
L’agriculture subarctique n’est pas au programme des formations dispensées à Purpan mais Lilian Duval, élève ingénieur dans cette école, en a fait une de ses spécialités. Il a choisi de partir en stage au Groenland chez Kalista Poulsen et Agathe Devisme, producteurs d’ovins viande. Les témoins, selon lui, d’un nouveau modèle agricole appelé à se développer sur notre planète, compte tenu de l’ampleur des changements climatiques qui l’affectent.Un article extrait de Terre-net Magazine n°24.
![]() Kalista Poulsen, issu d'une famille groenlandaise de chasseurs-pêcheurs, a étudié l'agriculture à l'école d'agriculture d'Upernaviarsuk puis a travaillé en Europe. Agathe Devisme, française, est architecte-urbaniste de formation. (© Kalista Poulsen et Agathe Devisme) |
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Au Groenland
Kalista Poulsen et Agathe Devisme à Ipiutaq guest farm (au sud du cercle polaire)
Des éleveurs pionniers
Le Groenland est encore une terre de conquête. La cinquantaine d’éleveurs recensés sont les bâtisseurs d’une économie rurale comme l’ont été les paysans défricheurs du Moyen Age en France ou encore les colons d’Amérique pendant plus de trois siècles.
Vivant sur la base d’une grande autonomie, ils sont en fait un exemple concret des politiques de développement rural à mettre en place pour susciter, dans des régions inhospitalières, davantage de vocations et accroître le nombre d’exploitations !
Sur la côte sud-ouest de l’île, à Ipiutaq guest farm où Kalista Poulsen et Agathe Devisme élèvent des ovins viande (cf. encadré p. 15 et lire leur portrait sur www.ipiutaq.gl), le climat subarctique est équivalent à un climat de très haute montagne en France, avec des températures inférieures à -10° C.
Aussi, il n’est pas question d’y envisager l’élevage sans un minimum d’autonomie fourragère et énergétique. En production ovine notamment, les troupeaux doivent être suffisamment nourris pour rester en bon état et produire des agneaux bien conformés au printemps. Toute pénurie de fourrage pour les animaux serait fatale à la productivité des exploitations.
Déficit de précipitations
Depuis trois ou quatre ans, le sud-ouest du Groenland est victime de sécheresse. Ce phénomène se caractérise par un déficit de précipitations au mois de juin, en période de pousse de l’herbe. Et il est accentué ces dernières années par le réchauffement climatique : les températures ont augmenté de 1,3 degré en trente ans !
S’agrandir en défrichant
Kalista n’a récolté l’an passé que 70 balles de foin alors qu’il a estimé à 120 le nombre nécessaire pour un troupeau de 300 brebis ; c’est-à-dire pour couvrir une grande partie des besoins en fibres des animaux pendant les six mois d’hiver.
Cette estimation se base sur le règlement groenlandais qui impose de disposer d’un minimum de 130 "feed units" (unités alimentaires) par brebis, la moitié composée de fibres (fourrage produit sur place ou granulés d’herbe importés), afin de nourrir correctement les animaux qui devront néanmoins compléter leur alimentation en pâturant la lande et en broutant les brins d’herbe épargnés par le froid.
L’agriculture au Groenland L’autonomie alimentaire est une des priorités du Groenland. Les activités agricoles sont concentrées au sud-ouest de l’île, où les températures estivales sont supérieures à 10°C grâce à l’influence du Gulf Stream. L’élevage ovin prédomine. Mais, les vaches sont aussi présentes dans quelques exploitations, où la production fourragère est plus importante. Outre les fourrages, des pommes de terre, des navets et de la rhubarbe sont cultivés dans les jardins attenants aux fermes et même en ville dans ceux des particuliers. De nouvelles cultures (brocolis, fraises, framboises) sont implantées à but expérimental à l’école d’agriculture d’Upernaviarsuk. |
Aussi, Kalista a été contraint d’acheter du foin à des voisins fermiers ; ce qui, compte tenu des coûts et notamment du transport, peut mettre en péril l’exploitation, en activité depuis 2009 seulement. La surface de la ferme, 6,5 ha, est aujourd’hui un facteur limitant car le moindre agrandissement se fait en défrichant les terrains par dépierrage au tractopelle et au tracteur. Augmenter la superficie d’un hectare
nécessite plus d’un mois de chantier. L’exploitation est en pleine expansion afin de devenir plus autonome.
A moyen terme, Agathe et Kalista n’excluent pas le recours à l’irrigation et envisagent d’installer un système d’arrosage automatique avec enrouleur, où l’eau serait puisée dans un lac. Cependant, un tel dispositif, en plus d’être onéreux, est chronophage. Or, en raison du climat, les travaux ne peuvent pas durer plus de cinq mois, de mi-mai à mi-octobre.
Tous les déplacements en bâteau
Par ailleurs, les éleveurs sont parvenus à réduire de 30 % leur consommation de gasoil depuis qu’ils se sont dotés de panneaux solaires, d’une éolienne et d’un système de batteries avec un inverteur-convertisseur. Livré par bateau, ce combustible reste cependant la principale source d’énergie utilisée tant pour la ferme que pour l’habitation. En effet, l’exploitation, isolée, n’est pas relayée à un réseau électrique. Elle est même si isolée que tous les déplacements de Kalista et d’Agathe se font en bateau dans les fjords ou sur la mer.
L’agrotourisme se développe
Au Groenland, il n’y a pas de fournisseurs agricoles. Le couple d’éleveurs importe donc du Danemark tout ce dont il a besoin, avec des délais et des coûts de livraison très importants pour la moindre pièce-outil. Ce qui peut être particulièrement préjudiciable en période de foin, où le temps est compté. A la fin de l’été dernier, Kalista a dû se passer de son tracteur pendant trois semaines. Un hectare d’herbe n’a pas pu être fauché, ce qui a aggravé le déficit en fourrage.
![]() Agathe et Kalista ont ouvert des chambres et une table d'hôtes. (© Kalista Poulsen et Agathe Devisme) |
Ces contraintes sont cependant les atouts sur lesquels repose l’agrotourisme, en vogue au Groenland. Moins dépendant du climat, il se développe en parallèle des activités d’élevage.
Agathe et Kalista ont ouvert des chambres et une table d’hôtes et sont en train de développer le tourisme lié à la pêche. Dans une rivière d'eaux claires à proximité (les eaux des rivières issues de glaciers, elles, sont troubles), les passionnés de pêche à la mouche peuvent découvrir des ombles chevaliers en abondance (appelés aussi truites arctiques). Les visiteurs sont séduits par ces fermes atypiques, très différentes des modèles américains et européens.
![]() Les changements climatiques, leur ampleur et leur imprévisibilité rendent plus hasardeuse la production agricole. (© Terre-net Média) |
Point de vue
Trois défis indissociables pour notre planète
Aucun expert n’est en mesure d’apprécier avec exactitude toutes les répercussions des changements récents du climat sur notre planète. Mais l’histoire de l’humanité est jalonnée de conquêtes d’espaces et de défis climatiques, alimentaires et démographiques, qui ont tous semblé insurmontables lorsqu’ils ont émergé. Celui de 2050, qui vise à nourrir neuf milliards d’hommes, n’en est qu’un de plus. Le développement de l’agriculture au Groenland, ou encore en Alaska et en Sibérie, pourrait contribuer à le relever en compensant les pertes de terres agricoles dans d’autres pays.
Mais, l’histoire a aussi montré que la majorité de ces défis émanent des activités humaines, dont on ne maîtrise pas toujours l’impact. A l’apparition de l’agriculture au néolithique, l’homme disposait de plus de nourriture. Toutefois, l’humanité a aussi dû faire face à une croissance sans précédent de sa population. Au Moyen Age, les déboisements ont libéré des terres, mais ils ont asséché le climat en Europe.
Ceci dit, ces évolutions, parfois ponctuées de crises et de famines, ont toujours existé ! Ce qui est nouveau depuis plusieurs années, c’est l’accélération des changements climatiques, leur ampleur et leur imprévisibilité. Au point de rendre plus hasardeuse la production agricole. En cause, l’activité économique mondiale qui bouleverse l’ensemble des équilibres écologiques de la planète.
Les déforestations massives, la pollution atmosphérique et l’artificialisation des terres ne sont pas sans incidences sur le climat. La volatilité des prix agricoles, qui résulte des accidents climatiques, rend difficile l’élaboration de programmes d’investissements rentables pour renforcer la sécurité alimentaire.
Revenir à des politiques agricoles stables
Parfois, certaines décisions politiques modifient radicalement les paysages agricoles et les conditions pédoclimatiques. En Europe, l’instauration en 1992 d’aides directes à l’hectare a poussé les agriculteurs à retourner d’immenses surfaces de prairies ! Ce qui n’est pas sans conséquences dans les zones inondables. Aussi, relever le défi alimentaire de 2030-2050 nécessite le retour à des politiques agricoles stables, qui s’inscrivent dans la durée en s’appuyant sur les expériences passées.
Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°24
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