Installation en lait : toujours un challenge à relever

Installation en lait : toujours un challenge à relever

Quel paradoxe ! Alors que son agriculture est la plus libérale au monde, le Canada fait partie des grands pays producteurs de lait qui aident le plus les éleveurs à s’installer ! Une sécurité indispensable pour assurer la relève, selon Michael et Manuel Blanchette, producteurs laitiers canadiens ; mais qui n’existe pas dans l’Union européenne, témoigne Jean-Michel Favennec, éleveur breton. Avec la fin des quotas, la France et l’UE peinent à trouver un nouveau système de développement de la production laitière, doté d’instruments de régulation efficaces. Un article extrait du Terre-net Magazine n°14.

Michael et Manuel souhaitent agrandir la stabulation, car leur troupeau augmente de 10 à 12 vaches par an
Michael et Manuel (respectivement à gauche et à droite de la photo) souhaitent agrandir la stabulation, car leur
troupeau augmente de 10 à 12 vaches par an. (© DR)

Au Canada

Michael et Manuel Blanchette à La Présentation

25.000 $ CA le kilo de quota de matière grasse !

« Trente ans que la fin des quotas est annoncée au Québec et que nous entendons qu’il faut cesser de dépenser des millions pour en acheter. Pourtant, ceux qui ont arrêté de le faire ont abandonné l’élevage laitier ! Pour rester producteur, il n’y a pas d'autre choix que de croire en l’avenir de la filière et d’investir pour développer sa production. Produire du lait au Canada exige d’importants capitaux, car le prix payé aux éleveurs – 75 à 80 $ CA/hl (soit 0,55 à 0,6 €/l) (1) – renchérit par contrecoup les montants des investissements et des reprises. Toutes proportions gardées, le prix du lait n’est donc pas aussi élevé qu’on pourrait le penser, même s’il nous permet de vivre correctement et de continuer à investir. Depuis que nous nous sommes installés il y a quatre ans mon frère et moi, le cheptel n’a cessé de croître, passant de 150 à 250 vaches en lactation. Et ce n’est pas fini !

Dans un futur proche, nous souhaitons agrandir la stabulation, car l’effectif de notre troupeau augmente de 10 à 12 vaches par an. Chaque année, nous achetons auprès de la Fédération des producteurs de lait du Québec, qui gère les droits à produire, un quota quotidien supplémentaire d’environ 10 kg de matière grasse.

« Investir pour développer sa production »

Produire du lait au Canada exige d'importants capitaux
Produire du lait au Canada exige d'importants capitaux,
car le prix payé aux éleveurs renchérit par contrecoup
les montants des investissements. (© DR)

Equivalents à 93.000 l/an de lait standard (39 g de matière grasse/l), 10 kg de quota de matière grasse (MG) reviennent à 250.000 $ CA, soit au final à 2 €/l, amortissables en quatre ans. La forte demande de quota tire les prix à la hausse. A ce jour au Québec, le prix d’un kilogramme de quota est plafonné à 25.000 $ CA.

Aujourd’hui, notre élevage dispose d’un droit à produire de 252 kg de MG par jour (voir l’article « Les quotas canadiens : comment ça marche ? »), ce qui correspond à une production de 2,34 millions de litres par an (lait à 39 g de MG). Avec la rallonge de quota de 9,5 %, accordée par la Fédération laitière à tous les producteurs pour répondre aux besoins des industriels, notre droit à produire a été porté à 276 kg/ jour, soit 2,6 millions de litres par an.

2,34 millions de litres par an

Les frères Blanchette préfèrent épargner leurs bénéfices et garder une trésorerie saine pour faire face aux défis futurs
Les frères Blanchette préfèrent épargner leurs
bénéfices et garder une trésorerie saine pour
faire face aux défis futurs. (© DR)

Mon frère et moi dirigeons l’exploitation avec notre père et Michel Bousquet, l’associé de la famille. Lors de notre installation, le capital de l’entreprise a été gelé. Autrement dit, nous n'avons pas eu besoin de racheter les parts sociales de nos parents et de notre associé.
Mais dans quelques années, lorsque notre père et Michel quitteront l’entreprise, ils voudront les récupérer. Nous pourrons alors les leur payer sur 10 ans ou, s’ils le souhaitent, dans leur totalité à échéance. Réévaluées, ces parts sociales seront alors assimilées à une dette d’associés envers notre père et Michel, avec des plus-values calculées qui ne seront pas imposables.
Toutefois, nous ne sommes pas inquiets. Certes, nous aurons à financer une partie ou l’ensemble du capital à reprendre (soit 4,7 millions d’euros hors quota, foncier et plus-values). Mais, souscrire un prêt n’est pas difficile et notre système de quota nous assure un prix du lait suffisamment élevé pour honorer nos prochaines échéances.
Les industriels auront toujours besoin de notre lait (tant que le droit de douane à l’importation sera de 250 % pour certains produits de grande consommation).

Prix du lait élevé

Le système des quotas fonctionne bien au Canada. Nous nous demandons pourquoi il va bientôt être supprimé en Europe. Ceci dit, il repose sur des capitaux substantiels et les montants de nos échéances de prêts sont très élevés. Sur 1 $ CA de chiffre d’affaires, 45 cents environ servent à payer les charges et 55 cents permettent de rémunérer les associés, de rembourser les prêts (hors frais financiers car ces derniers sont déjà compris dans les charges) ou sont auto-investis.

Notre revenu équivaut au total à 6 % du chiffre d’affaires, soit environ 4,5 cents/l de lait produit (6 % de 75 $ CA/hl). Ainsi, il n’excède pas 30.000 $ CA (22.000 €) par associé hors impôts et prélèvements sociaux. Cela relève d’un choix stratégique. Nous préférons épargner nos bénéfices et garder une trésorerie saine pour pouvoir continuer à investir et faire face aux défis futurs. »

L'exploitation en chiffres

  • Création de l'entreprise en 1979 avec 19 vaches
  • Main d'oeuvre : 4 associés + des étudiants pour la traite
  • Capital de l'entreprise en 2011 : environ 4,7 M€ (hors prix du quota et hors foncier)
  • Effectif du troupeau : 250 vaches laitières prim'holsteins
  • Production : environ 2,65 Ml de lait en 2011
  • Prix du lait : entre 700 et 800 $/1.000 l (entre 490 et 560 €/1.000 l)
  • Equipements : salle de traite par l'arrière 2x12, logettes matelas

 

Petit «dico» franco-québécois

  • Salle de traite = salon de traite
  • Cage de parage = rac à sabot
  • Seau = chaudière
  • Granulé = moulée
  • Caillebottis = lattes
  • Génisses = taures

En France

Jean-Michel Favennec, éleveur laitier au Cloître-Pleyben (Finistère)

« S'installer, le saut dans l'inconnu »


"Ce qui m'a marqué lors de mon voyage au Canada, c'est la sérénité
des éleveurs et leur confiance en l'avenir", insiste Jean-Michel
Favennec. (© DR)

« Un jeune agriculteur français qui s'installe n’est sûr que d’une seule chose : le coût de son projet. Ensuite, c'est le saut dans l'inconnu, sans aucune visibilité sur le prix du lait au-delà de trois mois et avec des variations de prix pouvant aller pratiquement du simple au double, comme en 2008-2009. En 2012, un jeune producteur de lait français ne sait pas quel volume il livrera en quota A, B, voire C d'ici deux, trois ou cinq ans et surtout à quel prix. Et pour après 2015, le modèle danois, caractérisé par un fort endettement (20.000 € par vache), donne une idée de l’avenir que Bruxelles réserve aux producteurs laitiers européens. Nous n’avons pas fini de regretter les quotas.

Ce qui m’a marqué lors de mon voyage au Canada, c’est la sérénité des éleveurs et leur confiance en l'avenir. J’ai rencontré, dans chaque ferme visitée, des jeunes récemment installés ou qui projettent de le faire, avec plusieurs projets d’investissement dans les cartons (bâtiments et matériels neufs). La filière laitière canadienne est en pleine restructuration, avec de nombreux départs en retraite et un accroissement de la taille des exploitations.

Au Canada, les éleveurs tiennent les rênes

Devenir éleveur laitier au Canada nécessite d'importants capitaux, sans doute davantage qu'en France ; mais la politique laitière en vigueur garantit, aux nouveaux installés, des prix stables leur permettant de planifier sereinement leurs investissements.

S’il paraît excessif de dépenser 25.000 $ CA pour acheter un quota d’un kilogramme de matière grasse et produire 9.300 l de lait, cet achat est rentable car le prix du lait est élevé. Les producteurs sont sous le régime des quotas depuis bientôt 40 ans. Et ils le resteront encore longtemps ! Car ce sont les éleveurs qui détiennent les rênes de la filière en maîtrisant les volumes et en fixant un prix élevé, calculé en fonction des coûts de production (lire l’article « Les quotas canadiens : comment ça marche ? »). Ils bénéficient de l’appui des responsables politiques, qui ont compris que la filière laitière canadienne n’a pas les moyens d’être compétitive sur le marché mondial. D’où leur soutien pour protéger le marché intérieur de la concurrence mondiale. »

Pour aller plus loin, lire :

- Le programme d'installation au Canada

- Les quotas laitiers canadiens, comment ça marche ?

Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°14

 Si vous ne l'avez pas reçu chez vous, retrouvez Terre-net Magazine en ligne en cliquant ICI.

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Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,14 €/kg net +0,04
Vaches, charolaises, R= France 6,99 €/kg net +0,05
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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