux portes ouvertes, organisées par l'association Séchage en grange des fourrages de l'Ouest (Segrafo), ont compris l'alternative au maïs-ensilage que représente cette technique. Néanmoins, peu ont franchi le pas.
L'association recense quatrevingt- dix équipements de séchage en vrac montés depuis 2000. Le nombre de séchoirs en balles est estimé entre dix et vingt. Un doublement des installations en vrac est annoncé d'ici à 2012. « 90 % sont des éleveurs laitiers. Il s'agit pour moitié d'éleveurs bio et, pour l'autre, d'éleveurs conventionnels à la recherche d'une autonomie alimentaire. Tous n'abandon nent pas pour autant le maïs », détaille Lucie Winckler, de Segrafo. Les principaux freins sont la lourdeur de l'investissement (entre 150 000 et 250 000 € selon la capacité de séchage) et le manque de références technico-économiques. Afin de lever ces interrogations, les chambres d'agriculture et les réseaux d'élevage normands, Segrafo, la ferme expérimentale de la Blanche Maison (Manche) et l'Inra du Pin-au-Haras (Orne) ont entrepris un travail de suivi d'exploitations et de recherche depuis trois années sur le séchage en vrac.
OBJECTIF : MAINTENIR LES PERFORMANCES LAITIÈRES
La ferme de la Blanche Maison a mis en service, en 2006, un séchoir à capteur solaire, équipé d'une griffe de distribution. « Entrant aux pignons du bâtiment, l'air passe entre la toiture et un faux plafond isolant, ce qui permet de le réchauffer lorsque le soleil donne sur le toit de couleur sombre, précise Bernard Houssin, responsable de la Blanche Maison. Il est ensuite aspiré dans un caisson de ventilation pour être pulsé au travers du foin. » La ferme expérimentale a également investi dans une chaudière dotée d'un brûleur d'huile de colza pour réchauffer l'air en cas d'ensoleillement insuffisant. Le séchoir à proprement parlé comprend quatre cellules de stockage du foin en vrac pour une capacité de 120 t. « Le bâtiment a été allongé de deux travées, d'un total de 120 m2, pour raccorder le séchoir à la stabulation existante. »
L'investissement s'élève à 160 900 € dont il faut déduire 29 350 € de subventions.
À l'automne 2006, la ferme de 57 ha a été divisée en trois mini-exploitations indépendantes. Deux permettent la comparaison pendant cinq ans d'un système fourrager pâturage + maïs-ensilage à un autre basé sur le pâturage et le foin séché en grange. Le troupeau de soixante normandes a été réparti en deux lots de trente laitières. Le lot maïs dispose de 7 ha de maïs et de 10 ha de prairies pâturées, dont les excédents sont enrubannés. Le lot foin évolue sur 10 ha de prairies pâturées et 8 ha de prairies temporaires réservées à la fauche. « Nous espérons apporter des réponses aux éleveurs souhaitant s'orienter vers des systèmes plus herbagers, tout en restant productifs », explique Bernard Houssin.
Les valeurs nutritives du foin ventilé offrent cette alternative (voir p. 30). La première étape de l'essai a donc consisté à semer en 2006 des prairies multi espèces pour la fauche, adaptées aux deux types de sols de la Blanche Maison. Dans le premier, un lsol limono-argileux avec un ressuyage normal, un mélange de ray-grass hybride (RGH) et luzerne a été semé. Dans le second, argileux et plus humide, il s'agit d'une association de fétuques élevée et des prés + trèfles violet et blanc. Quatre ou cinq coupes sont réalisées
SYSTÈME MAÏS : PLUS DE RENDEMENTS EN FOURRAGES ET EN LAIT
Au terme de cinq ans d'expérimentations, l'objectif de la Blanche Maison est d'établir un bilan zootechnique, environnemental et de travail des deux systèmes fourragers. Les résultats actuels sont donc provisoires. Qu'indiquent-ils ? « Tout d'abord, les parcelles de maïs sont plus productives que les prairies fauchées, observe Bernard Houssin. Les premières ont fourni, selon les années, 1 à 2 t de MS/ha de plus que les secondes. » En 2007, le rendement moyen de maïs-ensilage s'élevait à 12,5 t de MS/ha, contre 11 t de MS/ha de foin ventilé. En 2008, il n'a été respectivement que de 10 t de MS/ha et 8,8 t en raison des mauvaises conditions climatiques. De plus, pratiquant la monoculture de maïs, la Blanche Maison implante un ray-grass d'Italie entre deux maïs. L'ensilage de ray-grass italien est distribué aux vaches du lot maïs.
Du côté du lait, là aussi, le maïs-ensilage fait la différence. Jusque-là, il a assuré une production hivernale supérieure (voir p. 31). Les multipares ont comblé cet écart dès la mise à l'herbe, pas les primipares. « Même si les quantités annuelles ingérées par les deux lots sont globalement identiques, la valeur énergétique du foin ventilé, en moyenne inférieure de 0,1 UFL/kg de MS, a pénalisé les performances laitières. Les concentrés n'ont pas corrigé cette différence puisqu'ils ont été distribués à quantité égale pour mesurer l'effet fourrage », avance Guillaume Migault, étudiant à l'École supérieure d'agriculture d'Angers. La ferme espère y remédier en améliorant les valeurs alimentaires des foins ventilés par plus de RGA et de trèfle blanc dans les prairies. Dans ce but, des sur semis de RGA et trèfle blanc ont été effectués dans les prairies avec fétuques. « Nous manquons de références pour la constitution de prairies multi-espèces adaptées aux conditions des exploitations et capables de fournir un fourrage correspondant aux objectifs visés », confie Bernard Houssin Les essais des chambres d'agriculture de Normandie devraient apporter des réponses ces prochaines années.
D'autre part, l'un des arguments en faveur du séchage du foin en grange qu'avancent les éleveurs utilisateurs concerne le temps de travail, en particulier l'hiver. C'est ce que vérifie la Blanche Maison en enregistrant les heures réalisées dans les deux mini-exploitations, que ce soit pour le travail quotidien d'astreinte (traite, alimentation, veaux, génisses, paillage, surveillance) que pour les travaux des champs. Dans le premier cas, à effectif égal (trente laitières), 93 h de plus ont été consacrées à l'élevage maïs (1 102 heures contre 1 009 heures) en 2007-2008.
DISTRIBUTION : 53 HEURES DE MOINS AVEC LE FOIN VENTILÉ
« La reprise du foin dans les cellules de stockage et sa distribution par la griffe prennent moins de temps que la gestion du silo d'ensilage et la distribution par la désileuse, observe Élodie Fèbvre, étudiante à l'Ensa de Rennes. L'élevage foin gagne 53 h. » L'autre économie de temps provient de la traite : 627 h contre 668 h « A effectif égal, la production de lait par vache est inférieure et réduit le temps de traite. Seulement, il faut plus de vaches pour réaliser le quota », souligne-t-elle. Conséquence : entre janvier et mars, là où le temps d'astreinte est le plus important à la Blanche Maison, 4 h 30 de travail par jour sont nécessaires à l'élevage foin tandis que l'élevage maïs demande 1 h de plus. En revanche, le temps de travail aux champs est identique : dix-huit jours. Il se décline toutefois différemment. « Les fauches successives étalent le travail de mai à septembre. Elles demandent une grande réactivité aux conditions météorologiques tout au long de la saison. Le fanage représente 50 % du temps. »
Le semis du maïs, lui, en consomme 39 %, suivi de la fertilisation : 28 %. Ce travail de comparaison montre que l'abandon du maïs au profit d'une surface 100 % herbe ne remet pas fondamentalement en cause la structure de l'exploitation en termes de surface et d'effectif de troupeau. Il demande des ajustements avec quelques hectares et vaches supplémentaires pour compenser la baisse de rendements fourrager et laitier. De son côté, d'après le réseau d'élevages normands, ce système tout en herbe ne se cantonne pas aux structures laitières considérées comme moyennes dans le grand Ouest (environ 250 000 l). Les huit exploitations conventionnelles suivies ont produit, en 2007-2008, en moyenne 408 000 l de lait et les cinq en bio 287 450 l (voir tableau ci-dessus). Reste le frein de l'investissement, de 150 000 à 250 000 €, selon le séchoir. « Grâce surtout à la baisse du coût alimentaire et des frais vétérinaires, les exploitations suivies sont économiquement efficaces, constate Viviane Simonin, du réseau d'élevages normands. Leur ratio EBE/produit est supérieur à 40 %. »
UN INVESTISSEMENT ONÉREUX MAIS DURABLE
En revanche, le poids des amortissements et des frais financiers pèsent sur le revenu disponible de ces récents investisseurs. Dans un contexte de baisse du prix du lait, une telle démarche est-elle envisageable sans valorisation du lait supplémentaire (AOC, bio) ?
« En système conventionnel, les marges de manoeuvre sont plus faibles car le coût alimentaire est maîtrisé. On peut donc se poser la question de l'avenir du séchage du foin en grange avec un prix du lait bas. » « Qu'elles aient investi dans un séchoir ou non, toutes les structures conventionnelles vont souffrir de la baisse du prix du lait », estime le Gaec de la Bergerie (Manche), qui a investi il y a cinq dans une capacité de stockage de 330 t. Pour Lucie Winckler, « moins dépendantes d'achats d'aliments et d'engrais, les exploitations en séchage souffrent moins de la hausse du prix des intrants ».
Selon le Segrafo, les éleveurs les plus aptes à investir sont ceux en rythme de croisière et les jeunes. Une fois que les emprunts contractés au moment de leur installation sont remboursés, les premiers, en rythme de croisière, se lancent dans une nouvelle phase d'investissements. Les seconds, face aux investissements à réaliser à leur installation, préfèrent dès le départ s'équiper d'un séchoir.
CLAIRE HUE
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