Transatlantique : l’agriculture locale, encore pionnière, bouscule le conventionnel

Transatlantique : l’agriculture locale, encore pionnière, bouscule le conventionnel

Aux Etats-Unis, les producteurs engagés dans une agriculture de proximité sont peu nombreux. Certains parviennent encore difficilement à vivre de leur travail, en raison des obstacles rencontrés pour commercialiser leurs productions. Pierre-Louis et Joan Monteillet en ont fait l’amère expérience ; ces éleveurs de chèvres et de brebis étant, dans l’Etat de Washington, des pionniers de la fabrication et de la vente de fromages à la ferme. Pourtant, l’avenir est au local de part et d’autre de l’Atlantique. Dans l’Union européenne, le projet Pac en faveur du développement rural favorisera les filières courtes. Un article issu de Terre-net Magazine n°8.


En plus de l’herbe pâturée et du foin (12 ha de prairies permanentes), les ovins et les
caprins reçoivent de la luzerne et des compléments alimentaires deux fois par jour. (© DR)

 


(© Terre-net Média)
Aux Etats-Unis

Joan et Pierre-Louis Monteillet, éleveurs de chèvres et de brebis à Dayton (Etat de Washington)

Difficile de défendre son modèle agricole

Les petites fromageries fermières, comme celle de Pierre-Louis et Joan Monteillet, sont rares aux Usa. Les premières sont apparues il y a une vingtaine d’années seulement avec, pour ambition, de faire découvrir aux consommateurs américains des produits "naturels". Mais, pas facile de développer la transformation à la ferme dans un pays où la production et la commercialisation de fromages relèvent de grandes firmes agroalimentaires.


Pierre-Louis Monteillet dans la salle de traite. En général,
ce sont deux salariés qui traient et s’occupent des animaux.
Les exploitants, eux, fabriquent et commercialisent les
fromages avec l’aide de stagiaires. (© DR)

D’autant que les Américains, au régime alimentaire très standardisé, n’ont pas l’habitude de consommer des produits fermiers. De plus, ces derniers se vendent cher et sont assimilés à des denrées de luxe. Et, ils ne font l’objet d’aucune promotion.

Conscients de ces difficultés, Pierre-Louis et sa femme ont pourtant pris en 2002 un virage à 180°, afin d’être en phase avec leurs convictions : après avoir exploité, pendant 20 ans, les 750 ha de l’exploitation céréalière des parents de Joan, ils se sont lancés dans l’élevage de brebis et de chèvres, avec production et vente de fromages à la ferme.

La ferme de Pierre-Louis et de Joan, située à Dayton, une petite ville de l’Etat de Washington, regroupe 48 chèvres de race alpine et 40 brebis lacaunes. Leur lait est transformé en une dizaine de fromages pasteurisés différents, "très français", crémeux et riches en matières grasses, sans additif ni conservateur.

Ni label, ni dispositif de soutien

Les éleveurs en fabriquent 200 par semaine, qu’ils vendent en moyenne 55,50 $/kg (environ 41 €/kg). En France, une tomme Aoc "Ossau-Iraty" par exemple coûte en moyenne 27 €/kg. Dans ce pays, la notoriété des produits labellisés ou fermiers facilite leur commercialisation, comme la forte demande des consommateurs. Aux Usa en revanche, il n’existe ni label comme l’Aoc, garantissant une qualité liée à la tradition et à l’origine géographique des produits, ni dispositif de soutien pour les filières qualité, la transformation à la ferme ou encore la vente directe.


Joan et Pierre-Louis ont dû créer leur propre circuit
de commercialisation, assis sur la proximité : vente à
la ferme, aux restaurateurs, sur les marchés.(© DR)

Ainsi, Joan et Pierre-Louis ont dû créer leur propre circuit de commercialisation, assis sur la proximité. Leurs fromages sont vendus en direct : à la ferme, aux restaurateurs, sur les marchés locaux et sur ceux de plusieurs grandes villes. A la fin de chaque semaine, afin de faire connaître leurs produits, les producteurs organisent une dégustation dans leur fromagerie. Mais, même sans concurrent aux alentours, leurs fromages se vendent mal ; ce qui engendre des pertes économiques et augmente les
coûts de production. Or, les éleveurs ont investi plus d’un million de dollars pour réaliser leur projet.

Pierre-Louis et Joan ont envisagé, à plusieurs reprises, d’embaucher un commercial pour dynamiser les ventes. Toutefois, comme ils ne peuvent pas lui assurer un salaire tous les mois, ils y ont renoncé. Les résultats économiques n’étant pas au rendez-vous, les éleveurs complètent leurs revenus en louant des gîtes et en organisant des stages de fabrication fromagère. Livrés à eux-mêmes, dans une région viticole et de grandes cultures, Pierre-Louis et Joan peinent à défendre leur modèle agricole. Néanmoins, ils ne regrettent pas d’avoir quitté leur ferme céréalière très conventionnelle pour devenir éleveurs de chèvres et de brebis. Même si, être fidèle à ses convictions ne rend pas la vie facile.

 

A la loupe

L’avenir du secteur agricole est au local

 


L’engouement pour les produits locaux est motivé par
la volonté de préserver la santé des consommateurs,
la biodiversité et une ruralité dynamique. (© DR)

Dans tous les pays industriels, de plus en plus d’exploitations agricoles misent sur la vente directe. En France, en avril dernier, le ministre de l’Agriculture déclarait que « l’avenir du secteur agricole est au local ! Contrairement à ce que nous avons cru pendant des années, il n’est plus au mondial ».

Les circuits courts ont aussi le vent en poupe aux Etats-Unis. Mais, certains états sont encore pionniers et les agriculteurs, qui optent pour l’agriculture de proximité, souffrent du manque de débouchés, comme Pierre-Louis Monteillet et sa femme Joan. D’autant que les gouvernements de beaucoup d’états n’ont pas encore pris conscience que ce mode d’agriculture constitue une voie de développement porteuse.

Le retour au local se mondialise

Ainsi, l’engouement pour une agriculture locale est une réalité de part et d’autre de l’Atlantique. Un engouement motivé par des questions de santé et de protection de la biodiversité, comme par la volonté de maintenir une ruralité dynamique.

L’essor des circuits courts réduit aussi les distances parcourues par les aliments et diminue la perte de terres agricoles autour des villes. Aux Etats-Unis, des centres-villes abandonnés deviennent des zones agricoles. « Aux Usa, même si le nombre de fermes diminue, celles qui s’orientent vers la vente directe ont augmenté de 15 % entre 2002 et 2007, date du dernier recensement » (1).

Réorientation des soutiens publics

En France, le gouvernement contribue à la relocalisation de la production agricole. D'ailleurs, un décret dans ce sens a été publié dans le cadre de la Loi de modernisation agricole (Lma). Son objectif : inciter, les services de restauration collective de l’Etat, à s’approvisionner en produits locaux à hauteur de 20 % en 2012. Selon les pouvoirs publics, le retour à une agriculture de proximité justifierait la réorientation des soutiens alloués au secteur agricole. « Ainsi, la réforme de la Pac de 2014 vise à amplifier les aides du second pilier, destinées au développement rural » (1)

Cependant, ce mouvement de relocalisation intéresse d’abord l’élite de la population, au pouvoir d’achat plus élevé, donc prête à consacrer une part plus importante de son budget alimentaire à des produits onéreux.


Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°8 Si vous ne l'avez pas reçu chez vous, retrouvez Terre-net Magazine en ligne en cliquant ICI.


(© Terre-net Média)
Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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