
Malgré la crise, l’augmentation du volume reste une stratégie incontournable chez Simon et Nicolas Beck, dans l’Yonne.
Chez les frères Beck, la crise laitière est arrivée au plus mauvais moment, alors qu’ils mettaient en fonctionnement leur nouveau bâtiment et qu’ils passaient leur production de 1 à 1,3 million de litres de lait. Entrepreneurs et optimistes, Simon et Nicolas Beck souhaitaient depuis longtemps agrandir leur atelier lait : « Nous avons toujours été bercés par l’idée d’avoir un outil productif avec une taille attractive pour intéresser un jour une relève. Dans notre région de plaine où l’élevage a cédé le pas aux céréales, le lait reste, pour une structure comme la nôtre, la seule solution pour apporter de la valeur à l’exploitation », déclarent-ils.
Une première marche avait été franchie entre 2011 et 2013 avec le passage de 80 à 110 vaches. La nouvelle stabulation mise en service en février 2016 a constitué la seconde étape d’un projet longuement réfléchi. Outre la fourniture d’effluents supplémentaires pour alimenter la méthanisation qui fonctionne bien, l’agrandissement avait pour but d’optimiser la main-d’œuvre et d’améliorer le confort des animaux. Alors que les génisses étaient hébergées à 4 km du siège de l’exploitation, le troupeau est désormais regroupé sur un site unique. Ses conditions de logement se sont améliorées : « Jusqu’en février 2016, on faisait du lait avec 100 vaches dans un bâtiment pouvant en contenir 80. C’était serré. »
Cohérent, le projet a juste eu la malchance d’être concrétisé au mauvais moment. Le nouveau bâtiment construit en pleine crise laitière a été mis en service en février 2016, au cours d’une année climatiquement et économiquement très difficile. Les céréales n’ont pas dépassé les 35 q/ha avec des cours à 100 € la tonne. « Nous sommes dans nos objectifs d’évolution structurelle, mais pas dans nos objectifs économiques », note Simon. Alors que le projet d’agrandissement(1) avait été raisonné sur la base d’un prix payé de 340 €/1000 litres (qualité comprise), il n’est pas sûr que la paie de lait 2017 dépasse les 325 € (toutes primes confondues).
« Nous faisons moins de maïs et de coproduits, mais plus d’herbe et de méteil »
La trésorerie est insuffisante. Entre l’augmentation des effectifs et la baisse du prix du lait, il a manqué 100 000 € l’an passé. Les 40 000 € de la méthanisation bouchent une partie du trou, mais cela ne suffit pas. « Notre fonds de roulement est insuffisant, soulignent les éleveurs. Heureusement, l’une de nos deux banques, le Crédit agricole, nous soutient. Nous sommes en négociation pour rallonger de trois ans la durée de nos prêts bâtiment, initialement prévus sur quinze. L’insuffisance de trésorerie est un frein. Pas question pour le moment de monter comme prévu à 1,4 million de litres de lait, ce qui permettrait de mieux optimiser notre investissement ou de booster la méthanisation. Le manque de soutien de notre seconde banque, le Crédit mutuel, nous déçoit profondément. »
Dans ce contexte tendu, la priorité est de réduire les coûts d’alimentation. Réactifs, les deux frères ont remis en cause leur conduite alimentaire pour élaborer une ration plus autonome, moins coûteuse en concentrés et en tourteaux. « Notre ancien système, des cultures de vente avec achat de coproduits (pulpes de betteraves surpressées, brisures de maïs) fonctionnait très bien tant que le lait était valorisé à 350-360 € les 1 000 litres. Avec les prix actuels, on ne peut plus acheter pour ne rien gagner. Nous avons donc opéré un revirement vers l’herbe, la luzerne et les méteils en réduisant la proportionde maïs ensilage (près de 50 % avec 5 kg de tourteaux de colza dans l’ancienne ration). Malgré l’agrandissement du troupeau, la sole maïs est restée la même (35 ha). Les surfaces de vente sont passées de 70 ha à 25 ha. Dans notre région de Puisaye, sans irrigation, le maïs n’offre pas de bons potentiels (80 q/ha une année sur dix). L’herbe et le méteil, si. » Les méteils implantés se composent de deux tiers de céréales et d’un tiers de pois (plus souples que la féverole, plus faciles à tasser dans le silo). « L’idéal serait d’arriver à une proportion équilibrée et de les récolter avant épiaison. Ce qu’on a réussi cette année sur cinq hectares. »
« Notre productivité du travail a augmenté »
Une autochargeuse (une 55 m3 à 70 000 €) a été achetée, après un essai réalisé l’an passé avec la machine d’un voisin. 25 ha de méteils et 70 ha d’herbe (ray-grass italien en deux coupes) ont été récoltés ce printemps. « On ramasse des parcelles jusqu’à 10 km de distance à un rythme de deux remorques à l’hectare, précise Simon. On perd un peu de temps sur la route, mais on gagne en souplesse et en main-d’œuvre avec une personne sur le tracteur et une au tas. » Dans la nouvelle ration des laitières qui sera distribuée cet automne, du maïs épi acheté à un tarif raisonnable (160 €/t) à un céréalier irriguant, sera intégré pour ramener de l’énergie. La modification de l’alimentation devrait se traduire par une réduction des tourteaux (moins 1 à 1,5 kg par vache et par jour) et de la pulpe (moins 50 % sur un budget annuel s’élevant actuellement à 50 000 €). Les objectifs seront atteints plus ou moins vite selon la qualité de l’herbe et de la luzerne. Source de satisfaction : les performances techniques se sont maintenues. Avec 40 vaches de plus, la moyenne laitière a à peine baissé et se situe entre 9 000 et 9 500 kg par vache. Le potentiel génétique est là : il s’exprime dès que les fourrages sont récoltés au bon stade.
Le sanitaire est maîtrisé. Le nombre de mammites (une à deux seulement par mois) est resté stable. Depuis dix ans, Simon et Nicolas inséminent et parent eux-mêmes leurs animaux. Même si les prochaines années s’annoncent difficiles financièrement, les éleveurs n’ont pas de regret.
« Notre productivité du travail a augmenté. Les journées ont été rallongées d’une heure (NDLR : traite dans le roto intérieur de 24 places inchangé depuis son installation en 2011 et soins aux veaux). Mais à l’heure de travail, on produit plus de lait, on nourrit plus d’animaux. Nous courons beaucoup moins, nous sommes plus spécialisés et plus concentrés. »
« Avec un outil attractif, nos enfants pourront revenir s’ils le souhaitent »
Quand la crise est arrivée, Simon et Nicolas projetaient d’embaucher un salarié à mi-temps pour la traite et les veaux. En attendant des jours meilleurs, ils se contentent d’un apprenti. La priorité est de stabiliser l’atelier laitier. Une fois que la conjoncture se sera redressée, les éleveurs pourront encore monter d’un cran. En aménageant en logettes la partie paillée du nouveau bâtiment actuellement dédiée aux génisses, il serait possible de loger jusqu’à 180 vaches et de produire 1,8 million de litres de lait. Deux UMO ne suffiront plus alors. Les enfants de Simon et de Nicolas seront-ils intéressés par l’exploitation ? « Avec un outil attractif et performant, ils auront au moins l’opportunité de revenir si c’est leur choix. »
(1) L’agrandissement du troupeau de 1 à 1,3 million de litres de lait a été réalisé avec du lait B. En 2016, celui-ci a été payé en moyenne 235 €/1 000 litres.
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