Les rois de la productivité croulent sous les dettes

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En crise depuis sept ans, les Danois ne voient toujours pas le bout du tunnel. Leur résistance tient du miracle, avec le soutien contraint des banques.

Quand un éleveur danois vous parle de sa ferme, il ne se passe pas cinq minutes avant qu’il n’évoque sa banque. Plus que partenaire, elle est devenue actrice. Des éleveurs ne peuvent pas partir à la retraite parce que la banque exige qu’ils poursuivent pour rembourser leurs dettes. Le moindre devis doit être approuvé par la banque. Et que dire du parcours de combattant qu’est devenue l’installation ? Même en cas de reprise familiale, c’est la banque qui fixe le prix.

Cette situation est le fruit d’une histoire démarrée il y a quinze ans, lorsque le Danemark a décidé de changer de braquet en termes de production laitière. Fini les petites exploitations de 40 vaches. Place aux ateliers hyperéquipés pour 150 ou 200 vaches. Les particularités du système financier danois ont fait le reste (voir encadré). Un crédit trop facile, garanti sur le foncier dont la valeur a explosé dans les années 2000, a conduit les éleveurs à investir à tout-va, sans se soucier de la rentabilité.

La dégringolade a commencé après les crises financières, immobilières et laitières de 2007-2009. Le prix des terres est redescendu autour de 25 000 €, alors que les comptabilités l’évaluaient à 40 000 €. De très nombreux agriculteurs se sont retrouvés avec des dettes supérieures à la valeur de leur actif.

La dette moyenne se monte à 20 000 €/vache

Dans un premier temps, les banques ont poussé les éleveurs les plus solides à racheter les exploitations dans le rouge. Mais cela n’a pas suffi. Malgré les éclaircies en 2013 et 2014, les éleveurs les plus endettés ont continué leur descente aux enfers, entraînés par les banques qui ont relevé les taux d’intérêt au fur et à mesure qu’elles sentaient que le risque augmentait.

Beaucoup d’éleveurs ont cherché à renégocier leurs dettes en signant de nouveaux prêts assis sur des devises. Une option catastrophique car ces prêts, dits toxiques en France où ils ont ruiné des municipalités, les ont enfoncés davantage. Aujourd’hui, les éleveurs ne sont toujours pas remis de cette crise. La dette moyenne atteint 20 000 € par vache. La moitié des élevages laitiers a une dette supérieure à son actif. En moyenne, elle en représente 81 % (voir infographie) quand les éleveurs de l’Ouest français se situent à 50 %, selon Benoît Rubin (Idele). « Dans les années récentes, il n’y a qu’en 2014 que le produit a couvert l’ensemble des charges en moyenne », précise Jannik Toft Andersen, économiste à Seges (1).

D’où le pouvoir de décision pris par les banques. Cependant, elles ne trouvent plus suffisamment d’acheteurs pour les exploitations en péril. On commence à voir au Danemark des bâtiments neufs, mais vides. En pratique, les banques étudient les situations au cas par cas. Lorsque l’exploitation se trouve en difficulté, elles décident si l’activité se poursuit ou non. Elles en définissent aussi les conditions.

Les banques finiront par perdre de l’argent

Mais les banques commencent à comprendre qu’elles vont y laisser des plumes. Leur position a un peu changé et désormais, elles cherchent à limiter les dégâts. Quand elles estiment que l’élevage est performant et que seules les dettes l’affaiblissent, elles proposent un aménagement provisoire de la dette. L’éleveur continue de rembourser normalement la moitié de ce qu’il doit pendant cinq ans. Passé ce délai, si l’exploitation est encore là et reste performante sur le plan technique, la banque efface la ­moitié de la dette. Au moins, elle ne perd pas tout !

Cette gestion des banques au cas par cas explique que l’on n’assiste pas à une banqueroute générale. Impossible pour elles de pousser l’ensemble des débiteurs à la faillite car le prix des fermes s’effondrerait et elles seraient perdantes. Officiellement, il y a eu 75 à 80 faillites d’élevages laitiers en 2015.

Malgré cette débâcle financière, la filière laitière danoise tient encore debout. Le nombre d’élevages chute, mais les vaches restent et la production totale augmente. Le soutien contraint des banques l’explique en partie. De plus, beaucoup de prêts sont négociés in fine. Autrement dit, le capital n’est remboursé qu’à la fin, ce qui allège les besoins en trésorerie. Ce système aide certains à tenir, mais il n’est pas le plus répandu. « C’est surtout au moment de la reprise ou de la cessation que les dettes posent problème, explique Christen Sievertsen, directeur de Danske Maelkeproducenter (2). En croisière, tout dépend de l’arrangement avec la banque. »

Autre piste évoquée pour expliquer la résistance des éleveurs, leur capacité à se serrer la ceinture. En tirant sur les prélèvements privés et en ne rémunérant pas les fonds propres, ils réussissent à poursuivre. Et puis, tous n’ont pas mis le doigt dans l’engrenage. Certains ont su préserver leur santé financière.

Cette fragilité a des impacts majeurs sur la filière et sur son avenir. Les banques sont généralistes et rechignent à prendre de nouveaux clients éleveurs. Chacun se retrouve lié à la sienne, sans pouvoir faire jouer la concurrence.

Performance technique et réduction des coûts

La contrainte de la dette a aussi conduit les éleveurs à un niveau extrêmement élevé de performance technique. « Hors coûts financiers, les éleveurs danois sont les meilleurs du monde sur le coût de production », affirme Niels Ols Nielsen, économiste au Landbrug & Fedevarer (3).

Soutenus par des services très centralisés et de haut niveau, les éleveurs sont extrêmement performants sur la conduite. L’âge moyen au premier vêlage est de 25 mois. La productivité laitière est la plus élevée d’Europe (voir infographie), avec des taux qui n’ont rien à envier aux autres. La qualité du lait est en progrès constant. Contraints à réduire les coûts, des éleveurs commencent à vendre leurs robots de traite, jugés trop coûteux, et reprennent des salles de traite. Beaucoup travaillent en ration complète avec les fourrages qu’ils produisent et des matières premières moins chères que les aliments composés. Et ils continuent à vouloir s’agrandir, à la recherche d’économies d’échelle. « Les grandes fermes ont des coûts de production inférieurs, mais elles sont plus fragiles du fait de l’importance des capitaux et de la faiblesse des fonds propres », note Jannik Toft Andersen.

La sortie de ce gouffre n’est toujours pas en vue. La crise laitière de 2015-2016 n’a rien arrangé. Lors des échanges d’exploitations, les dettes sont incluses dans le prix et se perpétuent ainsi. Personne ne voit la solution. Même avec un prix du lait élevé durant des années, la dette ne faiblirait que lentement.

Le pays réfléchit à d’autres modes de financement, pour permettre à ceux qui le souhaitent de poursuivre leur développement et pour que des jeunes puissent prendre la relève. Des fonds de pension commencent à investir dans le foncier pour louer aux agriculteurs. Cette voie limite les capitaux nécessaires à l’installation. Le rachat des biens est prévu au bout de huit ans.

Un système financier mis en cause par Bruxelles

Un fonds gouvernemental a été créé pour compléter le financement lorsque la banque ne suit pas l’ensemble du projet. Le taux d’intérêt est deux à trois points au-dessus du taux bancaire. Étonnamment, l’argent est comptabilisé dans les fonds propres, ce qui renforce la solidité financière.

Aujourd’hui encore, les Danois tiennent à leur système de crédit hypothécaire, jugé pratique et peu coûteux. Mais la Commission européenne l’a dans le collimateur. Car les organismes de crédits hypothécaires ne disposent d’aucun fonds propre. Malgré la sécurité de ces placements, ces organismes peuvent perdre de l’argent.

La question de l’avenir de cette filière est clairement posée. Plusieurs arguments poussent à penser que la dynamique devrait s’essouffler. Du fait de la situation financière des exploitations bien sûr. Mais aussi parce que l’importance des capitaux nécessaires complique le renouvellement. Et le manque d’enthousiasme des banques pourrait devenir un frein. Il y a aussi les contraintes environnementales. Le Danemark s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, sans préciser comment. « Tout ceci est connu depuis plusieurs années, précise Niels Ols Nielsen. Mais on n’en voit pas les effets. La croissance des livraisons ne fléchit pas depuis 2008. »

Fait nouveau, on constate un léger recul de la collecte cet automne, en raison des prix bas. Et 432 éleveurs ont souscrit au programme européen de réduction de la collecte pour un volume de 30 700 t. L’avenir dira s’il s’agit d’un fait ponctuel ou d’un retournement.

Pascale Le Cann

(1) Seges : organisation de recherche et conseils pour les agriculteurs. (2) Maelkeproducenter : syndicat proche de l’EMB. (3) Landbrug & Fedevarer : organisation représentant les filières agricoles et alimentaires.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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