
Une nouvelle étude, financée par le ministère de l'Agriculture, propose des pistes pour revaloriser le prix à la production et améliorer le rapport de force entre producteurs et industriels.
Lors du dernier conseil spécialisé laitier de FranceAgriMer le 27 avril 2016, la synthèse d'une étude sur la filière laitière (1), financée par le ministère de l'Agriculture, a été présentée.
Dans le contexte actuel de crise, les éleveurs sont les grands perdants de la nouvelle organisation de la filière, puisqu'ils « absorbent la totalité du risque prix », souligne le document. Ses conclusions ont de quoi conforter les coopératives, dont certaines initiatives, comme le double volume-double prix, ont été mises en avant. Le document a surtout de quoi mécontenter les industriels privés, montrés du doigt dans la mise en place difficile et inéquitable de la contractualisation.
Une crise devenue structurelle
L'étude note tout d'abord que le secteur laitier est confronté à une crise devenue structurelle, qui « implique une baisse durable du revenu des éleveurs, une érosion de la capacité d'investissement des producteurs [...] et, à terme, une restructuration de l'outil de production allant dans le sens d'une plus grande concentration ». Les auteurs soulignent « l'absence de la notion de crise dans le texte de l'OCM unique, celui-ci privilégiant le « déséquilibre » des marchés ». Or, « l'idée de déséquilibre sous-tend un retour à l'équilibre ». Compte tenu de la gravité de la crise actuelle, le retour à l'équilibre est pourtant « exclu ».
Face à cette situation, les outils existants dans l'OCM (stockage public, aide au stockage privé, articles 219 à 222, réserve de crise et aide aux fonds de mutualisation) ne font pas consensus parmi les États membres. De plus, ceux qui ont déjà été mis en place « apparaissent très peu efficaces ». Mais les mesures de régulation de la production prônées par certains syndicats et plusieurs pays sont en butte à la volonté d'autres pays d'accroître encore leurs volumes dans un objectif de conquête des marchés, « et ce malgré la chute des prix ».
Contractualisation : les éleveurs absorbent le risque prix
L'étude se penche en particulier sur la contractualisation. Son constat est sans appel : « Compte tenu de la forte concentration de l'aval », « le contrat contraint les producteurs à absorber la totalité du risque prix », et ce, « dans des conditions (volume, saisonnalité) et avec un partage de la valeur ajoutée » qui leur sont défavorables.
« Avec la contractualisation, les entreprises laitières ont pris la main sur la gestion des volumes. » Et ce n'est pas tout : les producteurs « souffrent d'un manque d'informations de la part des entreprises, d'un manque d'expertise dans la négociation des clauses contractuelles et d'une activation jugée abusive de la clause de sauvegarde par les entreprises ».
Organisation des producteurs : quelle capacité à négocier ?
« La fragmentation des OP et la faible représentativité de certaines d'entre elles (OP Lactalis notamment) interrogent sur la capacité des OP à négocier auprès des entreprises laitières », constate l'étude. De plus, la « structuration verticale [des différentes OP verticales d'une même entreprise en une association d'OP] n'a pas permis aux producteurs d'obtenir de meilleures conditions pour le paiement de leur lait ». Éleveurs comme animateurs manquent de compétences en animation, en négociation, et en compétences juridiques et commerciales pour mener à bien leur mission. De plus, le cadre réglementaire n'est pas adapté, ni assez incitatif pour une organisation collective et une offre réellement massifiée.
Comparé à d'autres pays (Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande, Suisse), « seule l'Union européenne laisse ses producteurs de lait négocier de façon individuelle avec les industries de l'aval, regrette l'étude. En France notamment, la dérégulation des marchés laitiers et la contractualisation se sont traduites globalement par un affaiblissement des producteurs face à l'aval. »
12 recommandations
Faisant suite à ces constats, l'étude formule 12 recommandations relatives à la volatilité des prix et au rééquilibrage des relations contractuelles. Le gouvernement a entre les mains un document et des propositions qui viennent conforter le récent rapport du CGAAER. On peut espérer qu'il mette rapidement ces préconisations en oeuvre, et regretter qu'il ne l'ait pas fait plus tôt.
1. Réguler en cas de crise les volumes de production : un dispositif aujourd'hui indispensable pour contrer la surproduction.
Réguler en cas de crise, les volumes de production : un dispositif aujourd'hui indispensable pour contrer la surproduction. Des actions nationales n'étant pas cohérentes dans un marché mondialisé, les auteurs recommandent « une régulation des volumes de façon coordonnée et réellement incitative à l'échelle européenne » grâce à l'article 221 de l'OCM unique. Plutôt que des aides, ils suggèrent « des pénalités dissuasives au niveau des collecteurs ne respectant pas les diminutions temporaires demandées ».
2. Mettre en place des dispositifs complémentant les revenus en cas de crise.
Mettre en place des dispositifs complémentant les revenus en cas de crise. Il pourrait s'agir du renforcement des fonds de mutualisation (deuxième pilier de la Pac) ou de la réserve de crise européenne.
3. Soutenir spécifiquement les exploitations en zones défavorisées, les petites et moyennes exploitations et celles qui offrent davantage de services environnementaux ou sociaux, dans le cadre des dispositifs d'aides directes.
« Il existe aujourd'hui des marges de manoeuvre conséquentes pour poursuivre une redistribution des aides de la Pac qui leur soit favorable », souligne l'étude.
4. Soutenir les produits locaux et la demande alimentaire.
Cela pourrait se faire notamment par l'intermédiaire de la restauration collective ou des dons alimentaires.
5. Porter l'attention sur la politique de commerce extérieur.
« Le niveau substantiel des droits de douane appliqué aux produits laitiers doit être préservé, y compris dans le cadre des accords de libre-échange bilatéraux », propose l'étude. Une recommandation qui arrive à point nommé alors que la contestation contre le Tafta s'accentue.
6. La massification de l'offre : AsOP territoriale et représentativité accrue.
« Les OP ont intérêt à se regrouper en AsOP à base territoriale large, aussi proche que possible de la limite des 33 % de la collecte nationale et 3,5 % de la production de l'UE, permettant de conduire des négociations avec plusieurs entreprises. » Ces AsOP de bassin pourraient aussi être ouvertes aux sections laitières des coopératives dans un objectif de mutualisation de l'information. Pour inciter les producteurs à y adhérer, il faudrait étoffer leurs missions (représentation dans les instances sectorielles, accès à l'information et diffusion à ses membres, négociation de contrats-cadres, coordination des volumes contractuels, accès à des financements et à des formations). Dans un second temps, la transition vers des OP commerciales et l'adoption d'un statut coopératif devraient être envisagées.
7. Un contrat-cadre par AsOP.
Un contrat-cadre entre AsOP et entreprises laitières permettrait aux AsOP de négocier collectivement les conditions d'accès au marché avec plusieurs entreprises laitières, en particulier les formules de prix et les volumes. Ces contrats-cadres s'imposeraient aux contrats individuels. Certaines clauses pourraient avoir force obligatoire (les décisions pourraient être étendues à l'ensemble des producteurs).
8. Une nécessité d'arbitrage.
« La médiation a montré ses limites », et « les mécanismes d'exécution des contrats relevant de l'ordre public général ne paraissent pas non plus adaptés ». « La création d'un mécanisme ad hoc, apte à rendre des arbitrages serait plus adaptée ».
9. Renforcement de la transparence.
« Il semble important de placer les OP et les AsOP au coeur des dispositifs informationnels », estime l'étude.
10. Segmentation et partage de la valeur ajoutée.
Rééquilibrer les rapports de force et élaborer de formules de prix adaptées (prenant en compte les produits de grande consommation) pourraient favoriser une revalorisation du prix du lait sur la base du mix produit des bassins de production. « Les systèmes de double volume-double prix élaborés par certaines coopératives pourraient être expertisés. Le potentiel de contrats de vente de produits de long terme (par exemple sur la base d'accords tripartites avec la GMS) à sécuriser un prix stable et rémunérateur pour une partie des volumes mériterait d'être plus finement expertisé », suggère l'étude.
11. Prise de responsabilité de l'interprofession.
Le Cniel pourrait prendre part aux réflexions sur les indicateurs de prix (mais aussi ceux déclenchant les clauses de renégociation ou de sauvegarde) et jouer un rôle actif dans la réflexion relative au contenu des contrats-cadres. Mais pour cela, « sa gouvernance est à revoir, pour une meilleure efficacité (représentation des OP, rééquilibrage du poids des différents collèges, place de la GMS...) », recommandent les auteurs.
12. Se saisir de l'écriture des décrets d'application de la LAAAF et de l'arrivée à échéance des premiers contrats.
« Les évolutions réglementaires relatives à la diffusion d'information des entreprises laitières aux OP devraient permettre de rendre disponible l'information relative à la collecte, à la qualité du lait livré mais aussi au mix-produit des entreprises laitières par bassin de production ». Par ailleurs, la définition juridique du contrat-cadre pourrait comporter l'obligation de négocier des contrats-cadres avec les AsOP territoriales, le paiement du lait en fonction des débouchés et le droit des OP à mettre en place des règles collectives d'accès aux volumes contractuels.
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(1) « Étude sur les mesures contre les déséquilibres de marché : quelles perspectives pour l'après-quota dans le secteur laitier européen ? ».
E.C.
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