L'évolution des systèmes fourragers en région de Piémont et de Montagne sera-t-elle accompagnée de l'abandon de l'ensilage ?

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En ce début de 21ème siècle , l'exploitation laitière se trouve sous l'influence de nombreuses contraintes inter- dépendantes . En effet aux contraintes classiques ( climat , sol , économie ..etc ...) s'ajoutent les contraintes environnementales , les exigences de qualité et d'image des consommateurs , les composantes sociales du milieu rural.

Pour représenter l'ensemble des composantes ayant une influence sur l'exploitation agricole engagée dans la production de lait , le BTPL a créé le concept de"PLATEFORME DE VIE LAITIERE". Le mot vie traduit le fait que l'homme est au centre de ce concept ; mais le système fourrager est une autre pièce maîtresse de cette plate-forme et son évolution résulte de l'équilibre qui s'instaure entre les objectifs et les moyens de production.

Dans les régions de montagne et de piémont, traditionnellement herbagères ,la contrainte sol-climat est prioritaire. L'herbe représente le fourrage principal,accompagné avec plus ou moins de succès par quelques hectares de maïs. ( de l'ordre de 10 à 15% de la SAU ). Dans les dix dernières années l'ensilage s'est régulièrement développé grâce à la meilleure maîtrise de la culture de l'herbe et une mise à disposition de variétés adaptées ( notamment avec l'augmentation de la souplesse d'exploitation et de la résistance aux maladies ) , l'évolution du matériel de récolte vers la coupe fine ,l'utilisation de conservateurs efficaces (type acide formique ), l'existence d'équipes d'ensilage stables. L'herbe restera pour ces régions le fourrage principal. En effet environ les 2/3 des surfaces en prairie sont occupées par la prairie naturelle et les conditions climatiques ne laissent que 150 jours de conditions favorables à la végétation du maïs avec une période sèche en été.

Cependant , alors que les progrès techniques permettent de maîtriser de mieux en mieux l'ensilage ( coupe fine ,chantier à gros débit, conservateur acide maintenant sous forme de granulés, bâches de qualité : tricouches par exemple, beaucoup de plates-formes bétonnées construites notamment dans le cadre du PMPOA (Programme de Maîtrise des Pollutions d'Origine Agricole), ce mode de récolte serait d'après certains menacé de disparition.

En effet les arguments avancés mettent en avant les exigences du consommateur en matière de recherche de produits obtenus par une alimentation naturelle des animaux. L'ensilage sera-t-il considéré comme naturel? Là est la question.

Aujourd'hui cette conserve quelquefois mal odorante est mal perçue par les citadins ; par ailleurs l'adjonction d'un conservateur permet souvent d'améliorer la qualité mais le terme même de conservateur estdifficilement compatible avec le terme naturel. Pourtant il faut pendre en compte l'évolution de la composition des prairies cultivées vers plus de prairies de type association graminées + légumineuses. Cette évolution si elleapporte une plus faible consommation d'azote minéral a pour conséquence d'augmenter le pouvoir tampon (résistance à l'acidification )des fourrages ensilés. En effet la forte teneur en calcium et les matières azotées des légumineuses les rendent plus difficiles à ensiler.Donc l'utilisation d'un conservateur efficace deviendra encore plus nécessaire.

D'autre part un chantier d'ensilage demande beaucoup de main d'œuvre et de l'entraide; mais cette entraide se fait de plus en plus rare dans un monde rural qui n'échappe pas à la montée de l'individualisme,et où de nombreuses exploitations disparaissent. Ainsi les équipes d'ensilage ont de plus en plus de mal à se constituer ou à perdurer.Souvent les chantiers d'ensilage ont lieu à la même époque que la préparation des sols pour les semis de maïs et l'éleveur ne leur donne pas toujours la priorité.

Par ailleurs les contraintes environnementales et la mise aux normes des exploitations dans le cadre de la réglementation des installations classées et du PMPOA ont entraîné deux évolutions. Soit une imperméabilisation des radiers avec collecte des jus dans une fosse, soit une orientation vers le préfanage (> 30% deMS) ou l'enrubannage (>50% de MS). L'augmentation de MS supprimera les jus mais rendra la technique plus dépendante des conditions climatiques notamment pour réaliser une première coupe précoce afin d'obtenir un fourrage de bonne valeur alimentaire.

Dans les régions de montagne et de piémont la période hivernale dure environ 180 jours et ne laisse que peu de place au pâturage.Par conséquent, si l'ensilage était remis en cause comme cela est déjà le cas dans les régions qui produisent certains fromages ( par exemple le Comté ), il serait indispensable de réussir de bons foins. Cette réussite passe par la pratique du séchage en grange en vrac ou en balles rondes.Ces techniques largement pratiquées dans les Savoies et le Jura sont de plus en plus performantes mais elles demandent des investissements lourds en équipement de séchage en hangar de stockage et en engin de manutention .
Dans les régions qui les pratiquent une plus value sur le lait assure le retour sur investissement .
La question est donc de savoir s'il est possible d'obtenir une plus value sur le produit qui se répercutera sur le prix du lait obtenu sans ensilage .Aujourd'hui l'image de l'herbe et de la montagne est une image recherchée par le consommateur mais elle devra sans doute être davantage sécurisée.Cependant ils nous semble possible de concilier cette sécurité et cette image avec la récolte sous forme d'ensilage.

Un demi siècle de recherche a suivi la découverte en 1953 par Warienga de la relation entre la matière sèche du fourrage et l'acidification (PH) nécessaire pour assurer la stabilité de l'ensilage fait à partir de ce fourrage .De nombreux chercheurs de l'INRA (Mrs Gouet, Demarquilly,Dulphy, etc...) ont permis une meilleure connaissance des fermentations et des techniques permettant de les orienter favorablement.

Grâce à ces recherches les éleveurs disposent aujourd'hui d'une technique bien maîtrisée permettant de récolter leurs fourrages au meilleur moment par rapport à leur valeur alimentaire et d'obtenir un fourragesain, complètement indemne de germes indésirables (ex : listéria) et de moisissures indésirables pouvant générer des mycotoxines.

Il a été écrit"Au 21ème siècle l'ensilage sera de qualité ou ne sera pas" Nous partageons totalement ce point de vue ;mais si demain les opportunités et les contraintes économiques de la plate-forme de vie laitière des éleveurs en zone piémont et montagne justifie l'ensilage comme le meilleur choix stratégique il nous paraîtpossible de rassurer le consommateur.

Pour cela une rapide prise de conscience de l'enjeu par les éleveurs estindispensable.. Après la maîtrise de la technique il reste a mieux prendre en compte l'environnement. Un silo sans mauvaise odeur est un préalable mais il sera demain nécessaire de bien intégrer les silos dans le paysage, de veiller au ramassage des bâches usagées,de stabiliser les sols pour éviter les bourbiers qui avoisinent certains silos taupinières aujourd'hui et de respecter les distances d'implantation par rapport aux tiers.

Enfin l'ensemble de ces efforts doit être porté à la connaissance des consommateurs par des journées ''portes ouvertes relayées par la presse (journées tout public mais aussi journées à but pédagogiques avec des écoles et des lycées ; ne serait ce que pour apprendre aux futurs consommateurs que la conservation par ensilage d'un produit sucré ne fût pas inventé par l'homme mais par l'abeille.En effet pour conserver son miel l'abeille le met en conditions anaérobies en operculant sa cellule après avoir ajouté une goutte de venin .Cette goutte de venin contient de l'acide formique c'est à dire un conservateur.

Si cette démarche de progrès, de formation et d'information se met en place nous sommes convaincus que l'évolution des systèmes fourragers dans les régions traditionnellement herbagères de montagne et de piémont laissera une large place à l'ensilage là ou le produit final le permet...Cependant cette communication doit être mis en place rapidement car il est toujours plus facile d'offrir une image positive que de rectifier une image négative.

Pierre Dorangeon
Ingénieur-Conseil BTPL

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Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
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