
Essai. En Ille-et-Vilaine, un groupe d’éleveurs bio expérimente des prairies à flore variée à l’aide du logiciel Capflor®, déjà mis en œuvre dans le sud. Leur objectif est de maintenir le pâturage estival malgré le réchauffement climatique.
À partir de 25 degrés, le RGA ne pousse plus, privant ponctuellement des éleveurs de pâturage en été. Les herbagers et les bios sont les premiers pénalisés et, dans la perspective du réchauffement climatique, certains cherchent des solutions pour s’adapter, sans renoncer à leur système. « Il y a trois ans, un groupe d’éleveurs a exprimé cette inquiétude. Ils ne parviennent plus à nourrir leurs animaux avec de l’herbe pâturée pendant deux mois en été, » témoigne Lauriane Pleinière, technicienne d’élevage à Agrobio 35.
Ces éleveurs, au nombre de 11, sont tous installés en bio dans le sud de l’Ille-et-Vilaine. Les sols peu profonds et séchants, majoritaires dans cette zone, laissent les prairies de RGA-TB se dessécher quand la chaleur s’installe et que la pluie se fait rare. Les éleveurs voulaient des pistes pour adapter leurs prairies aux aléas climatiques, afin de continuer à pâturer en été. Agrobio 35 s’est rapproché de l’Inrae de Toulouse qui a mis au point le logiciel Capflor ®. Il vise à élaborer un mélange d’espèces prairiales adapté à la parcelle. Grâce à lui, des éleveurs du sud de la France, où les étés sont bien plus chauds et secs qu’en Bretagne, parviennent à maintenir des prairies productives pour pâturer durant ces périodes.
L’expérience du Tarn
Les Bretons sont allés à leur rencontre dans le Tarn en juin, une source d’amusement pour les sudistes qui les considéraient comme des experts dans la gestion des prairies ! Ces visites ont convaincu le groupe d’Ille-et-Vilaine qu’ils pouvaient maintenir le pâturage estival, à condition de revoir la flore et la conduite des prairies.
Agronome à l’Inrae de Toulouse, Vladimir Goutiers est à l’origine de la création de Capflor®, et suit depuis longtemps son développement dans le Sud-Ouest et le Massif Central. Jusque-là, il n’était jamais intervenu au nord de la Loire. « Capflore® est un outil libre d’aide à la décision qui préconise des mélanges d’espèces fourragères en fonction des conditions pédoclimatiques de la parcelle et de son utilisation. »
Ces prairies, dites « à flore variées » (PFV) contiennent au minimum six espèces, qui, pour les parcelles destinées au pâturage, proviennent au minimum de trois familles botaniques, graminées, légumineuses et autres, telles le plantain ou la chicorée. 45 espèces sont disponibles dans le logiciel. Les mélanges sont conçus pour rester en place au moins cinq ans, le temps que toutes les plantes s’expriment. Vladimir Goutiers insiste sur la nécessité de ne pas changer de mode d’exploitation. « On ne choisit pas les mêmes espèces pour le pâturage et pour la fauche. »
En 2019, Vladimir a répondu à l’appel d’Agrobio 35 et est venu en Ille-et-Vilaine pour lancer un essai avec les éleveurs intéressés. Ce programme s’inscrit dans un projet AEP (Agriculture écologiquement performante), financé par la région Bretagne. La méthodologie impose d’abord d’analyser la parcelle dans son ensemble. Sa localisation donne les informations sur le climat, l’humidité atmosphérique et l’altitude. Une tarière permet d’évaluer la partie du sol explorée par les racines, notamment sa réserve en eau et la charge en cailloux. L’hydromorphie selon les saisons est aussi caractérisée. L’analyse du sol renseigne sur son pH, sa texture (teneur en sable, limon et argile), sa teneur en azote et son humidité. L’éleveur précise ensuite le mode de valorisation prévu : pâturage, fauche ou les deux, dates et rythmes d’exploitation.
Sélectionner des espèces complémentaires
Le logiciel propose un mélange adapté à ces conditions et répondant à plusieurs critères. Les espèces doivent être complémentaires pour éviter les concurrences entre elles. Cette complémentarité est évaluée dans l’espace et non en termes de compétition pour l’accès aux ressources. Il s’agit, par exemple, de prendre en compte la surface foliaire ou l’architecture de la plante et de son appareil racinaire. La vitesse d’implantation et la répartition de la production de biomasse au fil des saisons sont également considérées pour obtenir une bonne complémentarité.
Si la valeur alimentaire est une qualité importante et nécessaire, d’autres fonctions que la production de biomasse sont intégrées. Certaines espèces ont pour rôle de couvrir le sol pour limiter les adventices. D’autres servent à fournir de l’azote, tel le trèfle blanc nain. Les effets sur la structuration du sol comptent aussi, de même que les propriétés galactogènes (chicorée, lotier, fenugrec) ou antiparasitaires (lotier, sainfoin, chicorée, plantain). Pour chaque espèce, on retient plusieurs variétés afin de parer aux aléas (climat, ravageurs). Ainsi, si l’une souffre ou disparaît, une autre prend le relais avec la même fonction.
Les premières prairies conçues de cette manière ont été semées en Ille-et-Vilaine à l’automne 2019. Les éleveurs ont suivi une formation pour apprendre à les conduire, car elles comprenaient des espèces nouvelles pour eux : brome, lotier corniculé, pâturin des prés… Ils ont été surpris des quantités de semences préconisées, souvent autour de 45 kg/ha, dont parfois de petits volumes pour certaines espèces. « Le travail en groupe trouve toute sa justification dans ce schéma, raconte Lauriane Pleinière. D’abord pour partager les expériences, mais aussi pour acheter les semences en commun. » Ainsi, chacun a les quantités dont il a besoin, même quand les conditionnements ne sont pas adaptés.
Chaque année, Agrobio 35 recense les besoins et passe les commandes. Un groupement d’achat a été créé. La livraison s’effectue chez un éleveur et tous viennent chercher leurs semences chez lui. En moyenne, le coût de semence s’élève à 280 €/ha.
Déjà, 80 hectares de prairies à flore variée ont été semés depuis trois ans. Elles sont suivies par Agrobio 35 et Vladimir Goutiers qui vient les voir tous les ans. Des relevés de flore sont réalisés à chaque saison et la valeur alimentaire est analysée. Un bilan a été réalisé avec le groupe en mars. Avec des étés 2020 et 2021 plutôt cléments pour les prairies, la résistance au stress hydrique n’a pas encore pu être appréciée pour le moment.
Les mélanges observés ont, dans l’ensemble, fourni une biomasse importante à pâturer durant l’été.Ils se montrent moins productifs à l’automne. « L’idée est que ces parcelles nourrissent les troupeaux durant la période chaude et sèche. Ceci évite le surpâturage des prairies traditionnelles qui peuvent ainsi se reposer et repartir plus tôt à l’automne pour prendre le relais », explique Vladimir Goutiers .
Les mélanges évoluent au fil du temps, comme prévu. Ainsi, par exemple, le RGH s’installe rapidement mais décline au bout de deux ou trois ans. À l’inverse, le pâturin des prés prend de l’ampleur en troisième année et remplace le RGH. De même, le trèfle violet et le trèfle blanc se développent les premières années. Plus lent au démarrage, le lotier prend le relais ensuite. « Si l’on regarde le peuplement par grandes familles botaniques, il est à peu près constant », remarque Vladimir Goutiers.
Ceci permet de limiter le développement des adventices et de préserver la valeur alimentaire. La densité varie également au fil du temps, mais la hauteur du couvert compense et la quantité de biomasse disponible est conséquente.
Les éleveurs ont été surpris par la productivité et la qualité alimentaire de mélanges ne contenant pas de RGA. Ils ne s’attendaient pas non plus à ce que le fourrage soit riche en fibres. En fonction des saisons et des parcelles, la valeur énergétique se situe autour de 0,90 UFL/kg de MS, mais peut atteindre, voire dépasser, 1UFL/kg de MS. Les résultats sont aussi satisfaisants en PDI, avec des valeurs frisant ou dépassant les 90 g kg de MS.
La conduite des prairies n’a pas toujours été optimale, notamment au printemps. Avec une part élevée de légumineuses, les éleveurs ont souvent eu tendance à allonger les cycles. « Or, au pic de croissance, lorsque le volume de biomasse est très important, l’azote se dilue et on perd de la MAT » détaille Vladimir Goutiers. Les formations se poursuivent, et la maîtrise de ces prairies à flore variée va donc progresser donc avec le temps. Malgré ces erreurs, toutes les parcelles ont fourni un fourrage de qualité suffisante pour nourrir les animaux sans complémentation.
Petit à petit, ce groupe crée ses propres références sur différents types de mélanges. Elles serviront aux nouveaux utilisateurs. Agrobio 35 synthétise et diffuse ces données. « Il serait utile de pouvoir s’appuyer sur un autre référent dans l’ouest de la Bretagne », estime Vladimir Goutiers. Un appel !
Le suivi des parcelles va maintenant se poursuivre. Il sera intéressant de voir comment elles se comporteront l’année où l’été sera chaud et sec.
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