« Nous faisons machine arrière »

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Famille. Elisabeth, Denis et leurs enfants Caroline, Clément et Amandine (de gauche à droite). Anne Bréhier
Famille. Elisabeth, Denis et leurs enfants Caroline, Clément et Amandine (de gauche à droite). Anne Bréhier (© Anne Bréhier)

Atypique ! Elisabeth et Denis Piednoir, dans l’Orne, ont décidé de réduire leur production laitière pour redevenir acteurs de leur système et de leur vie.

«On a eu une belle croissance pendant vingt ans. On est montés à 800 000 litres de lait tout en construisant notre vie de famille et en élevant nos trois enfants de 9, 13 et 15 ans. De 2001 et 2008, en vertu de l’arrêt Ballmann, nous avions regroupé notre troupeau avec celui d’un voisin, pour lequel je travaillais à mi-temps. Une façon de rentabiliser notre stabulation paillée construite en 1998 dans le cadre de la mise aux normes, explique Elisabeth. On a beaucoup travaillé. Des salariés nous ont aidés : Antoine à temps plein entre avril 2012 et mai 2016, Stéphane à temps partiel depuis avril 2011. C’est lui qui assure encore la traite du mardi soir, mercredi matin, et vendredi soir. Il aide aussi pour les labours et les foins. On a peu connu les week-ends. La remise en état de 50 ha de friches à proximité du siège de l’exploitation il y a neuf ans, puis l’achat de 27 ha supplémentaires il y a quatre ans ont engendré un gros travail. À ce rythme, nous nous sommes essoufflés. »

En 2014, alors que la stabulation était presque finie de payer, Elisabeth et Denis se sont interrogés : cette liberté, qu’en faisons-nous ? Repartons-nous sur autre chose ou bien en profitons-nous pour souffler ? C’est cette deuxième voie qui a été retenue. « L’idée est de prendre un peu de distance vis-à-vis du quota laitier, tout en gardant l’optique de produire au moins 85 % de la référence laitière pour ne pas la perdre. Même si la stabulation permet d’accueillir 80 vaches en lactation, nous préférons ne pas saturer le système afin de limiter les risques sanitaires et garder une qualité de vie. »

« Nous avons renégocié nos emprunts  »

L’éleveuse vise un troupeau de 60 vaches traites avec deux périodes de vêlage, l’une au printemps, l’autre en début d’automne. La période de printemps permet de réduire le coût de la ration en valorisant au maximum l’herbe pâturée mais en gardant toujours une proportion de maïs à l’auge. Neuf hectares de culture ont été remis en herbe sur une base de ray-grass-trèfle blanc pour être ensilés ou enrubannés. Les fourrages seront intégrés dans la ration hivernale, composée de deux tiers de maïs, un tiers d’herbe, d’orge, de tourteau (moitié soja, moitié colza), d’urée et de minéral.

Elisabeth a également introduit un taureau brun des Alpes pour les saillies afin d’améliorer les taux et la rusticité de son troupeau. Si le système s’avère cohérent, l’éleveuse espère investir dès le prochain printemps dans l’accès et l’aménagement des pâtures pour pouvoir y accéder sereinement, même les années plus humides.

Le couple a commencé à baisser en effectif l’été dernier en vendant 15 vaches en lait et des réformes. Le salarié à temps plein est parti. Huit hectares de terres labourables, les plus éloignées, à 20 km, ont été vendus. Neuf autres à 8 km doivent l’être prochainement. « Avec deux sites au parcellaire regroupé, nous économiserons des déplacements, et il sera plus facile de suivre les cultures », note Denis.

Les taux des emprunts fonciers ont été renégociés. Entre 1995 et 2014, l’achat de 100 ha de terres labourables, pour l’essentiel à un prix moyen de 5 000 €/ha, a pesé lourdement sur les comptes. La révision des taux de 4,70 à 2,75 % sur deux gros emprunts de 160 000 et 229 000 €, remboursés à 40 %, permettra d’économiser 30 000 €. Un report sur deux emprunts fonciers à partir de 2017 a aussi été décidé. En fin d’année, la baisse de production de 70 000 litres de lait n’a été que partiellement compensée par l’aide à la baisse laitière demandée seulement pour 16 000 litres sur les trois mois d’hiver dernier. « Nous avons été frileux, estime Elisabeth après coup. Nous aurions pu demander le double. »

Associée depuis 2012 en EARL avec son mari, Elisabeth a été le moteur de cette réorientation stratégique. « J’ai ressenti le besoin de me recentrer, explique-t-elle. Des interrogations étaient apparues à la suite de formations, notamment une de “Clown gestalt” »(1). Une question m’apparaissait cruciale : “Va-t-on passer notre vie à capitaliser et à courir derrière le toujours plus ?” » Cette réflexion a amené l’agricultrice à penser à la façon dont il était possible de reprendre les rênes de son système. « Le fait de venir de l’extérieur de l’agriculture m’a aidée à débrayer plus facilement que Denis. »

« Productivité ne rime plus avec rentabilité »

Ce dernier reconnaît qu’il n’aurait pas forcément changé d’axe si Elisabeth n’avait pas dit stop, malgré les doutes nés de la crise laitière. « On a construit une superstructure en prenant des risques financiers. On produit, mais on ne sait pas à combien on va vendre notre lait. Dans le contexte de prix bas, faire du volume n’a pas d’intérêt si cela doit se solder par des pertes financières avec des frais alimentaires et sanitaires supplémentaires. On a le sentiment de travailler pour un système qui ne nous donne pas le retour escompté : en 2009, alors que le prix du lait était déjà tombé à 205 € les 1 000 litres en avril, nous faisions des dons de lait. Les gens venaient à la ferme et étaient surpris de nous voir traire, même le dimanche. Leur réaction nous a interpellés. Par moments, on se sentait comme des nuls. On arrive au bout d’un système : productivité ne rime plus avec rentabilité », regrette Denis.

« La crise laitière nous a obligés à nous poser et à dresser un état des lieux, renchérit Elisabeth. Elle a rendu possible une remise à plat de notre système. Notre histoire n’est pas un modèle. C’est juste notre choix humain. On veut voir s’il est possible d’alléger notre système, tout en conservant un niveau de revenu satisfaisant. »

L’examen des résultats de l’exercice comptable le dira prochainement. Pour l’instant, une amélioration de la trésorerie, malgré la conjoncture, et un meilleur état sanitaire du troupeau sont palpables. Avec moins de vaches sur l’aire paillée et un hiver sec, le nombre de mammites a réduit considérablement (3 seulement, contre 30 par an en moyenne autrefois). Les frais vétérinaires sont en baisse : de 4 500 € en 2015, il sont tombés à 700 € en 2016. « Certaines années, on est montés à 9 000 € »,  se souvient Denis .

À défaut pour l’instant d’avoir des certitudes financières, Elisabeth et Denis apprécient les retombées sur le plan humain. « Cet hiver, nous sommes partis avec les enfants aux sports d’hiver. Stéphane, le salarié, nous a remplacés. C’était possible car il n’y avait que 45 vaches à traire. Dans le système précédent, il aurait fallu deux personnes. S’absenter aurait été plus compliqué. On a attaqué le printemps dans des conditions plus sereines que d’habitude. »

(1) Clown-thérapie, www.recreaclown.viabloga.com.

© Anne Bréhier - Stabulation. Entre 2001 et 2008, Elisabeth et Denis avaient regroupé leur troupeau avec celui d’un voisin dans le cadre d’un arrêt Ballmann. Une façon de rentabiliser la stabulation paillée construite en 1998 dans le cadre de la mise aux normes. Anne Bréhier

© anne brehier - anne brehier

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