Quand l’agronomie et l’anthropologie se rassemblent

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Quand l’agronomie et l’anthropologie se rassemblent

Dans les zones herbagères de moyenne montagne, le risque de pullulation de campagnols terrestres est une contrainte importante pour l’activité d’élevage. Les chercheurs ont mis en évidence des processus écologiques en cause et identifié des pratiques agricoles ayant une influence sur les dynamiques de population de ce ravageur des prairies.


En moyenne montagne, l’activité d’élevage peut être perturbée par
le risque de pullulation de campagnols terrestres. (© Terre-net Média)

En moyenne montagne, l’activité d’élevage peut être perturbée par le risque de pullulation de campagnols terrestres (Arvicola terrestris), qui présentent des cycles de cinq six ans dans ces régions herbagères, où la lutte chimique à base de bromadiolone n’a pas donné les résultats escomptés.

Or, ce campagnol n’est pas sans impact sur la production à la fois au niveau quantitatif et qualitatif, mais aussi sur la santé humaine.

Pratiques alternatives

Des études ont identifié les facteurs permettant d’atténuer les effets du rongeur : structures paysagères, occupation du sol, pratiques de gestion des prairies… tout ce qui va agir sur la ressource alimentaire. « Nous savons également que les pratiques alternatives à la lutte chimique permettent à la fois de réduire la ressource alimentaire et de détruire l'habitat des campagnols : alternance fauche / pâture par exemple, implantation de céréales dans l’assolement », expliquait en décembre 2009 Gaëlle Peyre, de l’université de Clermont, à l’occasion des rencontres 3R à Paris.

Mais ces méthodes sont finalement peu appliquées car elles nécessitent un changement complet de stratégie de l’exploitation et des systèmes de production. « Dans un premier temps, face à ce constat, nous avons voulu savoir quels étaient les déterminants des choix de pratiques effectués par les agriculteurs ; dans un second, nous avons essayé de voir comment et à quelles conditions, des pratiques permettant de lutter contre les campagnols pouvaient s’intégrer. » En d’autres termes, évaluer d’un côté les marges de manœuvre technique, de l’autre, le potentiel d’adaptation « acceptable » par l’agriculteur en lien avec sa perception de son système d’exploitation et en fonction de son système de valeurs.

Une équipe pluri-disciplinaire

Pour y parvenir, une équipe pluridisciplinaire a été mise en place, regroupant des agronomes, un anthropologue et un géographe. Cette équipe a procédé en 2008 à 22 entretiens, dont 12 auprès d’éleveurs laitiers, sept auprès d’éleveurs allaitants et trois auprès d’éleveurs dits mixtes. Tous les élevages sont situés dans le bassin de Rochefort-Montagne (Cantal et Puy-de-Dôme). L’ensemble des résultats ont été compilés sous forme de grilles qui ont permis d’identifier les trois types de postures vis-à-vis du phénomène de pullulation de campagnols terrestres :

  • L1 : lutte intégrée contre le campagnol terrestre, recours à la lutte directe contre le campagnol, lutte directe contre la taupe, lutte indirecte via le raisonnement des pratiques agricoles ;
  • L2 : stratégie centrée sur la lutte directe contre la taupe ; peu de lutte directe contre le campagnol terrestre ni de modification des pratiques ;
  • L3 : lutte directe assidue, essentiellement chimique, refus des méthodes alternatives.

Ce même travail de sériage a été réalisé sur les systèmes de production (cinq groupes identifiés), les systèmes de pensée (quatre groupes). « Nous avons ensuite croisé les grilles entre elles », poursuivait Gaëlle Peyre.

Intérêt d’une approche agro-anthropologique

Le croisement entre le type de système et les stratégies de lutte illustre que les choix de pratiques de lutte ne sont pas uniquement déterminés par les caractéristiques techniques des systèmes. Cette hypothèse est d’ailleurs confirmée en croisant systèmes de production et systèmesde pensée. « Ces résultats confirment l’intérêt d’une approche agro-anthropologique pour faciliter le conseil individuel. »

Les premiers résultats de cette étude pluridisciplinaire confirment l’intérêt d’une approche agro-anthropologique : à système égal, les pratiques de lutte diffèrent.

De même, le croisement des types de systèmes avec les types de postures d’agriculteurs montre une dispersion des exploitations qui confirme que l’approche technique n’explique pas tout.

Ainsi, contrairement à une idée reçue, les systèmes de production ne prédéterminent pas la façon de penser des agriculteurs et n’orientent qu’en partie les modalités de réactions de ces derniers.

Pour certains agriculteurs, le campagnol est un concurrent vis-à-vis de l’accès à la ressource fourragère. En réaction, ils développeront soit la lutte directe (adoption de pratiques le pénalisant), soit l’évitement (en développant des réserves de fourrages), soit le considéreront comme des vecteurs de saleté et de maladie et feront tout pour l’éliminer. D'autres enfin considéreront qu’il s’agit d’un fléau contre lequel on ne peut pas agir.

Une compréhension plus fine

Cette étude présente différents intérêts, à commencer par le fait qu’elle ait mêlé approche technique et approche anthropologique, cette dernière « amenant une compréhension plus fine du sens des pratiques ». In fine, le résultat montre que le croisement des trois disciplines (agronomie, anthropologie, géographie) permet d’affiner la description du couple exploitation/agriculteur, avec le biais que les typologies proposées ne sont valides que pour la zone géographique considérée.

Il n’empêche : cette compréhension affinée peut être utile pour les conseillers « pour accompagner individuellement les agriculteurs à élaborer des stratégies adaptées à leur système et à la situation à laquelle ils font face ». Des méthodes collectives de conseil peuvent également être développées. « L’usage des jeux de rôles et autres mises en situation peut aider à faire émerger des solutions partagées. »

Le conseiller, un animateur à l’écoute

Dans ce cadre, le conseiller agricole devient un animateur à l’écoute aussi bien des mécanismes sociaux que des processus biotechniques. Cette étude interpelle dans la mesure où elle ouvre la réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour introduire dans le raisonnement des systèmes de production non seulement la connaissance des processus écologiques, mais aussi la compréhension par les agriculteurs de leurs propres motivations ainsi que celles des autres acteurs.

Il s’agit là d’un premier pas vers la résolution collective de problèmes dépassant le cadre de l’exploitation, comme la gestion des aléas climatiques ou de l’eau… « Sur ces sujets, installer la concertation à des échelles de petits territoires nécessite un apprentissage à la fois classique, sur les connaissances, mais aussi un changement de postures concernant les agriculteurs, les conseillers techniques et les chercheurs. »

Pour aller plus loin : www.inst-elevage.asso.fr.

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