
Maîtriser la commercialisation de son produit pour se protéger de la volatilité et capter de la valeur ajoutée : plusieurs groupes d’éleveurs ont tenté l’aventure. Les expériences diffèrent par leur taille, leur organisation et le retour aux producteurs.
Ils sont nombreux ou une poignée, en coopérative ou en association, soutenus par le syndicalisme majoritaire ou pas ! Mais ils ont tous l’ambition de rémunérer leur travail à un juste prix qui n’est pas celui du lait standard.
Avec Mont Lait, les éleveurs du Massif central s’engagent
« Ce ne sont pas les aides directes qui suffiront à tenir l’élevage laitier dans nos territoires de montagne. Dans le Massif central, seulement un tiers de la production laitière bénéficie d’une AOP. Différencier les 600 millions de litres restants est une question de survie », annonce Dominique Barrau, éleveur dans l’Aveyron et président de l’Association des producteurs de lait de montagne (APLM).
Cette volonté ne date pas d’hier. La loi Montagne de 1985 qui définit l’utilisation de la dénomination « montagne » était une opportunité. Mais cette appellation qui plaît aux consommateurs a, jusque-là, plus servi les industriels que les producteurs. Après la crise de 2009 et l’approche de la fin des quotas, la nécessité de se différencier apparaît plus urgente. « Nous avons pris notre bâton de pèlerin pour demander aux producteurs de nous donner mandat pour défendre leur produit. »
L’adhésion a été franche : 570 exploitations, soit plus de 1 000 éleveurs de sept départements. Le ticket d’entrée était de 150 € par 100 000 litres alors que rien de concret n’existait encore. « Une association a été créée et la marque Mont Lait déposée en 2012. Ensuite, il fallait trouver un transformateur et des distributeurs. Terra Lacta, avec son usine de Theix (Puy-de-Dôme), s’est engagée avec nous. Leclerc, puis Carrefour se sont dits intéressés, nous sommes partis comme ça. » Le deal était le suivant : la marque Mont Lait est la propriété de l’APLM. Pour chaque litre de lait vendu, 0,10 € revient dans les caisses de l’association. Ce retour est ensuite ventilé ainsi : 3 c pour les producteurs, 3 c pour les coûts de collecte du transformateur, 3 c pour la promotion de la marque et 1 c pour les frais de fonctionnement de l’association. L’APLM reçoit le soutien du Comité de massif et des sept conseils départementaux, ce qui a facilité l’embauche de trois salariés, pour des rôles de commerciaux et d’animation. Au démarrage, en 2013, un plan de charge est établi en se concentrant sur la zone du Massif central : 1 Ml vendu en 2014, 3 Ml en 2015, 5 Ml en 2016 et 10 Ml en 2017. « Nous l’avons respecté et dépasserons cette année les 5 Ml. Nous sommes référencés dans la majorité des enseignes des sept départements avec un positionnement premium entre 0,85 et 0,90 €/litre de lait UHT. Soyons clairs, il faudra atteindre les 10 Ml pour asseoir définitivement la marque. Je suis confiant, nous avons encore un potentiel de développement dans notre zone et nous commençons à explorer l’Est et le Sud-Est avec Super U et Lidl. » C’est encore loin des 165 Ml produits par les adhérents, sans parler des 600 Ml hors AOP de la zone.
Aujourd’hui, les producteurs se partagent le retour de 3 c pour 5 Ml (260 € en moyenne). « L’objectif est d’arriver rapidement à identifier 100 Ml sous notre marque. Cela permettrait d’offrir une plus-value de 10 % sur le prix du lait à chaque producteur. Le challenge n’est pas impossible. Nous avons un axe de développement vers Paris et les grandes métropoles, et nous devrons aussi nous diversifier. C’est en cours, mais le chantier est colossal. » Pour y parvenir, l’implication des adhérents sera indispensable. Ils sont déjà mobilisés pour assurer des animations en magasins.
Trente éleveurs investis dans l’aventure Cant’Avey’Lot
L’aventure des producteurs de lait de Cant’Avey’Lot a commencé par une liquidation, celle du GIE de collecte Sud Lait (270 adhérents, plus de 60 Ml de lait) qui subissait l’arrêt de collecte de l’entreprise espagnole Leche Pascual. Nous sommes à l’été 2010. Après de pénibles négociations, les entreprises locales (sauf Lactalis) s’étaient résignées à reprendre ces producteurs du Sud-Ouest. Parmi eux, un petit groupe de 26 éleveurs, à cheval sur trois départements (Cantal, Aveyron et Lot) avait une autre idée en tête : ne plus subir la loi des industriels et prendre en main la commercialisation de leurs 10 Ml de lait. « C’était une grosse prise de risque. Je ne sais pas si le refaire serait possible aujourd’hui », se souvient Jean-Philippe Vayre, producteur à Frontenac (Lot) et vice-président de Cant’Avey’Lot. En effet, les débuts n’ont pas été faciles. Le premier débouché a été le lait Spot, heureusement pas trop déprimé à cette période (environ 270 €/1 000 litres). L’objectif était de trouver rapidement un embouteilleur pour valoriser du lait UHT localement. Les éleveurs se sont rapprochés de Terra Lacta et son usine de Theix. Entre temps, ils sont soutenus par une entreprise italienne, Inalpi, fournisseur de poudre de lait pour Ferrero, qui leur a offert un contrat de livraison très souple, en attendant que leur propre commercialisation prenne forme. « Il fallait aussi réussir à différencier notre lait. Nous avons choisi de nous inscrire dans la démarche Bleu-Blanc-Cœur pour garantir un lait riche en oméga 3. Nous avons loué une petite unité de dépotage à un GIE local et organisé notre collecte avec camion et chauffeur. Notre projet s’est poursuivi en passant un contrat avec la laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel (LSDH). Elle assure l’embouteillage, la logistique et le recouvrement. »
Restait à trouver un débouché pour ce lait UHT identifié sous la marque Cant’Avey’Lot avec le logo Bleu- Blanc-Cœur. « Toutes les enseignes de la région ont reçu favorablement notre démarche. L’ancrage régional plaisait, mais surtout notre investissement dans la promotion. Nous passons par les centrales d’achats pour un lait vendu en magasin entre 0,90 et 0,94 € le litre, qui assure un retour aux producteurs d’environ 0,40 €. »
Aujourd’hui, Cant’Avey’Lot a pris un statut de coopérative avec trente éleveurs adhérents, 10 Ml de lait produits et cinq salariés. « 4 Ml de lait sont valorisés localement et nous avons signé un contrat avec Franprix pour ses enseignes parisiennes qui écoulent aussi 4 Ml. Les 2 Ml restants partent sur le marché Spot. Notre objectif est de développer une gamme avec du fromage, de l’aligot et des yaourts. En 2016, le prix payé aux producteurs devrait approcher 350 €/1 000 litres. À terme, nous voulons atteindre les 400 €. »
Quasiment tous les week-ends, les adhérents sont mobilisés pour assurer des animations sur les points de vente, contre une rémunération. C’est un élément clé du succès de leurs produits et de la confiance des enseignes de distribution. « Ce succès tient d’abord à la cohésion du groupe. Nous avons des candidats pour nous rejoindre, mais nous devons d’abord maîtriser la commercialisation. Cela limitera nécessairement nos volumes de développement. Nous ne sommes qu’une petite niche qui ne concurrence personne et cela nous va bien », conclut Jean-Philippe Vayre.
Le Lait équitable : un projet européen
« Le projet de lait équitable est né de la crise 2009, rappelle Jean-Luc Pruvot, éleveur dans l’Aisne et président de la SAS FaireFrance qui gère la marque dans l’Hexagone. L’idée était d’aller chercher les 10 c€/litre qui manquaient pour être rémunéré à hauteur de 400 €. » En France, l’initiative a germé au sein de l’Apli.
À ce jour, 800 producteurs ont investi 1 000 à 3 000 € au capital de la SAS. Celle-ci a adopté le règlement intérieur d’une coopérative, puis c’est en juin 2013 que les premiers litres de lait équitable UHT demi-écrémé sont commercialisés dans la grande distribution.
Concrètement, la SAS achète un produit fini qui n’est pas issu de la production de ses adhérents : il est acheté auprès de la laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel qui assure le conditionnement. Ensuite, FaireFrance vend les bouteilles aux centrales ou à des magasins indépendants (au minimum deux palettes) et prend en charge la logistique.
Lors du lancement de la marque, le schéma suivant était évoqué : un lait acheté 10 à 15 % au-dessus du cours du marché, revendu 0,70 € aux magasins, et autour de 0,93 €/litre aux consommateurs. Sur chaque litre vendu, 0,10 € revient aux producteurs et 0,13 € au fonctionnement de la société. Curieusement, le président ne souhaite pas communiquer sur les volumes commercialisés : « Mais nous allons redistribuer des dividendes aux associés pour la première année depuis le lancement du projet. »
En Belgique où le projet est plus avancé, 9 Ml ont été vendus et les sociétaires vont percevoir cette année 3 000 à 5 000 €. De ce côté de la frontière, le conseil d’administration est ouvert aux consommateurs : « Les citoyens achètent des parts de la coopérative et sont rémunérés en produits », explique Erwin Schöpges, le président.
En France, les adhérents doivent assurer au minimum deux animations en magasin. La marque serait référencée dans quatre centrales Intermarché et deux Leclerc, dans les Lidl de l’Ouest, chez Auchan et Carrefour, mais aussi localement dans des magasins Super U, Cora… « Le vrai travail de fond est de se faire connaître, indique Jean-Luc Pruvot. Nous allons donc relancer une campagne d’affichage et nous nous sommes rapprochés d’un groupe d’étudiants qui travaille sur un projet de communication. » Là encore, l’idée est de développer la gamme de produits.
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