[Reportage] Toutes à l’herbe ! Gérard Grandin (61) a bâti un système néo-zélandais très économe
Près de Domfront dans l’Orne, Gérard Grandin a repris la ferme laitière de ses parents pour y effectuer un virage à 180 degrés. Son objectif : faire du lait biologique uniquement avec de l’herbe en dépensant le moins d’argent et de temps possible.
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Il pourrait passer pour un hurluberlu avec ses 56 hectares tout en herbe , ses vaches bariolées et ses veaux qui gambadent dans les prés. Pourtant, derrière ses petites lunettes, cet ingénieur agricole de 35 ans a bien réfléchi son système. Plutôt doué à l’école, Gérard Grandin n'envisageait pas forcément de reprendre la ferme familiale de Lucé dans l’Orne.
Son parcours l’amène à découvrir durant une année, les fermes de Nouvelle-Zélande où pâturent 500 "kiwi" sur 120 hectares. Après quatre ans passés en coopération à Haïti sur des programmes de reforestation et de développement de micro-laiteries, Gérard revient en France où il intègre le Civam Agriculture Durable de la Mayenne et développe son goût pour les systèmes économes en intrants. En mai 2012, il s’installe seul en agriculture biologique pour rester en cohérence avec ses convictions écologiques et pour sa santé. La ferme qui comptait alors 35 Holsteins à 8.500 litres, 50 taurillons, 1/3 d’herbe, 1/3 de maïs et 1/3 de céréales, va être profondément chamboulée.
Adepte des discussions sur le forum de Terre-net et des recherches sur internet, Gérard s’inspire de témoignages d’éleveurs anglais comme Jonny Rider ou Mat Boley et bretons tels qu’ Erwan Leroux en monotraite , et Jean-Yves Penn qui parvient à dégager 42.000 euros d’Ebe avec seulement 120.000 litres . « Son système produit trois fois moins de lait pour le double de revenu, alors je suis allé le rencontrer. A chaque fois qu’il a cherché à simplifier le système, il travaillait moins et gagnait plus ! Ça m’a convaincu. En avril 2013, mes semences de maïs étaient arrivées dans la cour, j’ai rappelé mon fournisseur pour qu’il revienne les chercher », se souvient Gérard qui depuis a revendu sa charrue et son semoir. Aujourd’hui, l’intégralité de l’assolement est en herbe. Les prairies ont vocation à devenir permanentes afin de ne dépenser ni fioul, ni semences.
Caler les vêlages avec la pousse
Au cours de son installation, Gérard a doublé la taille de son troupeau en achetant quelques Jersiaises et Normandes pour atteindre 70 vaches cette année. Une cinquantaine d’entre elles viennent de vêler en l’espace d’un mois, de mi-février à mi-mars, afin de caler la courbe de lactation avec celle de la pousse de l’herbe. Les vaches restent en prairie jusqu’au mois de décembre. A l’automne, l’éleveur passe en monotraite, puis tarit tout le troupeau avant Noël. Durant les deux mois suivant, Gérard ne consacre plus que deux heures par jour à son travail. Il ne cure pas la stabulation de tout l’hiver et paille très peu. Il profite de cette période pour se faire remplacer et prendre des vacances.
Sans concentré, avec de l’herbe et du foin comme plat unique toute l’année, le niveau d’étable est tombé à 4.600 kg/VL/an à 41,6 g de TB et 33 g de TP. Mais peu importe, le seul critère qui compte à ses yeux, c’est le nombre de litres par hectare d’herbe. « Sur 2014, j’estime que l’herbe pâturée a représenté 75 % de la ration annuelle. Mais il faut vraiment en vouloir, reconnait-il. En moyenne, sur mes prairies biologiques, je pense pouvoir produire 5.000 litres/ha, ça sera difficile d’aller au-delà. Je suis encore à la recherche du chargement optimal, car jusque-là j’ai fait trop de stocks. »
Faucher c’est anti-économique
En effet, pour lui, le foin c’est l’herbe qu’il n’a pas réussi à faire pâturer. Il n’hésite pas à réaliser des stocks d’herbe sur pied pouvant aller jusqu’à 70 jours de repousse. « Faucher et stocker de l’herbe, c’est anti-économique. Je ne cherche pas à faucher le regain, mais uniquement à faire du foin fibreux et épié au mois de juin pour encombrer la panse des vaches taries durant l’hiver. En 10 jours, tout est bottelé et vu que je vise le volume et non la qualité, cela m’épargne le stress de devoir faire du bon foin », une gageure en Normandie !
Ce système basé uniquement sur l’herbe reste sensible aux aléas climatiques. En cas de sécheresse, l’éleveur doit accepter de faire moins de lait et réagir vite en achetant du foin et en réformant des vaches prématurément.
Gérard est un mauvais client : il ne dépense que le strict nécessaire pour dégager un maximum de marge. Gérard n’adhère pas au contrôle laitier, il fait ses pesées de lait lui-même et envoie ses échantillons de lait au laboratoire. Ses seuls investissements se résument à l’agrandissement à moindre frais de la salle de traite pour passer de 2*3 à 2*5 postes, ainsi qu’à un tracteur de 65 ch pour faucher et dérouler le foin, sans cabine ni pont-avant, acheté neuf pour 20.000 euros (oui ça existe !). Il a aussi dû débourser 40.000 euros, entièrement à sa charge, pour creuser un boviduc sous la route afin que le troupeau accède à 7 ha de pâturage. Soit un total de 45 ha accessibles aux laitières.
Jersiaise une génération sur deux
Avant son installation, Gérard avait demandé à ses parents de croiser les Prim’holsteins avec des taureaux montbéliards, dans le but de faire du croisement rotationnel à trois voies de type Procross avec de la Rouge suédoise . Pour atteindre trois quarts d’herbe pâturée dans la ration annuelle, les vaches doivent être en mesure de pâturer près de 330 jours par an. Cela implique une génétique adaptée au pâturage, de petit gabarit avec un fort indice de transformation des fourrages et capable de s’adapter à la monotraite. Gérard se tourne désormais vers la Jersiaise de souche néozélandaise une génération sur deux en alternance avec les meilleurs taureaux montbéliards, rouges suédois ou holsteins néo-zélandais.
« La ration à l’herbe de printemps est trop faible en énergie pour les Holsteins pures qui produisent trop de lait et ne parviennent pas à adapter leur métabolisme à la nourriture dont elles disposent, explique-t-il. Résultats : un système immunitaire affaibli, des mammites en pagaille, et plusieurs mois d’anoestrus. »
Une IA, pas plus
En effet, pour les vaches, les conditions sont rudes et la sélection drastique. Gérard vise 80 % de réussite en 1ère IA afin que toutes les vaches vêlent en l’espace de six semaines. Il a atteint les 70 % de réussite l’an dernier, à la grande satisfaction de son inséminateur. La période d’IA ne dure que trois semaines : du 15 mai au 7 juin, soit une seule IA par vache au moment où elles profitent d’une herbe abondante. Après cette date, Gérard introduit un taureau dans le troupeau durant deux mois. L’éleveur conserve uniquement les génisses issues d’insémination pour le renouvellement. « La sélection par la voie femelle c’est payant au bout de quelques années. Il ne faut pas chercher à conserver les filles des mères qui ne prennent pas à la première IA. Idem pour les aspects sanitaires, je tolère une mammite par lactation, à la deuxième c’est direction l’abattoir. » A terme, Gérard pense pouvoir atteindre les 5 à 6 lactations par vache et descendre sous les 20 % de renouvellement, ce qui permet d’intensifier encore la pression de sélection sur la voie femelle.
Pour ne pas décaler les dates de vêlage, les génisses doivent impérativement vêler à deux ans. « En vêlage trois ans, je devrais doubler la surface destinée aux génisses, soit l’équivalent de 50.000 litres de lait. Je parviens à faire vêler à 24 mois en bio grâce à la bonne croissance de veaux élevés sous vaches nourrices et à la précocité apportée par la race jersiaise. »
Passer en monotraite
Une vache à 5.000 litres qui n’a reçu ni vaccin ni vermifuge, ne rencontre plus les mêmes problèmes de santé qu’une vache à 10.000 litres. « Je peux me permettre de réduire drastiquement le paillage et l’hygiène traite : les vaches rentrent sur le quai, je branche, je décroche, et elles repartent ! Si vraiment la mamelle est salle j’essuie avec de la laine de bois et je traite les mammites aux huiles essentielles . » Le taux cellulaire moyen tourne autour de 200.000 cel/ml, mais a tendance à dépasser les 300.000 avec le passage en monotraite.
Après la baisse des charges, réduire son temps de travail reste le principal objectif de Gérard Grandin. A terme, le jeune homme souhaite augmenter encore le nombre de vaches, non pas dans le but de produire davantage, mais afin de ne traire plus qu’une seule fois par jour, 10 mois sur 12.
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