Login

Décarbonation : Jancovici prône une baisse pilotée du cheptel bovin

David Chauve (président chambre agriculture 63), Yannick Fialip (président du Sidam), Patrick Bénézit (président FNB) et Jean-Marc Jancovici lors de la conférence au Sommet de l'élevage.

Diminution de 1 % des effectifs chaque année et développement du système herbager sont les deux propositions phare présentées par Jean-Marc Jancovici pour décarboner l’élevage français lors d’une conférence au Sommet de l’élevage. Des mesures qui ont fait réagir.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

« La décarbonation, il va falloir la gérer car même si on ne la veut pas, on va la subir », assène d’emblée Jean-Marc Jancovici, président du think tank The Shift Projet, devant une salle de conférences comble au Sommet de l’élevage le 7 octobre dernier. « Décarboner l’agriculture, on n’a pas le choix », poursuit celui qui est aussi l’inventeur du bilan carbone à l’Ademe. Et cela pour deux raisons : lutter contre le changement climatique et pour des questions de disponibilité en énergie.

Le changement climatique est en cours et va continuer puisque le CO2, principal gaz à effet de serre ajouté dans l’atmosphère, est très stable et s’évacue très lentement. « Le climat n’a pas fini de dériver ! » La hausse des températures et les aléas plus fréquents impactent déjà l’élevage français, les rendements herbagers sont en baisse à cause des sécheresses plus fréquentes et le stress thermique des animaux augmente.

Se passer du pétrole

« Une des variables d’ajustement au réchauffement climatique, c’est l’abondance énergétique, poursuit le médiatique ingénieur. Grâce à elle, on peut faire venir des choses des régions où cela pousse encore, on peut transporter, stocker… » Or l’approvisionnement énergétique en Europe se complexifie. Actuellement, l’Union européenne importe 97 % de son pétrole et 90 % de son gaz. Mais la production des 16 premiers fournisseurs de pétrole de l’Europe va être divisée par 2 d’ici à 2050, ce qui provoquera une baisse des exportations du même ordre et sûrement beaucoup plus !

La dépendance de l’agriculture à l’énergie est forte. « C’est grâce au pétrole que l’agriculture a radicalement changé, rappelle Jean-Marc Jancovici. Un agriculteur aujourd’hui produit 200 fois plus de nourriture qu’un agriculteur avant la révolution industrielle ! » La mécanisation, les engrais, le transport des productions d’une région à l’autre sont permis par le pétrole. Il a totalement modifié le paysage agricole français : « Avant, on faisait de la polyculture-élevage partout. Les camions ont permis la spécialisation des bassins de production ». Or il va falloir s’en passer !

Dans son rapport consacré à l’agriculture, The Shift Project a donc retenu un « scenario de conciliation » qui permet de remplir l’objectif de la stratégie nationale bas carbone, à savoir une baisse des émissions de gaz à effet de serre, et la diminution de la dépendance énergétique.

Baisse pilotée des effectifs

Parmi les préconisations pour l’élevage, une baisse de 1 % chaque année du cheptel bovin français. « C’est une diminution très mesurée, ralentie et pilotée par rapport à la tendance actuelle », souligne Laure Le Quéré, ingénieure à Shift Project. La décapitalisation bovine en cours atteint effectivement les 2 % par an.

Deuxième recommandation : développer des systèmes plus herbagers. « Il y a autant de stock de carbone sous un hectare de prairie que sous un hectare de forêt. Chaque année, l’agriculture déstocke 10 Mt de CO2 dans l’atmosphère, et c’est principalement lié au retournement des prairies et à leur mise en cultures », développe Laure Le Quéré. « Il faut enrayer ce phénomène. Cela passe par des systèmes plus herbagers, ils compensent environ 40 % de leurs émissions contre 15 % pour les systèmes maïs. » Autre atout : une moindre dépendance énergétique. « Les systèmes d’élevage sont très consommateurs d’énergie, et les trois quarts sont liés à l’alimentation du bétail. Ils ont une moindre dépendance énergétique directe car il faut moins de fioul pour faire pousser l’herbe que du maïs. Mais aussi indirecte puisqu’ils nécessitent moins d’engrais azoté du fait de la présence de légumineuses dans les prairies. » Enfin, ils sont les moins concurrentiels avec l’alimentation humaine.

Dans son scénario de conciliation, The Shift Project préconise enfin de revoir totalement les pratiques de fertilisation : « il faut faire entrer de l’azote dans le système en multipliant par 3 les surfaces en légumineuses et mieux valoriser les effluents ».

Des garanties économiques

« On est conscients que cela est faisable sur le papier mais il faut surtout que les conditions socio-économiques soient garanties et mises en place. Ça passe notamment par une meilleure rémunération des éleveurs et un alignement entre l’offre et la demande pour éviter un report sur les importations "moins disantes" », admet Laure Le Quéré.

Entre 25 et 30 % des émissions des ruminants sont compensés par les prairies en France, a rappelé Jean-Marc Jancovici. (© Terre-net Média)

Produire autrement, les agriculteurs sont prêts. C’est ce que révèle la grande consultation lancée par The Shift Project et à laquelle près de 8 000 agriculteurs ont répondu. 87 % d’entre eux veulent s’engager dans la transition mais posent effectivement une condition économique : une rémunération supplémentaire pour services environnementaux, des prix garantis… Une condition jugée également indispensable par David Chauve, président de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, lors de la table ronde organisée à la suite de la présentation du rapport de The Shift Project. Il a rappelé que les systèmes herbagers du Massif central dégageaient une rémunération annuelle de seulement 20 000 euros.

Pour relever le défi de la décarbonation, « il va falloir que les Français acceptent une hausse des coûts en sortie de l’exploitation », appuie Jean-Marc Jancovici. « Le prix réel de la nourriture a été divisé par 20 en un siècle, grâce aux énergies fossiles. La dépense alimentaire représentait 25 % du budget des Français il y a 100 ans, et tout pratiquement revenait à l’agriculteur. Aujourd’hui, c’est 14 % mais seulement 1 % correspond à la nourriture, le reste c’est pour payer le transport, les salaires des employés de grandes surfaces, les campagnes de pub, les banques… 7 % de ce qu’un Français paie en dépenses alimentaires va à l’agriculteur et 8 % au banquier… », lâche l’expert de la décarbonation.

Reconnaître l’existant

« La valeur n’est pas un sujet tabou, il doit être mis sur la table », abonde Patrick Bénézit, éleveur dans le Cantal et président de la Fédération nationale bovine. Il plaide avant tout pour la reconnaissance du « modèle vertueux » français, avec 11 millions d’hectares de prairies, des races diversifiées et un modèle familial. Or, « ce modèle est en danger. En 10 ans, on a perdu un million de vaches, là où le Brésil et l’Argentine ont augmenté leur cheptel de 10 millions ! » Un million de vaches en moins, ce sont des prairies qu’on retourne et des importations en hausse car les Français continuent de consommer de la viande. En désaccord avec les propositions du Shift Project sur la diminution des cheptels pour baisser les émissions carbone, le président de la FNB défend une réduction des émissions par une meilleure autonomie fourragère des élevages. Il réclame des politiques publiques qui incitent à manger de la viande française, venant d’élevages vertueux, et non de la viande importée.

Jean-Marc Jancovici esquisse une solution : une protection de la viande par la norme afin de valoriser les pratiques vertueuses. « L’OMC, c’est fini, on fait ce qu’on veut ! On pourrait fixer un pourcentage de droits de douane sur les importations de viande des pays qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales », suggère-t-il.

Au terme de cette conférence, force est de constater que la décarbonation de l’élevage devra passer aussi par une transformation du rapport de la société à son alimentation.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement