Le secteur laitier attire au Canada. Bien plus que dans l’Union européenne et notamment en France. Notre dispositif d’installation est pourtant envié par nos voisins de l’UE. Mais sans politique de prix et de production stable, Amandine Sudrie et ses frères renoncent à succéder à leurs parents. Un article extrait de Terre-net Magazine n°28.
Ben et Thomas Cuthbert cultivent du maïs et du foin sur des surfaces irriguées. Les prairies sont fauchées quatre fois par an. (©Amandine Sudrie)Au Canada
Thomas Cuthbert, éleveur laitier à Ladysmith (île de Vancouver)
(©Terre-net Média)
A 0,57 €/l, ça donne envie de s’installer
Pour le lait comme pour d’autres produits, le Canada renonce à l’ouverture de son marché intérieur à la concurrence avec les pays tiers. Néanmoins, la politique agricole canadienne remplit son objectif : garantir la sécurité alimentaire de la population avec, cependant, des prix à la consommation plus élevés qu’en Europe pour de nombreuses denrées.
Grâce à l’organisation économique de la filière laitière, Thomas Cuthbert peut s’installer progressivement pour reprendre à terme l’exploitation familiale. Certes les terres et les quotas sont chers, mais l’encadrement de la production et des marchés laitiers met les éleveurs à l’abri de la volatilité des cours. Thomas travaille actuellement avec ses parents, Ben et Suzanne Cuthbert, producteurs laitiers sur 130 ha. En attendant de reprendre la ferme, il a développé un atelier de poulets de chair.
En 2012, l’élevage, qui emploie deux salariés, a livré 1,075 million de litres de lait. Le prix du lait (0,76 $Can/l en juin 2013, soit 0,57 €/l), payé aux éleveurs, repose sur un "savant calcul" car il n’est pas seulement lié aux débouchés commerciaux du secteur laitier. Il est fixé aux termes de négociations par le Milk marketing board (au niveau provincial), qui regroupe les différents acteurs de la filière. Au sein de cette organisation, Ben Cuthbert représente les producteurs de lait de la province de Colombie-Britannique.
0,57 €/l est un prix rémunérateur. Il est la clé de la pérennité des systèmes d’élevage de dimension humaine (l’exploitation de Ben compte environ 350.000 l/Uth) car il facilite la reprise des fermes en sécurisant le financement des projets d’agrandissement ou d’installation. Autrement dit, le prix négocié donne des perspectives pour entamer une car-rière d’éleveur dans des fermes à taille humaine.
Maîtrise de la production et des importations
Au Canada, le lait est la troisième production agricole après les céréales et les viandes rouges. Le pays dénombre près de 13.000 exploitations produisant 8,3 milliards de litres environ. Depuis 1966, suite à la création de la Commission canadienne du lait, l’industrie laitière est régie par un système de gestion de l’offre et de quotas, (alors que l’UE, elle, a programmé la fin des quotas pour 2015). Mis en place pour lutter contre l’instabilité des prix et les fluctuations de revenus des producteurs, il diffère cependant du dispositif européen.
Grâce à l'organisation économique de la filière laitière,
Thomas Cuthbert peut s'installer progressivement
pour reprendre à terme l'exploitation de ses parents.
(©Amandine Sudrie)Tout d’abord, deux marchés coexistent : celui du lait de consommation (lait et crème), qui représente 39 % de la production laitière nationale, et celui du lait de transformation qui atteint 61 %. De plus, le système de quotas canadien repose sur trois piliers : maîtrise de la production, soutien de celle-ci via les prix payés aux producteurs et contrôle des importations.
Chaque année, des organismes provinciaux et fédéraux estiment la demande nationale en lait de consommation et en lait industriel, puis ils allouent un quota aux éleveurs. Si le prix du lait à la production dépend des cours de l’ensemble de ses constituants (matières grasses, protéines et autres produits solides), le dispositif canadien tient compte des coûts de production et du travail de l’agriculteur. Ce système de gestion de l’offre permet aux éleveurs de raisonner leurs investissements à long terme, puisque le prix du lait est calé sur les coûts de production. Celui-ci dépasse d’ailleurs largement les niveaux pratiqués en France. En juin dernier, le litre était payé 0,76 $Can/l (0,57 €/l) alors qu’un agriculteur français a touché, à qualité égale, 0,32 €/l.
Mais le quota alloué aux éleveurs, exprimé en kilogramme de matière grasse (MG) par jour, se vend très cher. En Colombie-Britannique, il coûte 40.500 $Can/kg de MG (30.375 €/kg de MG), ce qui revient à payer 30.000 $Can (22.500 €) un droit à produire équivalent à 9.600 l de lait standard (MG : 38 ‰). A ce prix, l’achat d’un kilogramme de matière grasse s’amortit en six ans !
Une politique laitière consensuelle
Réaliser un tel investissement peut dissuader plus d’un éleveur. Toutefois, avec un prix du lait fixe, l’acquisition d’un quota ne représente pas un risque financier majeur pour les banquiers. D’autant que la politique laitière est consensuelle et s’inscrit dans la durée.
Certes, c’est au final le consommateur qui la paie puisque le prix du lait au détail est supérieur à celui en vigueur en Europe et en France. Mais, c’est aussi parce que les avantages que ce même consommateur en retire au niveau sociétal sont supérieurs à ce qu’elle lui coûte, que cette politique a du succès et dure !
En France
Amandine Sudrie, fille d’agriculteur, et Jérôme Chapon, vice-président de Jeunes agriculteurs
« La volatilité des prix dissuade de s’installer »
« Mon père est producteur de lait et a trois enfants comme les Cuthbert. Avec un quota de 400.000 l, la dimension de l’exploitation est similaire à celle de mes maîtres de stage », explique Amandine Sudrie. « Mais le rapport de force déséquilibré entre les producteurs de lait d’une part et l’ensemble de la filière amont et aval de l’autre, et la volatilité des prix qui en découle, dissuadent les jeunes de s’installer, surtout dans une région comme la mienne, le nord du Lot étant situé en zone de moyenne montagne. »
« Je suis pourtant attachée à l’exploitation familiale, mais les conditions ne sont pas réunies pour que mes frères ou moi puissions élaborer des projets sécurisants et rémunérateurs. Mon père a du boulot pour deux. Mais sans garantie sur le prix du lait et compte tenu de ce que coûte l’emploi d’un salarié, il lui est impossible d’embaucher pour alléger sa charge de travail. »
Les conditions ne sont pas réunies pour pouvoir
élaborer des projets sécurisants et rémunérateurs,
regrette Amandine Sudrie, pourtant attachée
à l'exploitation familiale.
(©Amadine Sudrie)
« Comme revenir à une gestion administrative de la production laitière est exclu, la seule alternative pour inciter davantage de jeunes à s’installer est de parvenir à leur proposer des contrats de livraison d’au moins sept ans, avec un prix indexé sur des indicateurs performants tels que le coût de production, répond Jérôme Chapon, vice-président de Jeunes agriculteurs et éleveur laitier dans la Manche. En fait, il faudrait surtout une politique d’installation par filière. En production laitière, elle pourrait être étalée sur plusieurs années, avec des incitations à produire plus. »
Même avec un prix du lait attractif…
Sinon, « même avec un prix du lait attractif, acheter 30.000 $Can (22.500 €) un quota de 9.000 l enlève tout l’intérêt de s’installer, car il faut d’ores et déjà débourser plus de 1,4 million de dollars (1,05 M€) pour acquérir un droit à produire de 400.000 l en plus de reprendre les animaux et les bâtiments ! En France, les prix du lait sont volatils mais les projets d’installation portent sur 400.000 €, voire 500.000 €, pour 300.000 l de quota ! », poursuit Jérôme Chapon.
« Au Canada, une installation hors cadre familial est inenvisageable. Or, comparé à la France, je ne suis pas sûr que davantage de jeunes reprennent des fermes familiales ! »
Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°28
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