
Regroupement de l'offre, prix différenciés, contractualisation… L'organisation de la France laitière après 2015 donne lieu à des débats en ordre dispersé.
DANS MOINS DE CINQ ANS, LES QUOTAS AURONT DISPARU. Ceux qui espèrent encore leur maintien ont tort. La maîtrise de la production allait forcément de pair avec la gestion du marché. Or, la réforme de la Pac de 2003 a déjà bien écorné ses outils (intervention, restitutions) et la Commission n'a aucune raison de faire marche arrière.
Cette vie sans quotas ne ressemblera pas à celle qu'ont connue les éleveurs avant 1983. À l'époque, l'intervention fonctionnait à guichet ouvert. Les excédents n'existaient pas puisque Bruxelles achetait tout. Ce système ne reviendra pas. Il restera un filet de sécurité qui sera activé en cas de crise grave, une intervention d'urgence qui valorisera le lait autour de 210 €/1 000 l. Il n'est pas question à Bruxelles d'accepter que les achats publics apparaissent comme un marché régulier. Sur ce sujet, le groupe d'experts européens de haut niveau(GHN) se borne à préconiser l'étude d'instruments visant à faciliter l'utilisation des marchés à terme.
Cependant, le débat politique et budgétaire sur la Pac 2013 sera d'une importance cruciale pour la suite. « La FNCL poussera pour que cette nouvelle Pac inscrive un budget important pour la régulation, l'intervention et aussi un système d'assurance », précise Dominique Chargé, président de la FNCL Mais, dans l'immédiat, le cadre européen reste à définir.
HABITUÉS À UN CADRE RIGIDE, LES FRANÇAIS NE SONT PAS PRÊTS
Le pas sera plus dur à franchir pour les Français que pour leurs collègues d'Europe du Nord. Là-bas, les marchés de quotas ont maintenu les éleveurs dans une dynamique de croissance que toute une génération d'éleveurs français n'a pas connue. Culturellement, l'Europe du Nord accepte de voir la production se restructurer en éliminant certains éleveurs. Et la concentration de la transformation permet aux entreprises une gestion globale des volumes.
Beaucoup plus rigide, la gestion des quotas a visé en France à maintenir le lait sur l'ensemble du territoire, avec succès, mais au prix d'un blocage des régions les plus compétitives. La restructuration a été plus lente qu'ailleurs. Et de nombreux éleveurs piaffent aujourd'hui, dans l'espoir de pouvoir enfin se développer. Cette gestion administrée a aussi maintenu la filière dans un cadre sécurisé, avec des prix lissés. L'idée d'en sortir pour affronter la loi du marché fait peur à beaucoup.
Il n'est donc pas surprenant de voir que les réflexions françaises pour l'après-2015 s'appuient systématiquement sur un maintien d'une régulation européenne, au moins sur les marchés, si ce n'est sur les volumes. La France s'inscrit ainsi en décalage avec ses voisins plus libéraux.
Dans l'immédiat, la seule certitude concerne la contractualisation entre les transformateurs et les éleveurs. Bruno Le Maire l'a voulue et le GHN préconise lui aussi d'avancer dans cette direction. La LMA (loi de modernisation agricole) impose aux entreprises de proposer un contrat à chacun de leurs fournisseurs, sous peine de verser une amende de 75 000 € par producteur. La contractualisation donnera aux éleveurs une certaine lisibilité, tout en sécurisant leur débouché. Quant aux entreprises, elles pourront ainsi ajuster leur approvisionnement en fonction de leur marché.
L'État a donc clairement placé la gestion des volumes entre les mains des transformateurs. Mais il se garde la possibilité d'intervenir. Si l'interprofession ne s'accorde pas sur le contenu des contrats, un décret du Conseil d'État le définira. Pour Jehan Moreau, directeur de la Fnil, « les entreprises privées voudront contractualiser en fonction de leurs marchés. Il y aura donc une maîtrise des volumes et un prix par entreprise. » La LMA pourrait imposer cette contractualisation dès 2011, avant même que le Cniel n'arrive à un consensus sur le contenu des contrats.
Cette contractualisation est refusée en bloc par l'Apli qui y voit l'intégration des producteurs. Quant à la FNPL, elle ne la conçoit qu'à un niveau collectif. « Il faut absolument éviter que demain, les producteurs se battent entre eux pour livrer leur lait », avertit Henri Brichart, président de la FNPL. Là aussi, des avancées semblent possibles au niveau européen puisque le GHN suggère de faciliter la négociation collective des contrats pour les éleveurs.
En ce qui concerne l'élaboration du prix, on constate encore cette réticence de la France à renoncer à un encadrement. Les projets (voir encadré), à l'exception de l'Office du lait européen, s'appuient tous sur une interprofession forte. À elle de définir et de diffuser des indices servant de base au calcul du prix pour tous. Le GHN semble prêt à faire un pas vers les interprofessions et envisage d'élargir leurs missions. L'avenir dira si la législation européenne évolue dans ce sens. Du côté de la coopération, on mise sur la contractualisation, avec volumes et prix différenciés. Une manière de laisser aux éleveurs la liberté de produire, mais à condition qu'ils acceptent d'assumer les risques du marché sur ces litrages. La Fnil regarde cette idée de loin, estimant que l'ensemble du lait se retrouve sur le marché et que ce système n'a aucun avenir s'il se cantonne à la France.
Quant aux producteurs, ils cherchent à reprendre le pouvoir via le regroupement de l'offre, mais avec deux projets concurrents et aucune volonté de concertation. L'Apli se distingue par une vision résolument européenne. Il en résulte un projet ambitieux et complexe. Pour Paul de Montvalon, président de l'Office du lait français, « l'offre doit être ajustée à la demande européenne et seuls les producteurs peuvent le faire de façon équitable ».
DES PROJETS COMPLEXES
Plus modeste, la FNPL compte sur l'organisation des producteurs pour contrer le pouvoir des transformateurs et limiter les effets d'une concurrence frontale entre éleveurs. Elle voit d'un bon oeil les prix différenciés pour éviter que les cours des produits industriels tirent trop fortement les prix à la baisse. Dans les détails, l'organisation reste à caler. « Chaque région va se positionner en fonction de son propre contexte », précise Henri Brichart. Soulignons que la FNCL ne trouve aucun intérêt à la constitution d'organisations de producteurs (OP) et d'associations d'OP, considérant que ces structures existent déjà au sein des coopératives ou du syndicalisme. Quant à la Fnil, si elle apprécie que les éleveurs se regroupent par laiterie, elle ne voit pas l'intérêt de créer une nouvelle structure négociant à la place des éleveurs. « Cela semble coûteux, compliqué et inutile. En outre, les différentes OP seront forcément en concurrence et si elles gèrent les contrats, elles devront aussi se débrouiller avec la restructuration », estime Jehan Moreau. L'analyse et les arguments des uns et des autres ont quelque chose d'irréfutable. Il s'agit d'éviter que les producteurs se retrouvent seuls face à un industriel. Les coopératives cherchent légitimement à encadrer les volumes produits par leurs adhérents, car elles ont l'obligation de tout collecter. Ces projets visent aussi à limiter la mise en concurrence des éleveurs entre eux, qui sous-tend le risque d'une explosion de la production dès 2015, entraînant une chute des prix. Les Néerlandais clament leur volonté de produire 10 % de lait en plus dès 2015. Une stratégie qui aurait forcément un impact sur les marchés et les prix européens. Le modèle français devra être capable de réagir dans ce type de situation. Mais les responsables laitiers ne croient pas vraiment à une forte hausse de la production en 2015. Les éleveurs d'Europe du Nord aussi ont souffert en 2009.
Pas sûr qu'ils aient les reins assez solides pour se lancer dans une guerre entre bassins de production.
On comprend que la filière française souhaite se mettre à l'abri. Mais il faudra pour cela parvenir à un minimum de convergence entre les projets. Le regroupement de l'offre n'aboutira pas si les éleveurs ne réussissent pas à s'entendre. On en est loin, si l'on en juge par les affrontements réguliers entre les Aplistes et les adhérents de la FNSEA. Et contrairement à ce que laissent penser les discours syndicaux, d'autres éleveurs français acceptent très bien l'idée d'un marché soumis à la loi de l'offre et de la demande. Il reste à peine cinq ans pour se mettre d'accord. Ce n'est pas rien, mais ce temps peut filer vite.
PASCALE LE CANN
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