« Nos génisses sont élevées sous une vache nourrice »
Renouvellement. L’allaitement de trois génisses par une vache nourrice assure une croissance suffisante en vue d’un vêlage à deux ans. Les conditions du succès : réussir l’adoption. Des éleveurs bio du Finistère témoignent.
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Alain Normant, Sulian Moelo, Jean-François Conan et Erwan Leroux sont tous éleveurs bio dans le Finistère et membres du GIEE « Explorons la diversité des réponses biologiques afin de renforcer le lien sol, plante, animal ». Ce groupe d’échange de vingt-cinq éleveurs est animé par Isabelle Pailler, conseillère lait de la chambre d’agriculture.
Leurs points communs : un assolement 100 % prairies naturelles, le pâturage tournant, la monotraite, des vêlages groupés, l’arrêt de traite en hiver (sauf Jean-François), le croisement de races, l’insémination par l’éleveur, l’absence de concentré dans la ration, et l’élevage des génisses de renouvellement sous des vaches nourrices. Cette pratique consiste à faire adopter trois génisses par une vache nourrice qui va les élever pendant toute la saison de pâturage, soit quatre à huit mois d’allaitement au pré sans aucun concentré.
Avant la mise à l’herbe, l’adoption se fait dans un box dédié
Les essais réalisés à l’Inra de Mirecourt (Vosges) ont montré que cette pratique assure une croissance des génisses suffisante en vue de vêlages à deux ans (voir L’Éleveur laitier n° 256 de mars 2017). « C’est une pratique cohérente avec des vêlages groupés de printemps, explique Isabelle Pailler. Son principal intérêt, surtout en bio, est qu’elle autorise une croissance soutenue, sans concentré. Elle participe aussi à la simplification du travail, après la phase d’adoption. »
Les vêlages groupés permettent de constituer rapidement des lots de trois génisses de gabarit équivalent et d’avoir toujours une nourrice pour l’adoption. Cette étape décisive s’avère contraignante, car une nourrice n’élève jamais son veau biologique, au risque de rejeter les autres.
La phase colostrale. À la mise bas, chaque vache reste 24 à 48 heures avec son veau biologique pour assurer la prise de colostrum, « mais aussi pour cultiver chez les futures nourrices leur instinct maternel », précise Sulian Moelo. Les jeunes veaux sont ensuite placés dans une case avec tétine collective jouxtant le logement des adultes, tandis que leur mère retourne dans le troupeau. Il en est de même des vaches choisies pour devenir nourrice. Après la phase colostrale, elles passent normalement à la traite avec le reste du troupeau pendant deux à trois jours. Puis, changement de programme : matin et soir, elles sont bloquées, le temps de la tétée, dans un box avec trois veaux.
L’adoption de trois veaux par une nourrice dans un box dédié matin et soir dure environ une semaine. « Les veaux vont téter naturellement, mais la nourrice peut les refuser. Elle est donc bloquée au cornadis pour faciliter l’accès à sa mamelle, explique Jean-François Conan. En période de mise bas, l’éleveur dispose de trois box dédiés, à proximité de la salle de traite. En règle générale, la nourrice accepte les veaux au bout de deux à trois jours. Je peux alors la débloquer et je laisse les veaux à deux tétés par jour dans le box pendant encore quatre jours avant la mise à l’herbe. » Soit une mise à l’herbe autour de J + 8.
Si la vache s’obstine à repousser les veaux au bout de deux ou trois jours, Jean-François n’insiste pas et change de nourrice. Alain Normant utilise le même principe : « Lors du premier contact, neuf foissur dix, la vache ne se laisse pas faire. Elle est donc bloquée au cornadis et je n’hésite pas, le cas échéant, à lui mettre une, voire deux entraves. Si elle est trop rétive, je change de nourrice sans tarder mais, au final, il y a peu d’échecs. Lorsqu’il n’y a plus besoin de bloquer la nourrice, la phase d’adoption en box continue trois à quatre jours. Il faut du temps et de l’observation pour s’assurer que la vache accepte les trois veaux avant la mise à l’herbe. »
Des techniques de masquage sont utilisées par des éleveurs du GIEE pour faciliter l’adoption : par exemple, à la naissance, ils aspergent avec du vinaigre de cidre le dos du veau des futures nourrices et réitèrent l’opération sur les trois veaux au moment de l’adoption. « Il y a des éleveurs calmes qui prennent le temps de rester dans le box matin et soir pour apaiser la nourrice, confie Isabelle Pailler. Certains insistent pendant une semaine, d’autres changent de nourrice au bout de deux ou trois jours si l’adoption ne prend pas. Ceux-là vont sans doute plus vite pour trouver la bonne nourrice. »
L’adoption collective. Si l’adoption de trois génisses dans un box est la plus courante, Sulian Moelo y apporte une variante plus collective : comme il sélectionne sur la fertilité, il conserve pour le renouvellement les quinze meilleures génisses parmi les vingt premières nées. Elles sont élevées à proximité de la salle de traite, dans trois petits parcs extérieurs attenant à un paddock. Deux fois par jour, matin et soir, ces quinze veaux âgés d’une à trois semaines sont regroupés avec trois nourrices dans le paddock pendant une heure et demie. « Ce principe d’adoption dure quinze jours. Ainsi, la nourrice n’adopte pas trois veaux, mais tous les veaux, ce qui permet d’en enlever ou d’en ajouter un nouveau. »
Enfin, avant de mettre tous le monde en pâture, les veaux sont écornés et les mâles élevés pour la filière bœufs sont castrés.
Repérer les vaches les plus maternelles
Pour faciliter l’adoption, le choix des nourrices se porte sur les vaches les plus maternelles. « Il ne faut pas insister avec des vaches qui repoussent toujours les veaux au bout de deux ou trois jours », conseille Erwan Leroux. Installé à Rosnoën, l’éleveur parvient à concentrer près de 80 vêlages sur six semaines, grâce à la fécondité de ses vaches croisées. « Au début, j’utilisais des vaches en fin de carrière, très maternelles. Mais comme elles sont très sollicitées, elles s’épuisent. Désormais, je choisis parmi mes vaches dans la force de l’âge (3e et 4e lactations), celles qui me plaisent moins : vaches à cellules, qui tapent en salle de traite, boiteuses… Mais le premier critère consiste à prendre des vaches à fort instinct maternel, celles qui montrent le plus d’intérêt pour les veaux. » L’allaitement permet ainsi de prolonger la carrière de vaches souvent destinées à la réforme. Sauf Sulian qui, parfois, les insémine s’il les voit en chaleur. « Ces animaux prennent difficilement car ils perdent beaucoup d’état pendant les premiers mois. C’est pourquoi il est important qu’ils aient de l’herbe de qualité via le pâturage tournant, qualité d’autant plus importante qu’elle participe aussi à la croissance des génisses. »
Le sevrage se fait le plus souvent à la rentrée à l’étable, vers le mois d’octobre, après huit mois à l’herbe et sans concentré. Les nourrices prolongent un peu la saison d’herbe et se voient réserver des fourrages de qualité (enrubannage) pour reprendre de l’état. Là encore, Sulian se distingue et n’hésite pas à sevrer après quatre mois d’allaitement, selon le gabarit des veaux, « afin que ceux qui profitent ne pénalisent pas les autres. Le sevrage se fait alors à l’herbe pâturée, pour faire de futures vaches parfaitement adaptées au pâturage. »
Jérôme PezonPour accéder à l'ensembles nos offres :