En quoi les modèles économiques sur lesquels on s'est appuyé pour décider de la fin des quotas sont-ils imparfaits ?
Aurélie Trouvé : Ils reposent sur des cadres théoriques supposant généralement un univers de concurrence parfaite et de marchés efficients qui ne se vérifie pas. Ils considèrent, par exemple, que les quotas sont une rente indue aux producteurs au détriment des consommateurs. Mais on se demande où elle se cache quand on sait que de 2002 à 2009, les revenus disponibles des exploitations laitières n'ont pas été, sauf en 2007, supérieurs à 5 000 € par actif/an et négatifs en 2008-2009. La plupart de ces modèles ne prennent pas non plus en compte la concentration d'acteurs majeurs comme la transformation et la distribution comparée à l'atomisation de la production. Ils ignorent aussi les coûts induits de l'instabilité née de la volatilité extrêmement forte des prix en l‘absence de toute régulation. Enfin, ils n'intègrent pas les impacts environnementaux et sociaux de cette volatilité.
Quels risques majeurs identifiez-vous ?
A.T.: Le premier enjeu de la fin de toute régulation de la production par les États est territorial. Le mouvement de concentration de la production là où les coûts de collecte sont les plus faibles va s'accélérer. La perspective d'un renforcement brutal de la sélection touchera aussi les producteurs les plus compétitifs. Témoin, l'intense restructuration à laquelle s'attendent les Pays-Bas. La recherche de coûts de collecte bas poussera aussi à l'augmentation de la taille des exploitations, à la concentration géographique et à un renforcement de la spécialisation régionale. Cette spécialisation régionale des systèmes de production remet en cause la complémentarité entre ateliers laitiers et surfaces en cultures (valorisation des déjections animales comme amendements, cultures valorisées en fourrages…), dans un contexte d'augmentation et de forte volatilité du prix des intrants et de l'alimentation animale. Au final, l'intensification des systèmes laitiers et la concentration géographique de la production renforceront la pression sur l'environnement.
L'autre enjeu est politique. Les États membres héritent, après trente ans de quotas, de situations structurelles très diverses, liées notamment aux modalités d'application de ces derniers. Des pays ont aussi su mettre en oeuvre des dispositifs de soutien particulier (aide à la méthanisation en Allemagne…). La sortie des quotas va libérer ces forces d'une concurrence frontale entre États membres. Elle ouvre une nouvelle phase de « guerre des régions ». Ses enjeux politiques sur la cohésion de l'UE ne pourront pas être ignorés quand il sera demandé à ceux qui ont pâti de la restructuration, pendant la phase initiale d'expansion de la production à la fin des quotas, de payer pour résorber la crise de surproduction qui en découle.
Le mini-paquet vous paraît-il suffisant pour accompagner la fin des quotas ?
A.T.: Il n'est pas à la hauteur des enjeux. Il entérine la dérégulation complète des marchés et propose des « sparadraps » absolument insuffisants pour panser les blessures qui attendent la filière du lait. La contractualisation donne la possibilité de fixer des prix et des volumes à l'avance, mais aucune garantie sur un prix minimum aux producteurs. Les contrats ne rééquilibrent en rien le rapport de force avec les laiteries. Certes, il y a cette dérogation au droit de la concurrence qui permet de créer des organisations de producteurs (OP), mais avec des plafonds qui n'existent pas pour les transformateurs ou les GMS. Et de toute manière, dans un marché dérégulé, il est illusoire de croire que l'on puisse empêcher la multiplication des OP et leur manipulation par la transformation. La mise en concurrence de ces OP par les laiteries poussera inexorablement à la surproduction... ce que montre l'exemple de la Suisse.
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