Alors que la loi alimentation est entrée en application ce début 2019, la grande distribution a demandé pour la première fois une baisse de prix sur tous les produits bio ! Comment expliquer ce paradoxe ?
Étienne Gangneron : Selon Synabio, le syndicat des transformateurs bio, il y a eu une demande de baisse des prix sur 40 % des produits. Fidèles à leurs pratiques historiques, les distributeurs conquièrent des parts de marché en faisant pression sur les tarifs. Si l’on tient compte du fait que la moitié des magasins spécialisés appartiennent en réalité aux filiales ou excroissances de la grande distribution(1), 60 % des aliments bio sont désormais commercialisés dans les linéaires des grandes surfaces. Nous ne sommes qu’au début de la bataille. La grande distribution ne va pas abandonner comme ça quarante ans de pratique déflationniste. Les quelques opérateurs qui jouent le jeu des ÉGalim et qui s’inscrivent dans une montée en gamme intelligente, avec une juste rémunération des producteurs (Monoprix, SuperU…), seront-ils assez forts face à leurs concurrents qui n’ont pas modifié leur stratégie ?
Leclerc entend « rendre accessible le bio à tout le monde ». Carrefour distribue un lait bio à 0,85 € le litre, soit 14 centimes d’euro moins cher qu’une brique C’est qui le patron ?! N’est-ce pas démagogique ?
E.G. : Les dirigeants de Carrefour affirment qu’ils n’ont pas baissé le prix payé au producteur, mais qu’ils ont rogné sur leur marge et qu’ils se rattrapent sur d’autres produits, ce qui est contraire à l’esprit des ÉGalim. Leur démarche est révélatrice de la fragilité actuelle de ces grands groupes. Carrefour a perdu beaucoup d’argent à l’international. Les hypermarchés sont en train de disparaître au profit des Gafa (Google, Amazon…). La pression s’exacerbe sur le segment bio, porteur d’avenir. En 2018, les volumes de lait liquide bio vendus en GMS ont ainsi augmenté de plus de 19 % par rapport à l’année précédente. La progression a été de près de 17 % pour le steak haché bio. Le comportement agressif de ces distributeurs risque, à terme, de se traduire par une perte de valeur pour tout le monde, et non plus pour seulement les agriculteurs.
Dans ce contexte de concurrence et de forte croissance de la demande, faut-il craindre une pression des importations ?
E.G. : La France est assez autonome pour les produits issus de l’élevage dont le lait (93 % en 2017), la viande fraîche (95 %), les œufs (99 %). Par contre, sur les fruits et légumes, mais aussi sur les céréales, elle est confrontée à un problème de compétitivité. Notre déficit s’aggrave. Sur ces créneaux, nous sommes en concurrence avec des pays très actifs. L’Espagne, par exemple, a développé en dix ans, une filière bio fruits et légumes spécialisée sur l’export, avec des conditions sociales limites, faute d’harmonisation européenne. Le cahier des charges bio est européen, mais son interprétation, son application et les moyens de contrôle peuvent différer selon les pays. En Roumanie, on sait ainsi qu’il y a des certificats de complaisance. Notre demande d’une identification « Bio France » se heurte à un refus du ministère de l’Agriculture qui considère que cela n’est pas compatible avec le choix d’une réglementation européenne. Le consommateur doit devenir plus exigeant, en lisant les étiquettes et en s’interrogeant sur les conditions de production de son alimentation.
Alors que le bio se banalise, tant sur le plan de la production que de la distribution, quelles sont les perspectives ?
E.G. : La pression sur les prix des produits bio s’accentue, mais la consommation continue de se développer : elle a été de + 17 % en 2017 en France, + 11 % en Europe, et elle se poursuit sur le même rythme en 2018. En dix-sept ans, le marché français du bio a été multiplié par sept. Le P.-D.G. de MacDo vient de signer avec la coopérative Biolait un accord sur 4,5 Ml de lait par an pour fabriquer ses glaces. Cette situation peut protéger encore quelques années les filières et leurs producteurs, et leur permettre de s’adapter.
Propos recueillis par Anne Bréhier
(1) Les magasins Naturalia appartiennent ainsi au groupe Monoprix.
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