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Pas 10 % mais 35 % de femmes pour être entendues dans les OPA

25 % de femmes cheffes d'exploitation : le niveau de représentativité devrait être au moins le même dans les organisations professionnelles.

Comme beaucoup d’éleveuses face aux responsabilités professionnelles, elles se sont d’abord dit : « Pourquoi moi ? » Et puis rapidement derrière : « Pourquoi pas moi ? » Elles nous partagent leurs motivations et la manière dont elles se sont impliquées et vivent encore leur engagement dans les organisations agricoles.

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« Mes deux grands-mères, qui ont tenu leurs fermes toutes seules pendant la guerre, on ne leur a pas demandé, et se sont-elles demandé, si elles en étaient capables ? » En rappelant cette réalité, même si le chemin vers davantage de reconnaissance des agricultrices s’est avéré bien long, Marie-Andrée Luherne veut donner confiance en elles aux exploitantes, en leurs capacités, leur valeur, leur légitimité pour « oser exercer leur juste rôle » dans les organisations professionnelles agricoles, poursuit la vice-présidente de la FNPL et présidente déléguée du Cniel lors d’une émission au Space 2025.

Pourquoi je laisserais la place aux hommes ?

La confiance en soi, un préalable pour s’engager. « Il faut être à l’aise, appuie Valérie Garcia, administratrice au sein de la coopérative Terrena, et arrêter de penser qu’on n’y arrivera pas. Après la première réaction « je n’ai pas le temps », ne plus se dire, « Pourquoi moi ? Qu’est-ce que je vais apporter » mais « Pourquoi pas moi ? Pourquoi je laisserais la place aux hommes ? » « Nous nous mettons nous-mêmes des freins, enchaîne Marie-Andrée Luherne. Ne pas savoir faire, ce n’est pas grave, on apprend. »

S’engager apporte une solide formation continue

L’engagement apporte en effet une solide formation continue par les échanges entre pairs et au-delà du monde agricole, les apports de connaissances pour mener les dossiers dont on a la charge et de savoir-faire en communication, prise de responsabilités, etc. « Une vraie chance que nous offre notre métier d’éleveuse qui nous permet de monter en compétence et d’évoluer en permanence. Moi-même, je viens de suivre une session de media training. Je croyais, depuis le temps que je suis responsable professionnelle, ne plus en avoir besoin. Or, j’ai appris plein de choses. »

Des vêtements de couleur pour qu’on me remarque.

Alors qu’elles représentent désormais 25 % des chefs d’exploitation, seuls 10 % des élus des conseils d’administration de coopératives sont des femmes. « À 10 %, nous passons inaperçues. Il faudrait au minimum 35 % d’agricultrices pour être entendues, commencer à peser », insiste Marie-Andrée Luherne qui a pris l’habitude de porter des vêtements de couleur pour qu’on la remarque. Elle exhorte à « péter ce plafond de verre qui prive de 50 % des talents de l’humanité, soit de décisions et d’orientations éclairées ». « Les hommes au centre, leaders, c'est quelque chose de très culturel, qui renvoie à notre éducation, surtout dans le milieu agricole », argue Valérie Garcia.

« Mon frère fait comme ça, je ferais tout l’inverse »

Hommes et femmes sont complémentaires, amènent des visions différentes. « Face à un même chantier, je m’interroge souvent : pourquoi mon frère (avec lequel elle est en Gaec, NDLR) procède comme ça, je ferais tout l’inverse », illustre Valérie Garcia. « Il ne s’agit pas de remplacer nos homologues masculins mais de travailler ensemble sur l’exploitation et au sein des organismes », complète Marie-Andrée Luherne qui a toujours fait partie de collectifs de travail mixtes : d’abord ses beaux-parents, sa belle-sœur, son beau-frère et son mari, et aujourd’hui son époux, ses trois fils et bientôt sa fille. « J’ai toujours trouvé cela enrichissant », résume-t-elle (elle constitue la 5e génération sur la structure).

Le leadership au féminin, c’est faire bouger les lignes

Comme évoqué plus haut, et Valérie Garcia le constate régulièrement, les hommes s’imposent plus facilement que les femmes. Se pose alors la question pour Anne Dumonnet-Leca, présidente de l’association Vox Déméter, visant à « faire entendre la voix des femmes du monde agricole », animatrice de ce débat : « Comment favoriser le leadership au féminin ? »

Avant toute chose : qu’est-ce que cela signifie ? Anne Dumonnet-Leca donne la définition d’Isabelle Rome, ancienne ministre de l’égalité femmes/hommes : « Une prise en main de soi face aux autres et avec les autres, une force capable de faire bouger les lignes et qui impose de s’assumer comme fédérative, comme une femme guide. »

Soit, en agriculture, selon Valérie Garcia : trouver sa place tout simplement, sans l’accaparer, et s’exprimer dans un environnement qui se féminise mais demeure encore très masculin. Marie-Andrée Luherne va plus loin : « Ce n’est pas juste affirmer que les choses doivent changer. Il faut avoir la volonté puis s’investir, c’est-à-dire se mettre en mode projet et action, pour favoriser le changement ou du moins apporter sa pierre à l’édifice. »

L’engagement se transmet de génération en génération

Pour elle comme Valérie, l’engagement est dans les gènes, une « deuxième nature ». Il se transmet de génération en génération et fait partie intégrante de l’éducation. Adolescente déjà, Valérie Garcia a intégré le MRJC puis la Jac. « Je me suis beaucoup plus ouverte aux autres », met-elle en avant. Dès que sa mère lui a passé le flambeau sur la ferme, elle a pris le relai de ses responsabilités au service de remplacement. Quelques années plus tard, une déléguée des producteurs de lait de son secteur chez Terrena lui a proposé de prendre sa suite.

Elle a été ensuite sollicitée pour rentrer dans les comités de territoire. Maintenant, elle est administratrice, membre du bureau et référente mixité notamment au sein du groupe Sentin’Elles créé il y a deux ans pour avancer dans ce domaine. De même, dans la famille de Marie-Andrée, « on donne du temps aux autres, mais on ne leur laisse pas la décision, on est acteur de sa vie professionnelle comme associative, communale, dans les écoles… » Juste après son installation, elle a rejoint les groupes développement.

« À ce moment-là, c’était les hommes d’un côté, les femmes de l’autre mais il y avait une coprésidence », se souvient-elle. Entrée à la commission des agricultrices de la FDSEA du Morbihan, elle s’est vue confier le dossier lait qu’elle a d’abord porté au niveau régional puis national. « J’avais envie de m’investir sur un sujet technique. Une histoire de rencontre aussi, des bonnes personnes au bon moment, qui m’ont fait confiance et ont regardé non pas le genre mais les compétences. »

S’impliquer à son échelle et selon ses possibilités

La transmission de cette fibre à ses enfants, elle s’en réjouit et en est fière : ils ont tous des responsabilités à différents niveaux. « Il n’y a pas de petit ou de grand engagement, avance-t-elle. Si chacun donne un peu, selon son temps et ses capacités, cela aboutit à quelque chose de significatif collectivement. » Ainsi, Morgane Guillouroux, installée depuis seulement quatre ans, avait envie de s’engager en donnant le temps qu’elle pouvait, localement. Déléguée MSA, elle travaille sur le bien-être des éleveurs pour montrer, aux jeunes, « qu’on peut bien vivre et être heureux dans ce métier ».

Marie-Andrée Luherne met en garde : « Attention à ne pas prendre trop de responsabilités, trop vite, si c’est pour se laisser submerger. » Il faut adapter l’organisation sur l’exploitation, nécessairement perturbée, concilier divers temps de vie et pouvoir partir tranquille de la ferme, sans quoi « on ne sera pas bien dans les missions qu’on a à mener ». Valérie et Marie-Andrée s’appuient sur leur(s) associé(s), et aussi un salarié pour la première, de même que Morgane qui a également embauché un apprenti. Tous sont « compétents », elles peuvent être « sereines ».

Se mettre dans de bonnes conditions

Seule sur sa structure de 90 ha, dont 80 ha d’herbe, et une quarantaine de vaches laitières en Loire-Atlantique, la jeune productrice compte par ailleurs sur des bénévoles, en particulier l’entraide entre voisins. Toutes les trois sont unanimes : le soutien des proches et du conjoint principalement est essentiel. Outre les absences et le temps consacré, ce dernier doit aussi accepter de « ne pas être, lui, sur le devant de la scène », fait remarquer Valérie qui élève 80 vaches laitières (près d’un million de litres par an) en Loire-Atlantique également, et pour qui il est question également de timing : cela devient plus facile quand les enfants grandissent.

« Qu’ils soient en bas âge freine plus les femmes que les hommes », observe Marie-Andrée, à la tête d’un troupeau laitier de 145 vaches, montée à l’échelon national une fois que les siens ont été plus grands. Elle revient sur un chiffre éloquent : les femmes effectuent encore deux fois plus de tâches domestiques que les hommes et en agricole, trois fois plus ! Et sur une autre donnée chiffrée : seules 16 % des éleveuses laitières ont moins de 40 ans. « Mon rôle est d’amener le plus de jeunes possibles vers la production laitière, de femmes entre autres, sans elles, impossible de faire face au choc démographique et au déficit d’attractivité. »

« Ne pas en arriver à une loi sur la mixité »

Puis les accompagner à la prise de responsabilités. « Comment leur donner un coup de pouce ? », intervient Anne Dumonnet-Leca. « Aux organisations agricoles de fixer des objectifs pour commencer à avancer, répond Valérie Garcia. Et ne pas se voir imposer en agriculture la même loi sur la mixité que pour les partis politiques aux élections municipales, régionales, sénatoriales et européennes. » « 25 % de cheffes d’exploitation : le niveau de représentation doit être le même dans les organes professionnels », estiment les trois éleveuses.

Autrement dit par Marie-Andrée Luherne : « Se fixer un cap et tout mettre en œuvre pour l’atteindre, car les évolutions ne viendront pas toutes seules On parle quand même d’un changement profond de mentalité. » Elle suggère de « médiatiser des figures emblématiques pour donner l’exemple, montrer qu’elles ont réussi et donner envie de faire pareil ». Pourquoi pas du marrainage ou du mentorat ? Et modifier quelques petits trucs en termes d’organisation, des réunions par exemple ?

Elle cite enfin les groupes féminins auxquels les agricultrices osent davantage participer, où elles s’expriment plus facilement et viennent chercher du réconfort. « On ressort regonflées à bloc. » Un excellent tremplin dont il faut cependant sortir. De même que des exploitations. « Ce n’est pas parce qu’on y a fait de la place aux femmes qu’il faut s’y enfermer », conclut Valérie Garcia.

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