
Calage alimentaire. À travers des analyses réalisées en ferme, Emmanuel Pichon, vétérinaire, est en mesure d’évaluer les différentes étapes du processus de digestion des nutriments et ainsi mettre en exergue un défaut d’efficacité de la ration.
Face à un problème de production laitière, lorsque la ration semble bien calée sur le papier, Emmanuel Pichon, vétérinaire à la clinique des Alouettes (Maine-et-Loire), met en place une série de mesures visant à identifier l’origine du dysfonctionnement. Au préalable, il contrôle bien sûr la valeur alimentaire des fourrages et les quantités distribuées, quitte à faire peser chaque ingrédient en l’absence de mélangeuse. Ensuite, place aux prélèvements et aux analyses réalisées en ferme. « En général, je réalise entre trois et cinq prélèvements, jusqu’à ce qu’une tendance se dégage. » L’analyse des déjections lui apporte une première indication. Plusieurs bouses sont prélevées et les résidus pesés après tamisage : la présence de 20 % de résidus ou plus est déjà un indicateur de mauvais fonctionnement du rumen.
L’analyse des fèces, révélatrice de digestion intestinale
Cette situation peut, par exemple, expliquer la formation de mousse dans la fosse à lisier : les bactéries se nourrissent de l’excès de matières fermentescibles dans les bouses, ce qui engendre des fermentations. La mesure du pH des bouses est ensuite un moyen de caractériser la dynamique de digestion. « L’objectif pour avoir des animaux productifs et en bonne santé est de maximiser la digestion ruminale », rappelle le praticien. Des pH inférieurs à 6,5 sont alors le signe de processus de digestion intestinaux importants, ce qui n’est pas souhaitable. « Des profils de digestion intestinaux trop marqués ont des conséquences sur la santé des animaux, comme la fourbure (pattes rouges) ou des flambées de tarsites. Cela favorise l’emballement de phénomènes inflammatoires qui peuvent avoir pour expression une augmentation des taux cellulaires en tank. »
L’analyse d’urine au réfractomètre est également un révélateur de digestion intestinale : elle se traduit par un brix urinaire supérieur à 6, indicateur de pertes d’énergie ingérée. La mesure des pH urinaires se révèle aussi être un outil de pilotage intéressant, car ils sont bien corrélés à la valeur Baca de la ration. Dans la pratique, les rations qui visent un haut niveau de production ont une Baca élevée et donc des pH urinaires au-dessus de 8,1. Mais le praticien effectue surtout cette mesure sur les taries, pour vérifier la pertinence de l’alimentation lors de la phase de préparation au vêlage : « Les hormones qui permettent la mobilisation rapide du calcium au vêlage fonctionnent mieux avec des rations dont la Baca est basse. C’est un facteur de bon déroulement des vêlages et un moyen de prévention des fièvres de lait. » Objectif : des pH urinaires inférieurs à 7,9.
Des nutriments rapidement assimilables pour stimuler la flore
L’observation d’un profil de digestion intestinal oriente les investigations vers un dysfonctionnement du rumen. Le prélèvement de jus de rumen et son observation au microscope servent alors de support pour évaluer la qualité et la vitalité de la flore. Une vie microbienne insuffisante est le signe d’une ration déséquilibrée et/ou qui n’apporte pas suffisamment de nutriments. « Dans un rumen qui fonctionne bien, je dois retrouver des champignons, des bactéries et des protozoaires. Ces derniers, faciles à identifier par leur mobilité et leur forme allongée, contribuent à la dégradation de l’amidon. Leur présence est un bon indicateur de l’équilibre de la ration apportée au troupeau. Car lorsque le milieu ruminal est défavorable, ils peuvent être absents : par manque d’eau, en situation d’acidose ou lorsque la ration n’apporte pas assez de nutriments. » Un moyen de stimuler la flore est d’apporter des nutriments rapidement assimilables : de l’azote soluble, du sucre, et de l’amidon fermentescible avec un peu de céréales. « Le sucre est souvent le facteur limitant. C’est une situation classique des rations tout maïs ou constituées exclusivement d’ensilages, par nature très pauvres en sucre. Une partie de l’amidon est alors mal valorisée et passe dans l’intestin. »
Le potentiel redox, indicateur de digestibilité et de fermentation
Ce constat souligne l’intérêt d’intégrer à la ration des ensilages d’herbe ou du foin de qualité. Sorgho et betterave sont également des sources d’aliments riches en sucre. L’objectif de 5 % de sucre au-delà de 30 litres de lait/VL rappelle l’intérêt des analyses de fourrages. « J’observe que les troupeaux en meilleure santé ont souvent une ration comportant une part importante d’herbe dans leur alimentation. Si je devais décrire une ration idéale en matière de santé et d’efficacité digestive, elle comporterait une majorité d’herbe, complétée par du maïs épis ou du maïs humide, un peu de céréales et bien sûr un complément azoté. » L’objectif en matière de pH du jus de rumen est de 6 à 6,5. « Dans les faits, la subacidose est un phénomène souvent surestimé. »
Pour aller plus loin et mieux comprendre le profil de digestion, le praticien mesure à l’aide d’un redox-mètre le potentiel d’oxydoréduction du jus de rumen. Concrètement, un potentiel redox compris entre - 150 et - 180 millivolts correspond à une flore microbienne adaptée à la valorisation de ration riche en concentrés, formulée pour de haut niveau de production. La mise en évidence de potentiels redox plus bas (- 200 mV) est le signe de rations riches en fourrages grossiers. Un moyen de valoriser ces fibres est, là encore, d’apporter des nutriments rapidement fermentescibles. « Cette situation n’entraîne pas de problèmes de santé. La complémentation dépendra des objectifs de l’éleveur. » Pour finir, Emmanuel Pichon est également amené à évaluer le potentiel redox de la ration à l’auge : une présentation trop aérée, souvent liée à la présence de paille ou de fibre longues, renforce les phénomènes d’oxydoréduction à l’origine de reprises en fermentation et donc de perte d’énergie et d’appétence.
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