Du lait à l’herbe dans tous ses états

Du lait à l’herbe dans tous ses états

L’herbe n’est pas prête d’être détrônée en production laitière. Sa première vertu est d’être la matière première agricole la plus économique à produire, même si elle n’est pas sans risque puisque particulièrement sensible à un manque de précipitations. La dimension écologique ne constitue donc pas la principale motivation pour s’orienter vers des modes de production herbagers. Mais, l'herbe est une aubaine là où l'on veut la prendre en compte, comme en Europe par exemple. En Australie en revanche, elle passe à l’as ! Avec jusqu'à 400 unités d’azote épandues par hectare chez Ashley et Nadine Greenaway, sa production est même très polluante. Un article extrait de Terre-net Magazine n°18.

 
Ferme en australie
Le troupeau pâture toute l’année, nuit et jour sur les 280 ha de l'exploitation. (© DR)

En Australie

Ashley et Nadine Greenaway à Jack River (Victoria)

400 unités d’azote/ha pour 8.000 l/VL

Dès les premières années de leur formation, les étudiants australiens, futurs producteurs de lait, apprennent à gérer rigoureusement l’unique ressource dont ils disposent en abondance : l’herbe. Leurs compétences s’apprécient d’abord par leur capacité à en produire le plus possible pour, ensuite, la récolter et la valoriser sous toutes ses formes. Au moindre coût afin d’être compétitifs. En Australie, sans aides à la production, ce sont les marchés mondiaux qui fixent le prix du lait !

Fraîche, en foin ou ensilée, l’herbe a toujours été le fourrage le plus économique à produire. Faciles à implanter, les prairies restent productives plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années, sans nécessiter beaucoup d’entretien.Le gain de temps et d’argent permet aux éleveurs de se consacrer au troupeau laitier, à la traite notamment. Celle-ci est généralement effectuée dans un local gigantesque car la dimension des troupeaux australiens exclut le recours aux robots, qui serait onéreux (1 robot pour 50 vaches).

Ferme en australie
Les 330 vaches d’Ashley et de Nadine Greenaway
produisent 2.700.000 l de lait par an. (© DR)

 

La conduite du cheptel d’Ashley et de Nadine Greenaway, à Jack River dans le Victoria, s’inscrit dans cette démarche : les 330 vaches pâturent toute l’année, nuit et jour, sur les 280 ha de l’exploitation pour produire 2.700.000 l de lait par an.

Aux antipodes

Cette ferme semble aux antipodes des structures familiales françaises. Et pourtant… Les techniques employées sont sensiblement les mêmes : contrôle laitier, insémination artificielle, fertilisation azotée, etc.

Chaque printemps (entre août et décembre puisque les saisons sont inversées par rapport à l’hémisphère nord), la pousse de l’herbe reprend très rapidement car l’Australie connaît des hivers doux et humides. Les éleveurs groupent donc leurs vêlages à la fin de l’hiver (juillet-août) pour que le pic de production laitière ait lieu au printemps, lorsque la ressource en herbe est la plus importante.

L’été, une saison redoutée

Sur l’exploitation d’Ashley et de Nadine, la rotation des pâtures s’étale sur trois semaines. Les vaches restent trois jours sur chaque parcelle et n’y reviennent que trois semaines plus tard pour que l’herbe repousse dans de bonnes conditions. Le printemps est aussi la période où il faut reconstituer les stocks de foin et d’ensilage : les éleveurs australiens redoutent l’été, souvent très sec.

Irriguer pour produire de l’herbe
toute l’année

L’irrigation est réalisée par deux pivots de 300 m pour un coût de 36.000 €/an. L’investissement – 100.000 € par pivot (système de pompage et de raccordement compris) – est lourd. Mais, si les prairies n’étaient pas irriguées, la production laitière
chuterait de 10 %. Ce qui représenterait une perte de 81.000 € par an pour un prix du lait à 300 €/t.
Les pivots électriques fonctionnent cinq mois par an. D’où des charges énergétiques conséquentes pour l’exploitation (environ 12.000 €/an). Pour pouvoir utiliser l’eau, les agriculteurs payent une licence au gouvernement (1.500 €/an).

 

Toutefois, en été et en automne, l’irrigation d’une partie des prairies permet de disposer de fourrages frais pour que la production de lait ne décline pas au moment où les prix sont au plus haut (prime de 0,04 €/l). Mais, afin de compléter la ration de leurs vaches pendant la période sèche, les Greenaway sèment une culture fourragère composée de variétés de plantes, capables de se développer malgré la chaleur (brassicacées : colza, Rape - plante indigène, Ndlr -, millet) et qui fournissent environ 8 t de matière sèche par hectare. Non irriguées, ces parcelles cultivées peuvent être pâturées par les vaches si l’herbe des prairies est insuffisante durant la saison sèche.

Herbager mais intensif

Toutefois, l'irrigation présente de nombreux avantages. Quelques millimètres de pluie seulement et elle permet de disposer de 5 à 7 kg d'herbe supplémentaires en équivalent de matière sèche par vache et par jour. Et elle maintient les prairies en bon état pour redémarrer la prochaine campagne d’herbe. Néanmoins, la baisse du niveau des nappes phréatiques inquiète les éleveuses car il faut pomper de plus en plus profond pour irriguer les pâtures.

En hiver, le foin et l’ensilage sont directement apportés aux vaches dans les champs où elles pâturent. Et toute l’année, les animaux reçoivent en salle de traite environ 4 kg d’aliments concentrés à base de graines de lupin, de triticale et de complément minéral vitaminé.

Le système herbager d’Ashley et de Nadine est d’abord intensif avant d’être écologique, avec notamment l’emploi massif d’azote. Jusqu’à 400 unités par hectare sont en effet épandues chaque année. Mais, la pollution des sols et des nappes phréatiques, comme le risque de tétanie d’herbage pour les animaux, sont loin d’être des préoccupations majeures en Australie.

Tracteur et presse en Australie
Au printemps, il faut reconstituer les stocks de foin
et d’ensilage car l’été est souvent très sec. (© DR)

En Europe

Jean-Louis Peyraud, chercheur à l'Inra

L’herbe a de l’avenir 

Jean-Louis Peyraud Inra
Selon Jean-Louis Peyraud, « les
prairies possèdent de nombreux
atouts pour être à la base de
systèmes laitiers plus durables.» (© DR)
« Le secteur laitier doit s’adapter à une plus grande volatilité des cours et se préparer à l’accroissement probable des prix de l’énergie et des engrais, avec des systèmes intensifs de plus en plus remis en cause.

Dans le même temps, plusieurs travaux démontrent que les élevages laitiers utilisant le pâturage sont les plus compétitifs. Les comparaisons conduites au niveau mondial révèlent que les exploitations maximisant le pâturage ont même des coûts de production d’autant plus faibles que la part d’herbe est plus importante. Ainsi, au Danemark et aux Pays- Bas, les coûts de production d’un kilogramme de lait sont supérieurs de 50 à 60 % par rapport à ceux observés en Irlande, les modes de productions néo-zélandais étant de loin les plus compétitifs.

En France, le degré d’intensification n’est pas un facteur décisif dans l’explication des performances technico-économiques. Dans chaque région, la marge brute par hectare croît avec le niveau d’intensification ; ce qui n’est plus le cas pour la marge nette par hectare qui semble être moindre dans les orientations les plus intensives, sauf en Bretagne.

Coûts de production faibles

Par ailleurs, les conduites extensives résisteraient mieux aux fluctuations de prix car le coût variable de production du lait est toujours beaucoup plus bas que dans les autres systèmes. Mais surtout, les résultats économiques montrent une plus grande hétérogénéité au sein d’une même classe d’éleveurs qu’entre modes de production, intensifs et extensifs. Il semble donc y avoir des marges de progrès exploitables dans tous les types d'élevage.

La prairie possède donc de nombreux atouts pour être à la base de systèmes laitiers plus durables, sous réserve que des innovations (concernant la production du fourrage, le choix des animaux, les conduites de lactation et la gestion du pâturage) en améliorent encore les performances. Le recours plus systématique aux légumineuses au sein de prairies multi-spécifiques permet de réduire l’utilisation de l’azote minéral, l’empreinte carbone du lait et la consommation d’énergie fossile tout en étalant la production fourragère au cours de la saison et en produisant des fourrages de qualité. Le choix des animaux est également crucial : ils doivent être robustes, fertiles et avoir une bonne persistance de lactation.

Il faut aussi tendre à maintenir un potentiel laitier élevé afin de disposer d’animaux réactifs à l’apport de quantités supplémentaires de concentré lorsque les conditions de marché rendent cette stratégie intéressante. »

Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°18

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Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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