Un suicide tous les deux jours chez les agriculteurs

PARIS, 10 oct 2013 (AFP) - Près de 500 suicides ont été enregistrés chez les agriculteurs en trois ans, un tous les deux jours, en particulier chez les éleveurs confrontés à de graves difficultés financières, selon la première étude exhaustive sur le sujet, qui fait de cette population l'une des plus exposées.

Le suicide est la troisième cause de décès dans le monde agricole après les cancers et les maladies cardiovasculaires selon l'Institut national de veille sanitaire (INVS) qui publie jeudi les « premiers résultats » de ses travaux, commandés par le ministère de l'Agriculture en mars 2011. « La présente étude confirme clairement un excès de mortalité par suicide chez les exploitants agricoles masculins de 20 % supérieure à celui de la population générale française », insiste l'INVS.

Au total, 417 hommes et 68 femmes sont passés à l'acte entre 2007 et 2009, avec une surmortalité particulièrement marquée chez les éleveurs de bovins âgés de 45 à 64 ans. Parmi eux, « les hommes âgés de 45 à 54 ans et ceux de 55 à 64 ans ont un risque de décéder par suicide respectivement de 31 % et 47 % plus élevé que la population générale », précise l'Institut.

Ainsi, le taux de mortalité par suicide atteint 32,5 pour 100.000 en 2007 et 35,9 pour 100.000 en 2009, dépassant celui enregistré chez les ouvriers (31,8 pour 100.000), pourtant de loin le plus élevé chez les salariés tous secteurs confondus (24,7 pour 100.000). L'étude souligne un pic de mortalité en 2008 (146 hommes et 27 femmes) et que « la répartition des suicides observés par secteur n'est pas totalement superposable à celle des effectifs » : ainsi en 2008, le secteur bovin-lait représente environ 20 % de la population étudiée et près de 25 % des suicides enregistrés. Cette même année, l'élevage bovin a présenté la surmortalité par suicide « la plus élevée » - de 56 % pour le lait et de 127 % pour la viande - supérieure au reste de la population.

Pour l'Institut, ce sont bien les difficultés financières de la profession d'exploitant agricole et notamment des éleveurs, dans un secteur pénalisé par les coûts de production comme le lait mais aussi la viande, qui sont en cause : « Ces observations coïncident avec la temporalité des problèmes financiers rencontrés dans ces secteurs sur la période d'étude », précise l'INVS.

Les deux secteurs, du lait et de la viande, « ont été particulièrement affectés par les difficultés financières en 2008 et 2009 », relèvent les auteurs, qui citent la rupture de l'accord liant les producteurs de lait aux acteurs économiques : « les producteurs de lait ont du faire face à des difficultés auxquelles ils n'étaient pas préparés ».

Un secteur sous pression

Cette étude était très attendue par le secteur car il était l'un des rares à ne pas disposer de statistiques sur le sujet, et constitue donc le premier état des lieux officiel sur ce sujet sensible. Si ces travaux « ne permettent pas de mettre en évidence » les causes directes entre l'activité agricole et le suicide, ils « confirment » d'autres études françaises et étrangères montrant « un risque élevé de mortalité par suicide dans cette population » indique-t-il.

Les cancers restent la première cause de mortalité avec 32 % en moyenne, contre 39 % dans la population générale chez les hommes de 15 à 85 ans.

Pour le syndicat majoritaire, la FNSEA, cette étude met en relief les pressions subies : « Pression administrative très forte, pression économique forte, car on est depuis 20 ans sur le marché mondial avec des prix à la baisse, une chaîne alimentaire qui ne fait pas de cadeaux aux producteurs » et aussi « l'isolement », a résumé pour l'AFP Dominique Barrau, secrétaire général de la Fédération nationale des exploitants agricoles (FNSEA).

Le président de la Mutualité sociale agricole (MSA) Gérard Pelhate, insiste aussi sur l'isolement qui s'ajoute souvent aux difficultés matérielles et financières. Son organisme a mis en place des systèmes d'écoute et de veille, avec numéro vert, en lien avec les organisations professionnelles et le ministère, contribuant à lever les tabous du monde rural. « Lorsqu'on parlait de ces sujets il y a encore quelques années, qu'on organisait des réunions sur la dépression ou l'angoisse, peu se déplaçaient : aujourd'hui les gens viennent. L'idée est de devancer l'appel », confie-t-il à l'AFP.

Le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll s'est également dit « conscient que la difficulté financière de certains exploitants peut occasionner des situations de détresse » et promet de « conduire une action déterminée» en faveur de la reconquête des revenus agricoles. L'INVS entend poursuivre la surveillance des causes de décès des exploitants agricoles sur les années 2010 et 2011.

Réaction de la Coordination Rurale

« La CR se félicite de la publication de cette étude car depuis plus de trois ans, elle attire l'attention des pouvoirs publics et de la société sur la situation particulièrement difficile des agriculteurs.  La CR s’est battue d’arrache-pied pour obtenir non seulement un système d'écoute et de soutien aux agriculteurs en détresse morale mais également des données chiffrées permettant de totaliser le nombre de suicides d’agriculteurs.  »

« Les résultats de l’étude démontrent clairement la relation entre les difficultés financières et le fait d'être dans les secteurs de l'élevage (bovins-lait/bovins-viande). Ces secteurs présentent les surmortalités par suicide les plus élevées ! »

« Comme le martèle la CR depuis de nombreuses années, ces drames humains prennent leur source dans la situation économique et l'absence désespérante de perspectives. Seule une vraie et solide réforme de la Pac permettra de rendre espoir aux agriculteurs. »

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